lundi 30 octobre 2023

                                                               💙💙💙💙💙


 

Auteur du remarquable livre « la guerre des métaux rares »

Le numérique dématérialisé ? Un numérique « vert » ?

Non ! Guillaume Pitron le démontre au fil des pages dans un ouvrage très documenté. « Les technologies digitales rejetteraient près de 4% des émissions globales de CO2. » Presque le double du secteur aérien mondial »

Sans compter l’augmentation de la consommation électrique. Elle est estimée à 20% de la consommation mondiale en 2025.

 

Avec beaucoup de pédagogie, l’auteur nous explique  le voyage de notre malheureux « like » dupliqué à des milliards d’exemplaires, acheminé, quelquefois au bout de la planète par des câbles sous-marins  et conservé dans les Datacenters. Des monstres de consommation électrique.

J’ai infiniment apprécié cette mise en garde argumentée contre le leurre d’un numérique vert et bénéfique pour la planète.

J’ai encore plus apprécié, au niveau du numérique, cet avertissement : la protection de la planète se situe au niveau mondial et national, mais elle passe aussi par moi. Dans les efforts quotidiens. Ceux qu’on n’imaginait pas : nettoyer notre boîte mail, conserver l’indispensable et supprimer le reste.

Je ne sais pas si la planète nous dira merci, je ne sais pas s'il est encore temps, mais il est impossible de rester passif et de compter uniquement sur les pouvoirs publics.

Passionnant, l’interview de Pascal Boniface, de l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques)

https://www.iris-france.org/163333-lenfer-numerique-4-questions-a-guillaume-pitron/

 

samedi 28 octobre 2023

                                                                     💙💙💙💙


« Big brother is watching you » avec des yeux bridés…

A travers ce volumineux roman ( 600 pages), José-Rodrigues Dos Santos nous plonge dans l’enfer que subissent le peuple Ouïghours, mais aussi les Kazakhs et les Kirghizes dans la province du Xinjiang à l’ouest de la Chine, près de la frontière tibétaine. On suit le parcours de Madina, jeune fille ouïghours que sa famille, de confession musulmane, a choisi, pour la protéger elle et sa famille, de faire entrer dès son plus jeune âge dans le système du parti communiste chinois.

Mais malgré son travail acharné, son adhésion aux idées du parti, son formatage intellectuel, elle reste et sera toujours considérée comme une autochtone, une « chinoise » de seconde zone. Malgré sa carte du parti, elle va endurer tous les tourments, toutes les atrocités que le parti communiste chinois a fait, continue de faire et fera encore subir à cette population que ce même parti trouve réfractaire à sa pensée unique.

Parallèlement à l’histoire de Madina, nous suivons les pérégrinations de l’historien Tomàs Noronha, personnage récurant de J-R Dos Santos, sorte d’Indiana Jones portugais, qui part secourir son épouse Maria-Flor,  enlevée en même temps qu’une femme voilée, à la frontière du Tibet par des militaires chinois.

Par l’alternance des chapitres, l’auteur nous fait vivre tantôt les difficultés de Madina, tantôt les recherches de Tomàs pour retrouver son épouse.

Il y a donc bien deux livres dans ce roman. Deux ouvrages bien différents.

Le premier nous raconte la vie ou plutôt la non-vie de Madina qui ne comprend pas tous les obstacles placés sur son chemin malgré tous ses efforts. Cette partie, très documentés, nous fait entrer dans les coulisses du fonctionnement du parti communiste chinois et de la mainmise de ce dernier sur toute la population, ainsi que l’acharnement mis en place pour lutter contre toutes les formes de contre-pouvoir. Ce récit, bien que parfois un peu répétitif, nous interpelle, nous glace et ne peut nous laisser indifférent.

Le second de prime abord, n’apporte rien à l’histoire de Madina. Mais il permet de mettre en évidence et d’expliquer  les objectifs  mis en place par le parti communiste chinois à travers la création des « Nouvelles Routes de la Soie ». Tomàs est aidé dans sa quête par Chang un agent de la CIA, chinois d’origine (on se croirait plonger dans « Tintin au Tibet »).  

Cette histoire « parallèle » permet surtout à l’auteur de mettre en évidence les trois principes de base de l’actuel parti communiste chinois :

1-« Utiliser la campagne pour encercler la ville » ;

2- « Etre rond à l’extérieur et carré à l’intérieur » ;

3- Cacher son jeu et attendre son heure ».

Si les deux premiers sont de Mao Tsé Toung, le troisième remonte à l’antiquité chinoise. Par contre, l’entrée en scène de la toute puissance américaine et à la fin de l’ouvrage, les effets spéciaux dignes d’un film de l’univers Marvel nuisent  à la qualité du récit de l’histoire de Madina. C’est dommage.

En conclusion, ce roman très documenté et édifiant nous informe sur les visées mondialistes du parti communiste chinois, avec comme objectif de devenir la première puissance mondiale à l’horizon 2049, soit pour le centenaire de sa création, en rappelant la formule de Sun Tzu présente au début de l’ouvrage : « Tout l’art de la guerre est basé sur la duperie » !

Une belle découverte, que je conseille.

Chronique en collaboration avec poesidées. Blog : http://gerardpipa.blogspot.com/

 

 

 


dimanche 22 octobre 2023

                                                               💙💙💙💙


Attraction immédiate pour la couverture. Elle est mate, douce au toucher, veloutée. La reliure est cousue, le signet rouge promet de belles lectures. Le dessin est doux  et délicat. Aussitôt, on commence feuilleter. Même plaisir pour les pages. Un papier épais, type parchemin, dans les tons ivoire. Un vrai plaisir tactile et visuel !

Le graphisme est raffiné, en coloris pastel. Certaines pages, dans les coloris sombres ou sépia, se passent même de texte. Comme celles de la tempête de neige, dans les premières pages. Le lecteur est tout de suite immergé dans l’histoire.

Ce roman graphique est inspiré de la vie de Haru Kobayashi, au début du 20ème siècle. C’est une goze. Ce sont les femmes japonaises aveugles qui survivaient  en jouant du shamisen (un instrument traditionnel à cordes) dans les villages traversés.

Haru est orpheline et pauvre. Elle ne possède rien, mais elle fait du bien à tous ceux qu’elle rencontre. Une infinie bienveillance et beaucoup de sagesse :

« La poésie de la vie est comme un livre vide qui attend la plume »

Ce récit est d’abord une ode à la puissance apaisante de l’art,  à la résilience, à l’amour. Une belle réussite, même si j’ai trouvé qu’il  manquait de densité. A priori, la vie de Haru expliquée et documentée, à la fin,  était passionnante.

Mais rien que pour la qualité du papier, de la couverture, le raffinement des dessins, je conseille ce livre. Surtout à ceux qui sont sensibles à la littérature et à l’art japonais.

Si vous le lisez, commencez bien par le « bonus » des  dernières pages. Ces documents présentent la vie de Haru, l’art musical, les textes des chansons.

Ainsi, on comprend et on apprécie beaucoup mieux cette jolie BD.


                                                                   💙💙💙💙


C’est le jour et l’heure pour Edith. Partir en Suisse avec ses quatre enfants, son mari, Simon, pour une euthanasie volontaire.

Elle se sait incurable et elle sait surtout que désormais, c’est la démence qui la guette.

Tous partent en voiture de Lyon à Bâle. Durant ce « road movie », ou ce compte à rebours (comme vous voulez), chacun devient le narrateur.  Il ou elle exprime ses propres souvenirs, souvent avec des sursauts de révolte face à la décision de leur mère. Par exemple, Anna, la benjamine,  pense à son fils Léon : « Toutes mes larmes sont pour lui, à présent. Pour cette grand-mère qu’il adorait et qu’il ne verra plus. »

Une mère et une grand-mère adorée qui va manquer.

C’est aussi la prise de conscience pour les enfants d’être désormais seuls et responsables :  « Perdre sa mère, c’est devenir définitivement adulte, c’est se dire, je ne peux plus aller chouiner dans les jupes de Maman, je n’ai plus qu’à m’assumer. »

Pourtant, ils comprennent et acceptent sa décision. Peut-être aussi, car ils sont, en majorité dans le corps médical.

Ils vont d’ailleurs discuter âprement à propos des cendres, de leur dispersion.

Sujet grave, difficile, qui peut faire peur à beaucoup. Traité avec beaucoup de lucidité, d’amour et d’humanité. Sans mélo. Pas du tout larmoyant, encore moins glauque.

Une façon saine d’envisager la mort. La liberté de parole est permanente dans cette famille et elle fait du bien. Ce n’est pas le choix du désespoir, mais celui de la lucidité, de la liberté. Celui aussi d’une femme de caractère, et d’une famille soudée et aimante.

Accepter la mort, sa mort, celle de ceux qu’on aime. Bien sûr, c’est terriblement difficile, mais cela fait partie de la vie.

L’émotion, la souffrance, les doutes sont forts : C’est comme si ta mère se tuait sous tes yeux tout en te demandant de lui faire un bisou. Et accompagner sa mère dans un suicide, ça laisse des traces.»

Comme le dit si justement Théo, le benjamin : « Etre médecin, c’est surtout apprendre à connaître le vivant. La mort entre dans la normalité du vivant au même titre que la vie. La mort, c’est la vie. Il faut l’accepter pour mieux vivre. »

Une belle réflexion sur la vie, tout simplement. En conclusion, je laisse la parole à Simon, le conjoint d’Edith : « Moi, je vois la mort comme une étape de la vie(…) Edith, c’est comme pour mon grand-frère, comme pour mes parents, elle continuera de vivre à travers nos discussions.(…) Mes morts, ils viennent au moment où j’ai le plus besoin d’eux. Quand je dois prendre une décision. »

Un beau roman, tout simplement.

Et entre parenthèses : la mort volontaire assistée existe en Suisse depuis 1480.


mercredi 18 octobre 2023

                                                                   💙💙💙💙


Un feel good intelligent et humoristique. Peut-être pas si fréquent, non ?

L’histoire en alternance de Lili, Elise et Edouard. Edouard, c’est le chien. Mais il est important dans ces deux histoires. Celui qui est recueilli, qui sera abandonné… Ou pas…

Lili, jeune maman, donne naissance à une petite prématurée. Mais aussi à la culpabilité, à l’angoisse, au manque…

« Sa chambre. A la place du lit, un trou, à la place du bureau, un trou. A la place de mon cœur, un trou. »

J’ai aimé la façon d’aborder les problèmes entre les  mamans, dont les bébés restent hospitalisés. Notamment celui du baby-blues. En parler ensemble, permet de le relativiser et ensuite, d’en rire. Un phénomène naturel…

 « _ J’ai pleuré quand ma mère m’a apporté des culottes propres.

_ Moi, quand la boulangère m’a annoncé que les chouquettes étaient en promo.(…)

_ J’ai voulu divorcer parce que mon mari avait sept minutes de retard. »

Elise, la cinquantaine.  Le « petit dernier » vient de quitter le nid pour étudier. Elle se retrouve seule, avec le chien… Seule et vide. Il faut « s’occuper » occuper la tête.

L’humour prend le relais de la gravité, avec beaucoup de réalisme, de vécu. Elle reprend donc une activité physique : « Ce soir, je découvre des muscles dont j’ignorais l’existence. »

Le thème de la dépendance affective envers les gens aimés, essentiels, aux yeux d’Elise est particulièrement bien analysé.  Sa prof de danse qui est devenue une amie, lui dit : « Bientôt, tu n’attendras plus des autres qu’ils te rendent heureux. »


Graphisme simple mais juste et précis. Coloré et gai. Concentré sur l’expression des visages.

Sous ce graphisme léger et ces dialogues courts et directs, sont abordés des sujets graves et intemporels : l’amour maternel, la notion de responsabilité, de culpabilité, de dépendance affective.

Egalement la nécessité de bienveillance, d’indulgence envers soi-même.

La psy : «Jamais, vous n’oseriez faire de tels reproches à quelqu’un d’autre. Mais à vous oui ! »

Le ton est très juste. Toutes les mamans du monde se reconnaissent dans les remarques, les angoisses, les crises de fou rire.

Une vraie réussite !

 

Merci à Netgalley et aux Editions « la boîte à bulles » de m’avoir permis de découvrir cette BD tirée du roman de Virginie Grimaldi : "Et que ne durent que les moments doux".

 

La boîte à bulles. A paraître le 2 novembre

 


                                                                       💙💙💙💙


 

Première impression : quelle belle écriture ! Simple, fluide, précise. Ca commence bien !

En Italie – 1904 – 1986 – La vie et la mort de Mimo Vitaliani. Il cumule tous les ingrédients pour connaître une vie misérable. De petite taille (à la limite du nanisme), misérable et exploité par un sculpteur de pierres.

Sauf que… Ses mains enchantent la pierre, son sens de la création est  inné.

Dans le même village, Viola Orsini. La fille des notables, des « seigneurs » du village à qui tous se soumettent.

Entre les deux enfants, une amitié indéfectible, puis un amour se nouent.

Sauf que… Bien sûr, rien n’est possible entre eux.

 

Mimo va partir à Florence, à Rome, parfaire sa technique. Sans la présence de Viola, il se vautre dans les bas-fonds, comme une fuite en avant, provoquée par le désespoir.  Il devient aussi le protégé des Orsini qui s’appuient sur son talent, tandis que le fascisme, en arrière plan, gronde. Mimo ne soucie pas du tout de la politique, même pas de devenir l’un des artistes patentés du régime de Mussolini…

Proche de la mort,  Mimo se souvient et évoque aussi « La Piéta », la statue que lui a commandée le Vatican et qui demeure cachée dans l’abbaye du Piémont où il vit en reclus depuis une quarantaine d’années.

Une mystérieuse statue : « On l’enferme pour la protéger »…

J’ai beaucoup aimé cette fresque romanesque. Ces deux personnages liés à tout jamais et en même temps si opposés. Elle est éduquée, riche, complètement extravertie, ne doutant de rien. Lui, enfermé dans son milieu, sa pauvreté, sa petite taille. Et pourtant…

Peut-être car chacun accepte la différence, reconnait toute la richesse que l’autre apporte. C’est ce que dit Viola : « Toute ma vie, j’ai eu besoin de toi pour être normale. Tu es mon centre de gravité, raison pour laquelle tu n’es pas toujours drôle. Mais il y en moi une anormalité que même toi, tu ne soigneras jamais : c’est que je suis une femme et que je n’en ai rien à faire. »

En filigranes, c’est aussi la condition de la femme qui est abordée. A l’époque, quel que soit le milieu, les femmes sont des mineures soumises à l’ordre masculin.

J’ai encore plus aimé le rapport à la sculpture. Mimo est un artiste hors des sentiers battus, hors des conventions habituels. Ses œuvres sont saluées, pas souvent comprises.

C’est le cas de la Piéta. Pas celle de Michel-Ange, celle de Mimo. Le thème est semblable : la Vierge Marie dans sa douleur, le corps de son fils mort sur ses genoux. C’est tellement bien décrit que j’aurais souhaité qu’il existe vraiment une seconde Piéta, un vrai Mimo  Vitaliani.

On comprendra à la fin pourquoi elle est cachée, et l’explication est belle, conforme à la personnalité de Mimo, à son amour pour Viola.

Un très bon moment de lecture…

 


                                                                   💙💙💙💙💙


Avant de parler du roman, une petite parenthèse sur l’auteur : une sacrée palette de talents. Trois livres savourés, tous, bien différents.

« Dans les yeux du ciel » : la puissance, l’intensité, le cri, le prix de la liberté. 

« Voyage au bout de l’enfance » : la lucidité et l’incompréhension d’un gamin emmené en Syrie par ses parents. La force du regard de l’enfance

Et « Les silences des pères » : un livre tout en retenue, en justesse et en émotions. Lui aussi, suscite la réflexion. Pour lui aussi, les personnages continuent de vivre dans ma tête, une fois le livre refermé.

L’histoire :

Le fils  revient à Trappes au décès de son père. Ils ne se parlent plus depuis de nombreuses années. Le fils, grand pianiste, est aussi le narrateur.

Son père est un « taiseux » et son fils n’a jamais compris, jamais accepté son silence lors de la mort accidentelle de son frère en mobylette. Quand il a été pris en chasse par deux motards.

« Craignant un contrôle d’identité, il avait accéléré. Un coup de guidon trop vif et l’accident était arrivé. L’absence de casque fit le reste. Il agonisa 10 mn sur le bitume, et c’en fut fini de mon frère. »

« Je tenais mon père responsable de tous les malheurs de ma famille. Dès mon adolescence, je l’ai rejeté. La mort violente de mon frère avait été une telle meurtrissure. Son silence avait été une forme de lâcheté. »

En rangeant ses affaires, il va découvrir des cassettes étiquetées par date et par lieu. C’est la voix de son père qui s’adresse à son propre père resté au Maroc. Il lui raconte sa vie, lui demande conseil.

Le fils va alors repartir sur l’histoire et la personnalité de son père : rencontrer ses amis dispersés en France, revenir sur ses propres souvenirs et écouter attentivement les cassettes.

Et si son silence était chargé de sens ? S’il exprimait justement un trop plein de sacrifices, d’’amour,  impossible à exprimer ?

Surtout, quand on a été habitué à taire ses émotions, à pourvoir aux besoins de sa famille, à faire le maximum pour ses enfants, à obéir aux ordres des parents.

Cette réflexion s’ouvre sur la parentalité en général. D’où – je pense – le titre au pluriel : « les silences des pères ». Faire le maximum pour les enfants. Sans toujours être compris en retour, sans chercher à valoriser leurs efforts. C’est normal, on aime les enfants, on cherche le mieux pour eux.

 

C’est une belle histoire (sans doute autobiographique) sur la mémoire, la compréhension, le regret et bien sûr le silence.

« Et si le silence était notre dernier espace de liberté ? Là, où s’appréhende notre savoir, ce que nous avons appris de l’existence. Se taire pour accéder au vrai, au beau, au juste ? »

Ce qui m’a émue, c’est l’incommunicabilité entre les deux générations, deux éducations bien différentes. Le père qui obéit, comme un gamin, à la voix de son père, quand ce dernier n’accepte pas la femme qu’il aime en France.

A rapprocher du roman d’Alice Zeniter : « L’art de perdre ».

Quand l’absence de communications ressemble à la haine…

 

Et ce qui m’a encore plus émue, parce qu’il fait ressortir le sentiment de honte, c’est l’extrait où le Père sort prématurément du bus pour ne pas faire honte à son fils.

« Un jour, après le conservatoire, je me souviens, il pleuvait des cordes. Je m’étais précipité dans le bus avec mes camarades. Mon père s’y trouvait déjà, monté à un arrêt précédent, il rentrait du travail. En me voyant, il avait baissé la tête  et était descendu à l’arrêt suivant, si loin de notre cité. (…) Une heure plus tard, il était arrivé trempé à la maison. Je n’ai pas su ni même lui demander pourquoi il était descendu. Mon père redoutait que sa seule présence me fasse honte devant mes amis musiciens ».

 

Avec en arrière-plan, l’histoire de l’immigration des premières générations, les difficultés mais aussi la solidarité, les amitiés fidèles.

Un livre pudique et bouleversant.

 


lundi 16 octobre 2023

                                                                 💙💙💙💙

 


« La Turquie n’était pas seulement en guerre ouverte contre les combattants du PPK. Elle était en guerre ouverte contre les droits de l’homme. » 

En arrière fond de cet excellent roman, l’analyse passionnante de la Turquie  au début du 21ème siècle.

2016 en Turquie - Un couple d’universitaires, Göktay, sa femme Ayla et leur petite fille.

Ayla, militante dans  sa jeunesse, recherche maintenant le confort de sa famille, la préservation d’un cocon autour de l’enfant. Göktay poursuit seul l’engagement politique, signe une nouvelle pétition pour la paix  et se retrouve en prison.

Le monde s’écroule pour sa femme qui éprouve surtout de la colère. Comment a-t-il pu les mettre en danger ainsi ? Car son geste menace désormais toute la famille…

Au fil des rencontres et de la résistance farouche de son mari, Ayla va petit à petit comprendre et le soutenir.

J’ai infiniment aimé ce récit sans jugement sur les citoyens turcs. Prisonniers de la peur ou de la manipulation qu’exerce le régime,  comme la jeune musulmane Fatma. Elle soutient Erdogan, voyant en lui, le chantre de l’Islam politique, qu’elle juge tolérant, en un premier temps.

J’ai retrouvé aussi avec grand plaisir la puissance de l’écriture de Delphine Minoui. En effet, elle est aussi l’auteur de « Les passeurs de livres de Daraya » qui se déroule en Syrie. La préservation d’un espace de paix, d’humanité et d’ouverture avec la sauvegarde d’une bibliothèque, alors que la violence et les bombes menacent chacun.

Dans « l’alphabet du silence », les voix, les écrits  des intellectuels  sont également  à éradiquer, à faire rentrer dans le rang de la soumission.

Face à l’oppression de plus en plus présente, de moins en moins masquée, tous les moyens de résister sont utilisés. Y compris les dessins que Göktay griffonne en prison et qu’il parvient à transmettre à sa femme.

La force du silence qui résiste, la force des dessins qui décrivent une situation.

« Le silence est un espace (…) qu’aucune dictature ne pourra jamais atteindre. »

 

C’est aussi le message d’espoir de l’autrice. Les hommes épris de démocratie, de paix seront toujours présents, trouveront toujours le chemin de l’humanité, même au péril de leur vie.

La liberté, la paix, la démocratie ont un prix.

 

En mai 2023 avaient lieu les élections présidentielles. Ce livre est paru en avril 2023 tandis que beaucoup espérait à l’intérieur et à l’extérieur du pays, une défaite de Recep Tayyip Erdogan… Hélas !...

Harmonie parfaite entre un roman, son suspens, et l’analyse de l’environnement politique.

Des romans qui nous ouvrent les yeux, qui nous grandissent.

Merci Delphine Minoui !

 

 

mardi 10 octobre 2023

                                                                 💙💙💙💙💙 


Quelle belle écriture ! Simple, précise, juste. Elle accompagne parfaitement l’histoire de René Blum, le frère de Léon.

Le frère oublié, quasiment inconnu, auquel l’auteur rend un juste hommage.

« J’ai voulu rendre hommage à la mémoire de René Blum, mais aussi à tous ceux qui ont disparu avec lui. Ce récit leur est dédié. »

12 décembre 1941 : la rafle de l’élite intellectuelle des hommes juifs de nationalité française. René Blum a 63 ans, il  en fait partie.

« René ne demanda pas non plus la raison de son arrestation, il en connaissait le motif. Il était juif. Coupable d’être juif. (…) Il entra français et juif et en ressortit juif et français. Cette simple mention lui attribuait désormais un statut et une race et lui ôtait ses droits et ses libertés. Il avait cette impression singulière de devenir étranger dans son propre pays. Un pays qu’il ne parvenait plus à reconnaître. »

Deux temporalités pour ce récit :

- Le destin tragique de René Blum à compter de décembre 1941.

- Sa personnalité et sa vie à partir de 1893.

La partie la plus émouvante se situe dans les différents camps d’internement français où René Blum a été « baladé » durant 9 mois, avant d’être déporté à Auschwitz.

A deux reprises, on lui fait même croire qu’il va être libéré.

Il raconte la tentative de survivre, de rester des hommes. L’organisation des soirées où pendant quelques heures, les détenus oublient leur statut. Je pense notamment  aux soirées à thèmes, comme celle de la présentation du fonctionnement de l’aiguillage des trains : « Ce soir là, peut-être pour la première fois depuis leur arrestation, on vit quelques hommes sourire. Entre ces quatre murs, aussi sinistres soient-ils, on apprenait, on interrogeait, on plaisantait, on s’évadait. »

Il évoque ses souvenirs, ses regrets : « les échecs, la déception, la peur avaient été présents. Il aurait souhaité allé chercher au plus profond de lui ce qu’il avait à dire mais il n’en avait rien fait. Lui dont le métier est d’exprimer et de retransmettre, quel paradoxe…

Il y évoque la peur : « René restait dans l’obscurité. (…) Il savait que s’il ouvrait les yeux des hommes lui feraient face. Des hommes comme lui. Comme dans un miroir, il y verrait la peur sur leurs visages, la douleur dans leurs yeux, la colère sur leurs bouches. Il y verrait des humiliés, effrayés par l’idée de la mort. »

Le désespoir aussi, surtout à partir du moment où les enfants sont déportés : « Mais où était l’humanité ?  L’humanité n’existait plus à Drancy. Elle avait laissé place à l’immonde. »

L’autre partie du récit est consacré à « sa vie d’avant ». A partir de 1893, où il est critique pour le journal Gil Blas ( un quotidien français à forte tonalité littéraire). On comprend vite qu’il a envie de s’engager plus loin, toujours plus loin au service de l’art. Il devient alors directeur du théâtre de Monte-Carlo. Il finira par la reprise de la Compagnie des Ballets russes de Diaghilev.

Sacré challenge que de reprendre après Diaghilev ! Il y laissera d’ailleurs des plumes, au niveau financier et personnel.  Quelqu’un qui s’engage jusqu’à se mettre en danger, pour ce en quoi il croie. Ce qui a porté sa vie d’un bout à l’autre.

Il aime le Beau. Qu’il s’agisse des livres, de l’art, de la danse.

« René dédia sa vie à promouvoir la représentation artistique. L’art permettait de traduire la conscience, de retranscrire des époques, de révéler, des peurs et contribuait à réduire l’ignorance. René s’était battu jusqu’à sa ruine pour donner aux artistes  les moyens d’exprimer leur art. Une vie passée auprès d’eux. Pour eux. »

Un très beau portrait tout en retenue pour évoquer les émotions, les peurs de René Blum. Je pense d’ailleurs que l’auteur a parfaitement saisi sa personnalité, et l’a bien restituée. Un homme qui ne s’épanche pas, qui garde pour lui ses émotions, les refoule même, si elles gênent son projet.

Merci Aurélien Cressely d’avoir rendu hommage à ce passionné, cet homme de valeurs. Quelqu’un de bien.

Et félicitations, pour un premier roman ! Récit maitrisé, bien documenté et plume magnifique !

Merci à lecteurs.com et aux Editions Gallimard de m’avoir permis de découvrir cette biographie et cet auteur.

 

lundi 9 octobre 2023

                                                                        💙💙💙


 

Déception…

J’apprécie infiniment cette maison d’éditions qui produit des livres passionnants. Je pense notamment à « Bombay » de Marie Saglio et « Je suis né laid » d’Isabelle Minière.

 

L’histoire :

Le narrateur est également le héros principal, Dalibor, un jeune serbe de 24 ans. Il rejoint Istanbul pour l’amour de Merve, qui, hélas, ne partage pas du tout son amour.

Par fierté, il reste à Istanbul où il survit grâce à un job d’enseignant.

Il tombe amoureux d’Evelyn et l’essentiel du roman sera consacré à cet amour.

Il est pressant, « collant », envers elle,  comme un adolescent qui découvre l’amour et se pose mille questions à propos de « son aimée ».

Elle finit par le quitter et il s’invente une histoire délirante, à la limite de la folie pour justifier cet abandon.

 

L’analyse de l’immaturité pathologique, du narcissisme de Dalibor  aurait pu être intéressante si elle n’était  accompagnée d’un ton geignard qui traîne en longueur.

 

J’espérais une vision d’Istanbul mais je dois reconnaître qu’à part les embouteillages monstres de la ville et la séparation bien marquées des secteurs asiatiques et européens, je n’ai pas vu grand-chose d’Istanbul…

 

Je remercie Babélio et les éditions Serge Safran de m’avoir permis de découvrir cet auteur.

 

 

 

dimanche 1 octobre 2023

                                                                   💙💙💙💙 


Un huit clos dense et puissant entre deux frères et une sœur, au décès de leur père. Un huit clos sur trois jours, trois actes et un même lieu, la maison des parents.

L’histoire est racontée à tour de rôle par Antoine, le plus jeune, et Claire, l’ainée. Et en un dernier chapitre, par Paul, le cadet. Mais Paul est aussi le mouton noir de la famille, car il est réalisateur et règle ses comptes d’enfance via ses films ou ses pièces. Tous lui en veulent, et surtout Antoine, de tordre le nez à la vérité et de les présenter sous une forme indigne et humiliante.

J’ai particulièrement aimé cette atmosphère lourde et pesante portée par une écriture simple et très juste.

Chacun raconte, selon sa sensibilité, ce qui se passe, mais aussi sa vie. Claire qui veut quitter son mari, Antoine qui va devenir papa avec une femme qu’il n’aime pas. Toujours amoureux de Lise qu’il a connue durant sa jeunesse.

Antoine est d’ailleurs le plus à vif dans cette confrontation, le plus remonté contre son frère. Lui : « le fils dévoué contre le fils ingrat. »

Les histoires personnelles de chacun s’entrechoquent avec la mort de leur père (peu aimant et peu aimé) et Paul, qui revient après des années d’absence et de silence. C’est le trop plein d’incompréhension, de sentiment d’injustice qui s’exprime et les violences verbales et physiques seront omniprésentes durant ces trois jours.

J’ai beaucoup aimé la maîtrise de l’analyse psychologique. Trois portraits parfaitement abordés. Il n’y a pas un méchant et deux gentils, mais simplement une fratrie, avec son langage direct qui tente de comprendre, de se comprendre, de comprendre leurs parents et leur éducation. Comme s’il  s’agissait de leur dernière chance pour s’apprivoiser.

Mais les traces et les souvenirs de l’enfance restent indélébiles. Encore  plus chez les deux garçons comme le pense si justement Claire : « Chez eux, l’enfance, l’adolescence avait la peau dure. Le sparadrap du capitaine Haddock. »

Un excellent moment de lecture !