💙💙💙💙💙
Avant de
parler du roman, une petite parenthèse sur l’auteur : une sacrée palette
de talents. Trois livres savourés, tous, bien différents.
« Dans
les yeux du ciel » : la puissance, l’intensité, le cri, le prix de la
liberté.
« Voyage
au bout de l’enfance » : la lucidité et l’incompréhension d’un gamin
emmené en Syrie par ses parents. La force du regard de l’enfance
Et
« Les silences des pères » : un livre tout en retenue, en
justesse et en émotions. Lui aussi, suscite la réflexion. Pour lui aussi, les
personnages continuent de vivre dans ma tête, une fois le livre refermé.
L’histoire :
Le fils revient à Trappes au décès de son père. Ils
ne se parlent plus depuis de nombreuses années. Le fils, grand pianiste, est
aussi le narrateur.
Son père
est un « taiseux » et son fils n’a jamais compris, jamais accepté son
silence lors de la mort accidentelle de son frère en mobylette. Quand il a été
pris en chasse par deux motards.
« Craignant un contrôle
d’identité, il avait accéléré. Un coup de guidon trop vif et l’accident était
arrivé. L’absence de casque fit le reste. Il agonisa 10 mn sur le bitume, et
c’en fut fini de mon frère. »
« Je tenais mon père
responsable de tous les malheurs de ma famille. Dès mon adolescence, je l’ai
rejeté. La mort violente de mon frère avait été une telle meurtrissure. Son
silence avait été une forme de lâcheté. »
En
rangeant ses affaires, il va découvrir des cassettes étiquetées par date et par
lieu. C’est la voix de son père qui s’adresse à son propre père resté au Maroc.
Il lui raconte sa vie, lui demande conseil.
Le fils
va alors repartir sur l’histoire et la personnalité de son père : rencontrer
ses amis dispersés en France, revenir sur ses propres souvenirs et écouter
attentivement les cassettes.
Et si son
silence était chargé de sens ? S’il exprimait justement un trop plein de
sacrifices, d’’amour, impossible à exprimer ?
Surtout,
quand on a été habitué à taire ses émotions, à pourvoir aux besoins de sa
famille, à faire le maximum pour ses enfants, à obéir aux ordres des parents.
Cette
réflexion s’ouvre sur la parentalité en général. D’où – je pense – le titre au
pluriel : « les silences des pères ». Faire le maximum pour les
enfants. Sans toujours être compris en retour, sans chercher à valoriser leurs
efforts. C’est normal, on aime les enfants, on cherche le mieux pour eux.
C’est une
belle histoire (sans doute autobiographique) sur la mémoire, la compréhension,
le regret et bien sûr le silence.
« Et si le silence était notre
dernier espace de liberté ? Là, où s’appréhende notre savoir, ce que nous
avons appris de l’existence. Se taire pour accéder au vrai, au beau, au
juste ? »
Ce qui
m’a émue, c’est l’incommunicabilité entre les deux générations, deux éducations
bien différentes. Le père qui obéit, comme un gamin, à la voix de son père,
quand ce dernier n’accepte pas la femme qu’il aime en France.
A
rapprocher du roman d’Alice Zeniter : « L’art de perdre ».
Quand
l’absence de communications ressemble à la haine…
Et ce qui
m’a encore plus émue, parce qu’il fait ressortir le sentiment de honte, c’est
l’extrait où le Père sort prématurément du bus pour ne pas faire honte à son
fils.
« Un jour, après le
conservatoire, je me souviens, il pleuvait des cordes. Je m’étais précipité
dans le bus avec mes camarades. Mon père s’y trouvait déjà, monté à un arrêt
précédent, il rentrait du travail. En me voyant, il avait baissé la tête et était descendu à l’arrêt suivant, si loin
de notre cité. (…) Une heure plus tard, il était arrivé trempé à la maison. Je
n’ai pas su ni même lui demander pourquoi il était descendu. Mon père redoutait
que sa seule présence me fasse honte devant mes amis musiciens ».
Avec en arrière-plan,
l’histoire de l’immigration des premières générations, les difficultés mais
aussi la solidarité, les amitiés fidèles.
Un livre
pudique et bouleversant.