samedi 22 avril 2023

                                                                 💙💙💙



Les erreurs d’aiguillage ont souvent de néfastes conséquences. En prenant une mauvaise « aiguille » le voyageur pensant partir vers l’est peut vite se retrouver totalement à l’ouest.

C’est le risque que l’on prend en accrochant les wagons de Mécano.

 

Après 18 ans de bons et loyaux services, Mattia Filice nous fait partager ses expériences de conducteur de locomotive. De sa période de formation à son travail sur les grandes lignes, il nous raconte son parcours, tantôt en prose mais le plus souvent à l’aide de vers libres. Mais il ne parvient pas à nous entraîner dans la magie ferroviaire. Même si une partie du livre se déroule entre la gare St Lazare et la Normandie, pas de « Lison » ni de Jacques Lantier. On reste sur le quai, sans être bercé par le staccato des boggies roulant sur les rails. L’auteur regarde son travail avec beaucoup, peut-être trop de recul au point de nous faire croire à son désintérêt pour son métier. Le rêve est aussi absent que la saveur dans un sandwich SNCF.

Beaucoup d’abréviations et de termes techniques qui parlent à ses collègues ou aux ferrovipathes patentés. Par contre, les béotiens se perdent souvent dans les BB, VB2N, les carrés ou autres zéros du KVB, etc. le lecteur peut se retrouver tel le multiplexage qui, lorsqu’il « perd la connexion, tout s’éteint » (page 283).

Par contre, ce livre a le mérite de présenter la solitude et le décalage que représente cet emploi de conducteur de locomotive, qui n'est pas un chauffeur mais un mécano…

Le sujet plutôt original, m’intéressait, mais je ne suis pas du tout rentré dans le style qualifié de poétique par beaucoup de lecteurs….

Livre lu dans le cadre du Prix Orange 2023. Je remercie la Fondation Orange et les Éditions P.O.L de m’avoir permis de découvrir cet auteur.

 

 

 


 

vendredi 21 avril 2023

                                                                    💙💙💙


 

Pêche miraculeuse ou pêche maudite ?

Quatre marins récupèrent 40 kg de cocaïne qui dérivent sur la mer.

Que faut-il en faire ?  Cela représente un « paquet de pognon », mais en même temps, c’est bien dangereux…

Finalement, chacun emmène chez lui, 10 kg de coke avec interdiction d’en parler à quiconque…

Sauf que, bien sûr, les langues se délient, sauf que bien sûr, gagner de l’argent aussi facilement est quand même trop séduisant.

Et là, le ton de rigolade du début vire au drame et même à la tragédie.

J’ai bien aimé les dessins avec une mention spéciale sur les expressions, souvent en gros plan, très travaillées.

Les paysages, comme ceux de la page 10 ou de la page 23, sont dépouillés pour laisser le lecteur admirer la beauté de la mer et du littoral. Et c’est réussi !

Une excellente BD d’aventures où la morale de l’histoire pourrait être : « ne s’improvise pas dealer qui veut »….

Je remercie Babélio et les Éditions Delcourt de m’avoir permis de découvrir cet auteur complet.

mardi 18 avril 2023

                                                                  💙💙💙💙

Quelle excellente idée ! Raconter l’histoire d’Édouard Manet et Berthe Morisot, en utilisant les lettres que cette dernière  écrivait à sa sœur Edma, peintre elle aussi. Ainsi, on entre immédiatement dans l’intimité de Berthe.

Un amour impossible, mais surtout une complicité et une très grande estime mutuelle.

J’ai bien aimé la réalité des portraits, de leur milieu aisé et bourgeois. De la soif de reconnaissance de Manet par les milieux officiels. Sa souffrance quand il ne comprend pas le rejet et le mépris féroces dont il est l’objet.

J’ai beaucoup aimé aussi  les planches de paysage, soignées, précises, aux couleurs claires et, celles d’intérieur aux couleurs orangées, donnant une atmosphère chaleureuse.

Mais je n’ai pas apprécié les dessins des personnages, assez banals, surtout en ce qui concerne les deux sœurs, représentées comme des poupées mignonnes.

 C’est mon seul bémol. C’est bien fait, et se laisse lire avec grand plaisir.

A la fin du récit, les précisions concernant la vie de Manet, ainsi que la présentation de ses principaux tableaux à la fin de l’histoire, complètent fort judicieusement  la BD.

 


 

dimanche 16 avril 2023

                                                                       💙💙💙💙💙


 

Un vrai moment de plaisir avec cette fable grinçante, parfaitement maîtrisée, tant par le texte que par le graphisme.

Au Moyen-âge, dans un petit bourg, une truie est accusée d’avoir provoqué la mort d’un cavalier, fils de notable.  Elle et son propriétaire sont emmenés en prison. Ce type de situations existait, en effet, à cette époque.

Cela commence comme  une fable de Jean de la Fontaine, des animaux qui parlent, avec le réalisme de ceux qui observent les hommes.

Dialogue entre une poule et une oie :

« Il va y avoir un procès, dit-on.

Certainement, les hommes appellent cela « la justice », une sorte de passage avant de revenir à leur barbarie habituelle »

On peut se dire, en commençant la lecture, que le ton est léger, humoristique. Qu’il va s’agir d’une histoire qui se termine bien grâce à la complicité des animaux, avec un homme juste et intelligent qui plaide pour la truie et son propriétaire. Ce dernier est un brave paysan simple, doux et gentil. Tout devrait donc bien se terminer et les méchants seront punis.

Sauf que la méchanceté de l’homme, la force et la puissance des notables, le mépris des plus faibles vont l’emporter. « La raison du plus fort est toujours la meilleure » disait fort justement Jean de la Fontaine.

Il s’agit d’une observation très fine des travers des hommes, de leurs discours stéréotypés (toujours bien en cours aujourd’hui), des attitudes habituelles pour trouver un bouc émissaire, du respect de l’animal, du sens de la justice, du rôle de la religion, des phénomènes de foule qui se laisse manipuler, de la place de la femme dans la société :

« Pour votre gouverne, Madame, sachez que la justice à l’instar de Dieu, n’est pas là pour être clémente, mais pour garder les hommes, et plus encore les femmes sur le droit chemin. »

Les auteurs de cette BD nous proposent une fable de notre temps, avec des dessins en plus. Ils sont dépouillés pour laisser toute la place aux expressions. et celle des animaux est particulièrement réussie. Voir le chat, page 40, celle de la truie, page 57, ils sont saisissants de réalisme. Le fond des planches accompagne admirablement les différentes scènes, dans leur dramaturgie, comme une musique accompagne un film.

Bravo aux auteurs également pour ce brutal changement de ton. Je n’ai rien vu venir et le récit bascule dramatiquement à ce moment.

Une vraie réussite, à la portée de tous, adolescents et adultes.

Je remercie Babélio et les Éditions Delcourt / Mirages de m’avoir permis de découvrir cette BD passionnante. 

 

 

lundi 10 avril 2023

                                                         💙💙💙💙💙


 

Encore un récit de montagne, diront certains… Et pourtant, avec les planches  et  le texte de JM Rochette, chaque histoire est différente  et passionnante.

 

1998 – dans le Vercors.

Un berger tue un ours. Tous célèbrent cet exploit, sauf un enfant, Édouard Roux, qui aime et protège les animaux. Celui qu’on appelle le « fils de la  sorcière », ou « le fils de l’ours » rejeté par les autres enfants et la communauté villageoise.

Édouard, de retour de la 1ère guerre mondiale et « gueule cassée » se réfugie dans les montagnes jusqu’au moment, où une sculptrice animalière, Jeanne, lui redonne un visage. Chacun fait découvrir à l’autre son domaine. Un couple fusionnel aux engagements forts

Resté seul dans le Vercors, Édouard ira jusqu’au bout de sa vie (je ne dévoile rien, il s’agit des 1ères pages du récit) pour protéger une ourse des chasseurs.

Le héros de l’histoire est Édouard, mais également et peut-être surtout, le Vercors. En le replaçant dans la préhistoire, où les hommes se nourrissent de la chair de l’ours, mais le respectent : « tant que de dans la montagne, règneront les ours, le soleil se lèvera le matin, mais au soir où mourra la dernière reine, alors, ce sera le début du temps des ténèbres. »

Au Moyen-âge, où commencent les chasses aux sorcières, envers celles qui protègent et « prient l’ours ».

Dans ce récit, de nombreux thèmes sont traités. L’exclusion de ceux qui sont différents, l’ignorance, la peur, la barbarie. Également la honte, la réclusion pour ceux qui sont victimes. Quand Jeanne refait le bas du visage d’Édouard, c’est lui qui a honte de son visage  et Jeanne lui dit : « Honte de quoi ? Ce n’est pas à vous d’avoir honte, mais à la société qui vous a fait ça. »

La plus grande partie du récit se déroule dans le Vercors, planches magnifiques sur les montagnes, sur les animaux. Des planches souvent sombres qui donnent la tonalité au récit.

Les dessins d’animaux sont saisissants de réalisme, tant dans les expressions, que dans le poil. Je repense au regard du singe derrière les barreaux de la page  77. Les peintures de la grotte rupestre que fait découvrir Édouard à Jeanne sont toutes aussi réalistes. Avec notamment celle de l’ourse, (page 117)  « la dernière reine » où Jeanne, pourtant spécialiste en la matière dit : « on dirait qu’elle vit. On a l’impression de l’entendre respirer. » Et c’est exactement cela, comme si l’ourse ne demandait qu’à prendre vie !

On comprend surtout – et c’est un des messages récurrents de l’auteur – que l’homme est un loup pour l’homme, pour la nature et pour les animaux qui l’entourent. Un prédateur bien pire que l’ours.

Une BD pour faire réfléchir, une BD pour mieux comprendre.

 

 

 

 

dimanche 9 avril 2023

                                                                     💙💙💙


 

Un thème intéressant sur les différences, l’exclusion.

Dans un village de Provence, deux histoires s’entrecroisent.

Celle de Paul-Marie, humilié dans son enfance par son père, qui aurait souhaité un garçon « fort en gueule », chasseur, dragueur. Exactement l’opposé de Paul-Marie, chétif, timide et sensible. Protégé par sa mère, « une taiseuse ».

Et celle d’Enzo, déficient mental et de sa mère Geneviève.

Au cours d’un stage dans le service comptabilité de la mairie, Enzo se trouve sous la responsabilité de Paul-Marie  qui le dirige. Enzo redoutait ce stage qui le sortait de son cadre habituel et rassurant (la chèvrerie), et finalement il apprécie infiniment Paul-Marie qui le prend sous son aile.

Mais Enzo est également un jeune adulte dont les pulsions sont violentes et incontrôlées…

Que s’est-il passé pour que Paul-Marie se réfugie et se calfeutre chez sa mère, à l’abri de tous les regards ? 

Deux hommes en quête d’identité, un frère adoré disparu trop tôt, deux portraits de mère. Des personnages bien campés, crédibles et une analyse psychologique très fine concernant Enzo et surtout Paul-Marie.

Des clichés tenaces dans un village…

Un roman à la mode « Franck Bouysse », auteur que je connais bien et apprécie.

Il m’aurait passionnée, si les scènes crues, notamment de masturbation, n’étaient pas aussi nombreuses, aussi détaillées. D’autant plus qu’elles n’apportent pas grand-chose au récit.

De plus l’action se déroule dans les années 2000. On a plutôt l’impression qu’il s’agit des années 50 / 60, car même dans les villages les plus isolés, les habitants  ont évolué et ne réagissent plus de cette façon aussi caricaturale.

Dommage !

Ce ressenti est par définition bien subjectif et je comprends que d’autres aient apprécié 😊

Livre lu dans le cadre du Prix Orange 2023.

Je remercie la Fondation Orange et les Éditions Laffont de m’avoir permis de découvrir cet auteur.

 


dimanche 2 avril 2023

                                                                 💙💙💙💙💙


 

Un gros coup de cœur et en même temps, un regret : le personnage central n’a pas existé… Il est tellement crédible, tellement bien campé que j’aurais aimé retrouver Elio dans la réalité du 20ème siècle.

Février 1912 – Naples. Musetta, vient d’accoucher d’Elio et se projette dans l’avenir :

« Cet enfant apprendra à lire et aussi à écrire. Si le village rechigne, très simple, ils le quitteront. Ils iront vivre ailleurs, près d’une école. Être mère rend plus fragile, mais donne de la force. Son fils en aura. Elle lui apprendra à faire provision de bonheur, lui montrera comment arranger ça en lui. Ils n’oublieront pas de rendre grâce au Seigneur de leur chance d’être à deux. (…) Ce qu’elle espère pour son enfant, n’en finit plus d’envahir sa tête. Musetta voit grand pour son petit.

_ Tu seras quelqu’un, lui murmure-t-elle. »

Mais Musetta meurt quelques heures après.

Un gamin abandonné qui va comprendre, malgré la dureté, les brimades, tout le sens de la résilience, et cela dès son plus jeune âge :

« Dans la vie de tous les jours, il fait comme sœur Anna-Maria le lui a appris, il s’occupe seulement du meilleur. Oublie le mauvais, disait-elle, ça ne sert à rien. »

Car il a la chance de faire de belles rencontres, celle de la sœur Anna-Maria, celle de Giuseppe Tropeano, un médecin qui se consacre aux enfants abandonnés. Deux personnes pleines d’humanité et de générosité, qui vont contribuer à former le petit Elio.  

Envoyé dans une petite ile napolitaine, il va comprendre la beauté et la puissance de sa voix. Toujours avec la même humilité, la même reconnaissance aux personnes qui l’ont aimé et aidé, ainsi qu’à Dieu.

Comme si les mots de sa mère, juste avant de mourir, prenaient forme. Est-ce que ces mots, justement, ne sont pas les fondations de sa personnalité ? Ceux qui l’ont amené à saisir les belles rencontres, à en faire quelque chose.

C’est encore ce qui va se passer quand il s’installera en France pour fuir le fascisme. Convaincre mademoiselle Renoult, « Mademoiselle », professeure de rôles, grande dame de l’art lyrique, de perfectionner encore sa voix, de sublimer ses personnages. Car tous les deux sont exigeants et recherchent la même chose : se mettre au service de la musique, magnifier le rôle en laissant l’égo de côté. 

Le binôme parfait fonctionne magnifiquement : un chemin tracé vers la musique, pour la musique.

 L’Echo de Paris en 1935, suite au récital d’Elio sur la scène de l’Opéra Comique, ne s’y est pas trompé :

« Hier, nous avons entendu chanter une âme. Derrière la technique éblouissante, des qualités secrètes nous ont montré un Nadir vrai. (..) Son énergie physique s’était faite spirituelle. Sa voix n’était plus qu’un dedans qui cherchait son dehors. »

Fin de la première partie : l’histoire d’un ténor exceptionnel, salué de toutes parts et dont la vie semble toute tracée, avec la rencontre de Fernande, dont il est éperdument amoureux.

Mais la guerre est déclarée en 1939, et Elio s’engage.

 

Par contraste, la seconde partie du roman montre les errements, la quête d’Elio, qui a tout perdu quand il rentre en France en septembre 1945 : l’amour de Fernande  et surtout  l’amitié, le soutien indéfectible  de Mademoiselle car elle est décédée.

Donner un sens à sa vie, rechercher son identité,  se mettre au service de la musique comme simple choriste. Se sentir utile tout en conservant beaucoup de recul et une infinie modestie.

Là encore, il va faire de belles rencontres et trouver le chemin qui lui apportera la sérénité.

Le héros du récit est bien sûr, Elio, mais il partage la tête d’affiche avec la musique. Une musique sensible, intelligente, émouvante, chargée de sens.Dépouillée et sans artifice.

Je n’aime pas beaucoup (faute de connaissances) l’opéra et là, j’ai pris du plaisir à redécouvrir Verdi, Rossini, Mozart…

Générosité, sensibilité, trame romanesque puissante et intelligente. Un récit qui rend heureux.

Lu dans le cadre du prix orange 2023.

Merci à la Fondation orange et aux Éditions Flammarion de m’avoir permis de découvrir cette auteure.