mardi 28 février 2023

                                                         💙💙💙💙💙


 

Gros coup de cœur pour  ce premier roman de Marie Saglio.

A travers une trame dramatique parfaitement maîtrisée, l’auteur nous  propose une analyse politique et sociale de l’Inde, et plus particulièrement de la ville de Bombay.

Littéralement scotchée par l’histoire de Shiv, je n’ai refermé le livre qu’à la dernière page. Pour immédiatement, rechercher sur internet les infos me permettant de satisfaire ma curiosité aiguisée par cette découverte intelligente et nuancée de Bombay.

Que demander de plus à un livre ? Le plaisir d’aller au bout d’une histoire pleine de rebondissements, et la compréhension de notre environnement. Je suis admirative de cette belle réussite : un vrai  talent d’écrivain et une réelle expertise d’un pays complexe et riche.

Quelques mots pour situer le récit.

Embarquement immédiat pour Bombay, la moderne et la miséreuse, avec Shiv. Ingénieur indien travaillant pour une entreprise internationale de recyclage de déchets. Après 7 ans ininterrompus à Londres, il revient à Bombay où il est chargé de transformer l'immense centre de déchets de Gandapur en centrale d’énergie pour le nord est de Bombay.

« Bombay est devenue l’épicentre du problème des ordures. C’est le revers de sa prodigieuse expansion économique. Ou plutôt, traduit dans la langue des affaires, la mégapole représente un marché colossal de traitement des déchets. »

Bien sûr, rien n’est simple en Inde et cela, Shiv  le savait, le redoutait. Il va le constater et le subir tous les jours. Les castes ont officiellement disparu, mais les fossés demeurent entre les différentes classes sociales. Les nantis, dans des quartiers résidentiels, les chiffonniers qui vivent de la décharge, avec des hiérarchies bien définies, les slum dwellers, les habitants des bidonvilles qui vivent avec, dans, et de la décharge, les Dons ( chefs de la mafia), souvent des hommes politiques sans qui rien ne se fait. Car, avec la hiérarchie verticale érigée en symbole puissant, la corruption est omniprésente, et à tous les niveaux.

« C’est comme ça  ici, tous ceux qui veulent réussir ont un pied dans la fange. »

Marie Saglio n’oublie pas l’environnement historique et social, l’exode rural qui pousse les populations à chercher du travail dans les villes, et la plupart du temps, les pousse également dans les bidonvilles, sans compter la dégradation inexorable de l’environnement naturel. La présence de produits toxiques et mortels dont tout le monde se fiche. Il faut vivre et pour beaucoup, il faut simplement survivre.  La misère est présente, banalisée et la vie d’un homme, la santé d’un enfant,  ne valent pas grand-chose.

Toutes les scènes dans les bidonvilles sont relatées sans pathos, mais avec beaucoup de justesse et de sensibilité. En les lisant, on se réjouit de vivre dans un pays occidental.

En même temps, beaucoup de battent pour l’amélioration de l’existence de chacun, notamment la prise en compte de l’éducation de tous les  enfants, comme la mère de Shiv.

Le conflit toujours présent entre hindous et musulmans, avec toute la montée en puissance du parti nationaliste n’est surtout pas occulté. Il est essentiel dans le climat qui règne à Bombay et tout ce qu’il peut rapporter au régime en place.

Les personnages sont bien campés et attachants, complexes. Car les doutes, les espoirs, les révoltes et les compromis les habitent. Une analyse psychologique toute en finesse avec le personnage central de Shiv, à la  recherche de sens et d’identité.

Une progression dramatique sans faille. Servie par une plume simple, juste et précise, quelquefois douce et poétique, dont le ton change brutalement pour décrire l’indicible :

« Shiv regarde toujours l’avocatier et se sent submergé de nostalgie pour le monde ancien de sa terre villageoise.(…) Après les moissons de l’été, tous attendaient les pluies gorgées de fraîcheur, l’heure où terre et ciel échangent leurs robes, où le fleuve gris revêt une clarté lumineuse, où l’azur noircit sous la nuit. Voilà que les lacs n’offrent maintenant que des flottilles de poissons crevés, pourrissant sous un soleil meurtrier. »

Un livre enrichissant car il permet une compréhension intellectuelle d’un milieu mais aussi une compréhension par le cœur, des doutes, de la misère, de tout ce qui accompagne l’humanité.

Merci Marie Saglio.

Lu dans le cadre du prix Orange 2023.

Je remercie la Fondation Orange et les Éditions Serge Safran de m’avoir permis de découvrir ce roman passionnant.

 

 

 

 

 

lundi 27 février 2023

                                                             💙💙💙💙


 

Tel un Robinson apocalyptique, Salvatore s’est retiré d’un monde qui va très mal. Se retranchant dans une ferme isolée des Vosges, il survit en s’adaptant à la nature plus sauvage qu’à son attente.

Première rencontre : le loup gris, qui lui donnera des frissons espacés au fur et à mesure de sa vie nouvelle. Le manque de protéines (abondantes dans sa vie antérieure) lui fait perdre 10 kg. Mais il n’en meurt pas.

Sa plus grande souffrance, en fait,  est la solitude. On sait bien que les forêts sont plus peuplées que les déserts. Alors il va rencontrer Mira, une jeune fille muette et surtout déglinguée. Puis Alix, un être de sexe mâle qui cherche son genre (une occasion pour introduire l’écriture inclusive sur tout le roman) Et pour finir, ils trouvent le chamane Sacris qui va leur apprendre à délirer abondamment avec la plante diabolique qui fait voyager à la vitesse de la lumière, l’ayahuasca.

Cette équipe de Pieds Nickelés en tenue pas trop nickel 😊 part à l’aventure, à la recherche d’autres humains  et de protéines. Et ils font des rencontres pittoresques, dangereuses, parfois à peine imaginables.

Mais l’écriture imagée, à l’effet dévastateur, rend l’atmosphère supportable… L’instinct de survie est permanent. L’auteur floute les frontières pour prouver son appartenance à l’écosystème. Comme il dit : « le paradis, c’est les autres. »

Avons-nous vraiment le choix de notre vie ? Survivaliste aux idées noires ? Ou optimistes qui traçons la route de l’espoir ?

Précisions sur le fameux « ayahuasca », pas addictif, à priori : au moment où les dérèglements mentaux et climatiques accélèrent, cette plante pourrait aider à lier notre relation symbiotique avec la nature. Son utilisation semble très adaptée dans le monde décrit par l’auteur qui nous conduit avec art sur des chemins sinueux, entre le récit d’aventure et la critique sociale.

Un excellent moment, et une réflexion intéressante.

 

Prix lu dans le cadre du prix Orange 2023 par Gérard Jadeau.

Je remercie la Fondation Orange et les Éditions au Diable Vauvert de m’avoir permis de découvrir ce passionnant récit.

dimanche 26 février 2023

                                                                      💙💙💙 

Il était une fois un sexisme et un autoritarisme ordinaire…

Une histoire d’Hommes où les femmes, les enfants (petites filles), animaux sont transparents ou au service de l’Homme.

Marceau est un père autoritaire, qui entend bien transmettre ses idées d’honneur à ses deux fils. Faute d’être soldat comme son père, il est huissier de justice. Alors il se projette dans ses enfants. Le plus jeune est borgne et ne pourra donc pas rejoindre l’armée. Il aligne et range ses créations d’engins militaires sur ses étagères.

Le fils ainé, Gilles, doit donc sauver l’honneur de la famille. Il craque à Saint Cyr, harcelé par les étudiants à particules et finit par entrer dans une école d’aéronautique. Ouf ! Les principes de Marceau  sont saufs, et Gilles travaillera dans cette branche. Il va se marier avec Nour et aura une petite fille.

On pourrait penser qu’une fois marié, il va sortir de l’emprise de son père et échapper au formatage qu’il a subi. Non, il applique comme un gentil garçon, un fils obéissant, les préceptes de machisme, de condescendance envers sa femme, de maltraitance envers les plus faibles.

« Nour veut du temps et du silence autour d’elle pour peindre ses petites merdes en confort.(…) Offre lui ce confort. Tu la tiens par la pelote et on lui ploiera doucement l’échine. Elle apprendra à compenser son petit temps et son petit silence, à te les payer au prix fort. Tu l’auras, ta servante. »

Jusqu’au jour où….

Ce qui m’a intéressée, c’est la précision chirurgicale, froide des portraits tracés.

Aucune empathie de la part du lecteur.

Presque un exercice de style : les portraits de Marceau et Gilles servent d’illustration au sexisme et au mépris de tout ce qui n’est pas Homme ou Soldat.

C’est le titre et la couverture qui m’ont attirée vers le roman. Et pour moi, c’est le seul bémol : quand on est cavalier, l’art du dressage consiste à faire AVEC le cheval et non pas contre, en le soumettant à sa petite volonté.

Livre lu dans le cadre du Prix Orange 2023.

Je remercie la Fondation Orange et les Éditions du Sonneur de m’avoir permis de découvrir cet auteur.


samedi 25 février 2023

                                                             💙💙💙💙💙

On a tous lu des récits concernant les ados. Le mal être, les dérapages, les espoirs, les envies, l’éveil sexuel, la recherche de sens….

Et pourtant l’auteur nous embarque dès les premières pages dans l’histoire d’un ado de 17 ans,  Léonard, et ne nous lâche plus. 

C’est Léonard qui raconte :  « Peu de bêtises en dix-sept ans. Je n’avais jamais triché, volé, frappé. Insulté rarement. La haine et la colère, je les avais accumulées sagement. J’avais laissé mourir Oscar. J’aurais pu le sauver et je ne l’ai pas fait. Ensuite j’avais caché son corps. Je ne me rappelais plus pourquoi. J’aurais pu m’en aller. On l’aurait découvert au même endroit. (…) Mais je l’avais enterré. C’était ça, la vraie bêtise. »

Le roman est un huis-clos : un camping durant les grandes vacances avec sa famille. Il y a plein de monde, plein de bruits et la solitude de Léonard est d’autant plus visible.

Il est à part, tant parmi les autres jeunes, que même dans sa famille. Introverti, renfermé, complexé, mal à l’aise avec les autres, il préfère la compagnie de son chien. « Je n’avais pas de programme. Je suivais louis ou mon chien dans les allées et j’attendais que les heures s’écoulent, que les soleils meurent un à un jusqu’au dernier. »

Cela ne l’empêche de vouloir faire partie de la bande, d’être attirée par une fille, Luce.

La mort d’Oscar, qu’il a regardé mourir sans un geste, qu’il a enterré sans savoir pourquoi, tout cela le poursuit, le ronge : « Il n’y avait plus qu’Oscar. Il cadavrait, comme une eau stagne, tout contre moi. Il me collait à la peau. Par moments je ne savais plus depuis combien de temps il était mort, depuis combien de temps, je le traînais avec moi dans les allées. Et puis n’étais je pas déjà coupable bien avant l’instant de sa mort ? »

Un magnifique roman, court, dense et puissant où lucidité et folie se côtoient en permanence. 

La progression dramatique est parfaitement maîtrisée : le corps d’Oscar va-t-il être découvert ?  Léonard va-t-il avouer son geste ?  Est-ce qu’il ne va pas aller plus loin en déclarant qu’il a tué Oscar ? Est-ce que l’amour qu’il porte à Luce peut le sauver ?

L’auteur excelle dans l’analyse psychologique mais aussi dans le ressenti physique : la chaleur, le soleil, la transpiration sont omniprésentes. Le lecteur sent la puissance du soleil qui trouble les esprits, empêche la lucidité, la réflexion.

Dans ce roman, j’ai trouvé des accents de « L’étranger » de Camus. La chaleur destructrice, l’impossibilité de comprendre son geste. Les mots sont forts, les phrases souvent courtes, accompagnent la dramaturgie.

Un gros coup de cœur !💗

 

 


 

vendredi 24 février 2023

                                                                    💙💙💙 

 

Étienne est un médecin de laboratoire, marié à une avocate et père de deux enfants. Une vraie famille « CSP+ ». Pas de soucis financiers, un bel appartement à Lyon, un travail intéressant dans la recherche médicale. Sa vie, petit train-train régulier, sans surprise, s’écroule le jour où en revenant de vacances, il apprend le décès de Jean-Jacques Goldman.

 

Mais, plus que l’écroulement de sa vie, la mort de son idole agit comme un révélateur de son manque d’empathie, de son égocentrisme, de sa volontaire solitude.

Il va enfin remarquer que ses enfants ont leur propre vie et que son épouse va chercher une protection dans la compagnie d’un chien nommé avec ambiguïté, Martin.

 

Ce court roman veut démontrer que la « classe moyenne » tend à disparaître avec l’une des personnalités préférées des français (si l’on en croit les sondages depuis plusieurs années). Aurélien Delvaux met en évidence les manques de relations d’Étienne avec sa famille, ses collègues, les personnes qu’il rencontre. Sa prise de conscience devient une descente en enfer.

 

Mais, on reste à côté de cette histoire. Là où nous devrions ressentir de l’empathie, ne se dégage que l’indifférence. Là où nous devrions être devant un miroir reflétant notre propre situation, n’apparaît qu’une vision qui ne nous concerne pas. Étienne est juste antipathique dans son égoïsme.

 

De plus, l’utilisation des temps passé (imparfait et passé simple) rend difficilement crédible des actions qui se passent dans le futur, d’une part, et nous fait espérer un événement à la fin de l’ouvrage, un coup d’éclat, un rebondissement qui incite le narrateur à se remémorer ce qui s’est passé. Mais non…

En résumé, pas de Te Deum pour ce Requiem… 😀


Prix lu dans le cadre du Prix Orange 2023

Je remercie la Fondation Orange et la maison d’Éditions Notabilia de m'avoir permis de découvrir ce roman.

 


mardi 21 février 2023

                                                                            💙💙💙


 

Ce roman est un cri de douleur.

Comment pardonner à son père, qui s’installe au Maroc, se marie avec une jeune femme de 30 ans, sa cadette, et finit par déshériter ses trois enfants ? Les deux ainés et Carina, la benjamine, la préférée du père, « sa princesse ».

Comment pardonner quand le père a été violent, qu’il a abusé de sa fille ?

Carina est la narratrice. Elle est hantée par l’histoire du roi Lear qui déshérite sa plus jeune fille  car elle n’a pas su lui exprimer son amour.

« Tempêtes et brouillards sur toi. Que les incurables blessures de la malédiction d’un père déchirent tout ton être en tous tes sens. »

La jaquette de couverture exprime d’ailleurs parfaitement la quintessence du récit : amour, douleur et folie.

Carina se débat pour comprendre si elle a été aimée par ce père, savoir si l’amour de son géniteur peut lui permettre de pardonner. Un amour toxique, mais un amour quand même. Peut-être a-t-il essayé d’être un bon père ?...

Un père maudit qui meurt trop tôt pour espérer avoir une explication sincère de sa part.

Ce qui m’a passionnée dans ce roman, c’est le sens du pardon pour celui qui est blessé. Impossible de vivre sereinement, de vivre tout court, si la haine, le ressentiment, le doute restent au fond du cœur.

L’écriture accompagne magnifiquement les errements de Carina, ses colères, ses crises, son espoir.

Lu dans le cadre du Prix orange 2023.

Je remercie la Fondation Orange et les Éditions de la Martinière de m’avoir permis de découvrir cette auteure.

jeudi 16 février 2023

                                                                        💙💙 

Une plongée dans les souvenirs d’enfance de la narratrice, et plus particulièrement dans la maison de sa grand-mère, La Nonna, à Saint Nazaire en Charente.

Quasiment un exercice de style : j’ai admiré le sens de la précision dans les descriptions de la maison de la Nonna, puis dans celle des vieux albums photos, puis dans celle de la nature et du vieux fort de l’Ile Madame.

Une maîtrise très affirmée du descriptif dans un plan très construit, voire « scolaire ».

Sans doute est-ce pour cette raison que je suis restée en dehors de l’évocation de ses  grands parents, (des émigrés italiens), qui m’a parue occultée, peu visible. Comme devant un tableau dont la technique est tellement parfaite, qu’elle ne laisse passer aucune émotion.

Sans doute aussi, est-ce un sujet qui tenait très à cœur à Olivia Resenterra et elle a fait attention à tout contrôler. Car elle évoque à deux reprises le regret de la discrétion, voire du silence des grands parents concernant leur enfance, leur jeunesse. Et cela je crois qu’on l’a tous ressenti : quand les plus anciens sont partis, et qu’on reste en manque de leur passé. Un puzzle où il manquera toujours des pièces.

Prix lu dans le cadre du Prix Orange 2023.

Je remercie la Fondation orange et les Éditions du Rocher de m’avoir permis de découvrir cette auteure.


mercredi 15 février 2023

                                                                     💙💙💙


 

Une adolescente trop belle pour son environnement ?

C’est l’histoire de Célestine, recueillie à sa naissance, par sa tante Berthe et son oncle Aristide, à la mort de ses parents. Des gens braves et rustiques, qui n’ont jamais voulu s’encombrer d’enfants.

On retrouve Célestine, 17 ans plus tard, devant un jury d’assise des mineurs. On comprend qu’elle a commis un crime atroce. Elle reste mutique…

L’histoire bien maîtrisée d’une chenille qui devient papillon. Une jeune fille sage, sincère, amoureuse d’Adrien, et surtout très belle. A un moment, l’auteure la compare à une Brigitte Bardot sublimée. On est dans les années 1960.

Elle provoque alors jalousie, envie, et concupiscence : 

« Célestine, par sa seule présence, avait commencé sans le savoir, à porter atteinte à la vie privée des habitants du village. Des scènes de jalousie avaient vu le jour dans de nombreux foyers.

L’innocente Célestine était donc devenue l’image même du diable pour de très nombreux parents. Elle avait réveillé en eux, leurs bas instincts, avait fait remonter à la surface, la lie qui traînait dans leurs entrailles. »

Un excellent roman à l’écriture fluide, avec une fin couperet qui tient le lecteur en haleine jusqu’au bout.

Prix lu dans le cadre du prix Orange 2023.

Je remercie la Fondation orange et les Éditions Hervé Chopin de m’avoir permis de découvrir ce roman. 

 

 

 

lundi 13 février 2023

                                                                        💙💙💙 



« Jusque là, j’avais toujours été attirée par ce qui m’échappait, me malmenait, me transportait dans les recoins les moins reluisants de ma psyché : 14 juillet 1995, une cour d’immeuble, alors qu’elle joue avec sa sœur et des voisines à l’élastique, une gamine de 6 ans voir sa mère se pointer à la fenêtre de sa chambre et faire des gestes saccadés, les yeux révulsés et les cheveux dressés sur le crâne, comme pour appeler au secours, mais sans prononcer une parole, avant de tomber dans un coma irréversible, une mort sous tuyaux. Cette enfant là a grandi et la jeune femme qu’elle est devenue n’a eu de cesse, de cesse, de cesse… de rechercher cet état d’alerte. La bascule irréfragable.»

Un roman autobiographique où le personnage principal est l’auteure : Clarisse Gorokhoff.

Clarisse vit à Istanbul, multiplie les aventures. En apparence, elle semble une jeune femme libérée, conquérante envers les hommes, sans scrupules. Quand les situations amoureuses se dégradent, elle fuit.

En même temps, elle est très lucide sur elle-même et on se rend vite compte qu’il s’agit d’une fuite en avant. Pour aller jusqu’où ?...

Elle rencontre Onur. Ils se plaisent immédiatement, s’aiment mais elle ne peut résister à l’addiction de chasser ailleurs, même lorsque le plaisir est absent. ..

Le portrait d’une femme traumatisée par la mort en direct de sa mère, qui recherche l’amour et fait tout pour le détruire et détruire ceux qui l’environnent.

Un récit classique et bien fait.

Livre lu dans le cadre du prix Orange 2023.

Je remercie la Fondation Orange ainsi que les Éditions Robert Laffont de m’avoir permis de découvrir ce roman

dimanche 12 février 2023

                                                                💙💙💙 



Comme un sentiment d’inachevé...

Ce recueil de récits d’Yves Bichet regroupe vingt deux petits voire très petits textes qui chacun présente un geste de la vie courante, ou pas. Certains textes d’une page à peine, ne sont que le prolongement du texte précédent.

Focalisé sur son passé de travailleur manuel (ouvrier agricole, maçon) l’auteur se concentre sur le travail des mains des ouvriers, par opposition à celui de l’écrivain, sans mettre en évidence que l’acte d’écrire ou celui de réaliser une marqueterie n’a de valeur que par la création dont les mains ne sont que le prolongement. La comparaison peut se faire sur le résultat obtenu et non sur le mode de réalisation.

La succession de petits textes amène un rythme de lecture intéressant d’autant que dans l’écriture, on sent bien le travail artisanal, et cela est très plaisant, facile à lire. Par contre, la notion de beauté du geste n’est pas toujours très flagrante.

Deux textes émergent dans ce recueil : « A l’aveugle » et « Quinze ans plus tard ». Pour ces deux récits, la lecture de ce livre vaut le coup.

 

Par contre, en refermant l’ouvrage, une frustration peut s’emparer du lecteur car la promesse du titre n’a pas été comblée par la lecture. Par moment, on peut avoir le sentiment que l’auteur s’est contenté d’améliorer son carnet de notes, sentiment d’autant plus fort qu’Yves Bichet se met souvent en situation, dans  des  déplacements, des voyages professionnels.

 C’est dommage…

 

Livre lu dans la cadre du Prix Orange 2023

Je remercie la Fondation orange et les Éditions le Pommier de m’avoir permis de découvrir cet auteur. 

 

                       

samedi 11 février 2023

                                                                   💙💙💙💙💙 



Un sujet devenu banal car souvent traité : les souvenirs d’enfance égrenés par une vieille personne.

Pourtant, ce roman est porté par un charme, une sensibilité particulière et surtout une belle écriture, qui emporte le lecteur dans une grande maison familiale, « la Maison », entourée d’arbres, d’étangs, de bonheurs et de joies d’enfants.

Isadora est maintenant une vieille femme, en EHPAD. La Maison, qu’elle dû quitter lui manque et elle y évoque ses souvenirs, avec son frère et ses deux sœurs. Harriet, la plus petite, est chère à son cœur. On comprendra mieux, au fil des pages, pourquoi elle occupe une place tellement importante.

Une maison, qui est  un refuge contre l’extérieur pour Isadora, un endroit où elle se blottit, une retraite volontaire où elle retient le temps.

« J’ai assez aimé la Maison pour ne rien souhaiter d’autre, dans mon existence que d’y demeurer, blottie au creux des choses familières, me laisser patiner par le temps exactement comme la rampe de  l’escalier en colimaçon »

Autre originalité de ce premier roman : les quatre saisons servent de cadre aux souvenirs d’Isadora.

L’été avec ses jeux, la chaleur qui pèse sur les adultes et ravit les enfants. Une écriture tellement juste qu’on sent le soleil, le plaisir de l’eau, les cris des petits. Le monde de l’enfance, celui de l’insouciance, qu’une vieille personne nous fait revivre. Car ses souvenirs à elle, évoque les nôtres, et ce n’est que du bonheur !  

Les descriptions de la nature, sont simples, précises et… somptueuses. On s’enfonce dans l’hiver, le froid, la neige. On retrouve le bonheur de se blottir, frère et sœurs ensemble, un peu fatigués après la course matinale.

Des souvenirs lumineux pour une vieille dame triste, sombre, au crépuscule de sa vie. Il y a d’ailleurs, toujours en superposition, dans les réflexions d’Isadora, le passé heureux et le présent douloureux.

Elle s’imagine d’ailleurs, vieille dame, parmi les enfants dont elle faisait partie : « Maintenant que la vieillesse me casse le dos et me rompt les doigts, je sens combien j’aurais été agacée, enfant, par ma présence d’aujourd’hui, encombrée par ce qui n’est plus ».

Ce n’est pas qu’un livre de souvenirs sur les plus jeunes années, c’est également, en filigrane, un constat triste et lucide de la vieillesse et une analyse sans concession de sa vie. Car au fur et à mesure de la déclinaison des saisons, les souvenirs s’attristent, les blessures et les deuils se profilent, la solitude d’Isadora dans la Maison se fait plus intense. La tension et l’émotion montent au fil des pages.

C’est la Maison de son frère et de ses sœurs qui l’ont quittée. C’est la Maison de ceux qui sont morts et de celle qui le sera bientôt. C’est la Maison où elle a tout conservé : les vêtements des uns et des autres, le lit d’Harriet toujours à côté du sien et même l’atelier de peinture de sa mère où tout est demeuré intact.

C’est aussi le refus pathologique du temps qui passe, le refus vers l’extérieur et le constat bien triste qu’elle n’a pas vécu. La Maison, un « cocon étouffant » comme la caractérise sa sœur ainée, une pieuvre sécurisante qui retient le passé et empêche de vivre le présent.

Un livre sur l’insouciance de l’enfance, sur ce qu’on fait de sa vie, sur le temps qui passe. La fin des souvenirs, quand ils commencent à devenir flous, marque la fin de la vie.

On peut penser que lorsqu’Isadora aura égrené toutes les saisons, elle se laissera doucement glisser vers la mort :

« Mes yeux sont froids à présent, sans doute. Ils ne sont plus couleur d’étang sale, n’est-ce pas, voilés par la cataracte et la mélancolie. Ils sont pleins du passé et ont usé toutes leurs étincelles. Comment les rallumer d’ailleurs sur ce ballet de blouses blanches et de serviables fantômes, qui remplissent mon assiette, allument ma télé, me parlent très fort à l’oreille. Ici, il n’y a plus de massifs de fleurs, de ciels éblouissants et de neige scintillante. Le café dans la tasse est froid comme mon cœur. Qu’on le boive, qu’on en finisse. »

Un roman qui paraît écrit au fil de la plume, j’oserais presque dire au fil de l’eau, tellement il est fluide. Mais compte tenu de la qualité de l’écriture, je pense qu’il représente au contraire, beaucoup de travail, et je salue cette jeune auteure pour le plaisir qu’elle nous donne à parcourir la vie d’Isadora et de Sa Maison.

Je remercie la Fondation Orange et les Éditions Gallimard de m’avoir permis de découvrir ce premier et magistral roman.

 

mercredi 8 février 2023

                                                                    💙💙💙 



« La Joconde. Vous connaissez ses traits par cœur. (…) Vous pouvez fermer les yeux et la ressusciter à l’envie.(…) Pourtant vous savez tous ici, que cette vision est dégradée par les outrages du temps. Les vernis oxydés et jaunis ont déréglé ses contrastes, opacifiant le portrait qui année après année s’enfonce un peu plus dans la pénombre. (…) Mona Lisa baigne dans une marée verdâtre. Vous avez parlé cent fois de la restaurer, mais jusqu’à présent, vous n’êtes jamais passé à l’action. (…) Pourtant, c’est exactement ce que vous devriez faire. »

Le couperet est tombé pour Aurélien, directeur du département des peintures du Louvre. L’agence Culture Art Média Patrimoine, qui a le vent en poupe parmi les « décideurs » a tranché : il faut restaurer la Joconde.

Aurélien sait que les risques sont grands. Une restauration trop franche la perdrait. En traînant les pieds, il va devoir s’y résoudre et trouve en la personne de Gaetano, personnage fantasque et imprévisible, le restaurateur de la Joconde.

L’auteur part d’un fait réel : la restauration de Sainte Anne, la Vierge et l’enfant, en 2016, avait provoqué des tollés parmi les experts.

Entre Aurélien, mutique et introverti, la nouvelle directrice du Louvre, qui s’appuie sur les courants exigeant du changement, du neuf, le ton est donné.

L’humour, la malice se glissent dans chacun des portraits, dans les situations également où le « côté tendance » le snobisme de l’art, la toute puissance du marketing sont bien analysés.

Dans ce monde clos, s’insinue un agent d’entretien, Homéro, qui a toujours regretté de ne pas être danseur. Il le fait sur son autolaveuse de 280 kg. Son coup d’œil à propos de l’art est pourtant infiniment plus précis et plus fiable que n’importe quel expert.

Un roman agréable, distrayant avec quelques longueurs. Je l’ai imaginé en BD avec les tableaux (l’alibi culturel), les personnages intro et extravertis, les personnages d’Homéro et de Gaetano, loufoques en diable.

J’aurais aimé que l’environnement du Louvre soit plus étudié, de façon à plonger le lecteur dans un monde clos et inconnu du grand public.

Un bon feel-good.

Je remercie la Fondation Orange et les Éditions Philippe Rey de m’avoir permis de découvrir cet auteur.

mardi 7 février 2023

                                                                💙💙💙💙 



« Il m’a dit que c’était de ma faute, pour Nathan. Que si je n’avais pas… que si je n’avais pas épousé une cinglée, ça ne serait jamais arrivé. »

Une drôle de femme, Zoé, une cinglée peut-être…. En tous cas, une femme sauvage, solitaire, déterminée par un seul objectif : retrouver son fils Nathan disparu il y a 6 ans, alors qu’elle a relâché sa surveillance quelques minutes.  Tous pensent qu’il est mort, elle sait, elle a besoin de croire qu’il est vivant. Elle le cherche. Partout. Tout le temps.

On est en 2030, au Canada, sur les bords  de la rivière des Outaouais qui sépare le Québec de l'Ontario. Un chaos climatique pousse les américains à fuir leur pays, à se réfugier chez le voisin du nord. Ils ne sont pas les bienvenus et sont poursuivis  pour être parqués dans des camps de migrants, en Alaska.

Zoé fait partie des chasseurs de primes. Elle les traque dans la forêt et les ramène aux autorités canadiennes. En même temps, elle recherche toujours son fils, persuadée que son fils a été enlevé ou a rejoint les fugitifs.

 

Une drôle de femme, Zoé. Une drôle de vie. Petit à petit, on apprend à la connaître, à la comprendre. L’auteure fait lentement, mais surement, monter le suspens en distillant les faits et en laissant Zoé égrener ses souvenirs.

Abusée par son père, négligée par une mère alcoolique, qui rejette ses ascendances indiennes, haïe et jalousée par sa sœur, déficiente mentale. Son mariage avec Thomas lui avait pourtant apporté l’équilibre, la sérénité et le bonheur. Mais leur fils Nathan a disparu. Ainsi que la fracture définitive dans le couple car chacun a jugé l’autre responsable.

Sa vie n’a plus de sens. Seule la recherche de Nathan la maintient en vie. Il faudra aussi qu’elle se retrouve et accepte ses origines et son passé, aussi douloureux soit-il. Et retrouve un sens à sa vie.

« Je suis Zoé. A moitié algonquine, à moitié canadienne, à moitié québécoise, à moitié amoureuse d’un mari mort, à moitié parricide, à moitié fille, à moitié mère je ne suis rien et je suis tout, je suis Zoé. »

Un portrait de femme bien campé, crédible. Une analyse psychologique, fine et fouillée. Une nature hostile, qu’il faut affronter.

La progression dramatique est maîtrisée, le suspens permanent. Isabelle Amonou, dès le milieu de récit, tient son lecteur. Il reste scotché jusqu’aux dernières pages.

Cette lecture m’a fait penser à certains romans de Sandrine Collette, pour ces trois raisons justement : l’art du suspens, les figures de femmes (ou d’hommes) qui prennent leur destin à bras-le-corps, l’état naturel et sauvage. 

 Je remercie la Fondation Orange et les Éditions Dalva de m’avoir permis de découvrir cette autrice.

 

 

mercredi 1 février 2023

                                                                        💙💙💙


 

Un recueil de nouvelles, c’est toujours intéressant : un univers, une narration, différents à chaque fois, avec une conclusion qui tombe comme un couperet, surprenant à chaque fois le lecteur.

Cela commence bien. Des titres attractifs, une écriture précise, rapide, nerveuse qui embarque directement dans l’action. Thierry Covolo maîtrise également, en quelques lignes, le placement des personnages, du décor, de l’ambiance.

 

C’est le cas de chacune d’entre elles et on se régale. Les sujets traités sont également variés :

« Une fille avec un nom du nord ». Une famille étrangère s’installe dans un village et provoque l’émoi dans une bande de jeunes du coin.

« La mer pour mon anniversaire. » Deux amis roulent en voiture, le conducteur veut faire une surprise à l’autre, l’emmener au bord de la mer. Dans un monde où elle n’existe plus que dans les souvenirs des anciens. Il faudra demeurer prudent car le cadeau envisagé suppose des combines.

« Ouais, il a finalement dit. La plupart des plages étaient comme ça. Y avait des signes, des  avertissements concrets. Le continent de plastique surgi au milieu de l’Atlantique, les dauphins empoisonnés par les rejets d’engrais, les coraux asphyxiés par l’excès de CO2… Mais bon, on s’est dit... (…) On avait plus urgent, on verrait ça plus tard. On voulait surtout rien changer à nos vies. Rien lâcher. Pour la mer comme pour le reste.»

« Il ne se passe jamais rien, ici. » Quatre hommes se tiennent au milieu du champ d’un des quatre. Quelque chose les sidère, ils ne savent pas quoi faire : « Bon alors, on fait quoi ? C’est quand même un truc important, au moins autant que quand on a découvert que la terre était ronde, ou encore que les dinosaures existaient bien avant que Dieu a crée la terre. Voyez ? On peut quand même pas garder ça pour nous. »

Et bien ! L’auteur a gardé cette « chose sidérante pour lui, car on ne sait pas de quoi il s’agissait…

 

Des thèmes bien variés et intéressants.

Il manque simplement la chute du récit, déconcertante, imprévue. Celle qui scotche et bluffe le lecteur qui ne s’attendait pas à une telle conclusion.

Quand j’ai été surprise, c’est parce que je trouvais que cela se terminait en « queue de poisson »…

Un exercice très difficile, l’écriture de nouvelles..

Dommage car il y a vraiment de quoi faire avec l’éventail des sujets abordés et cette jolie écriture.

Je remercie Babélio et les Éditions Pneumatiques de m’avoir permis de découvrir cet auteur.