mercredi 31 mai 2023

                                                              💙💙💙💙💙

La maman d’un petit garçon de 5 ans, vient d’apprendre qu’elle va bientôt mourir.  Comment lui annoncer ? Comment réagir ? Dire doucement la vérité ou envelopper les choses ? Question essentielle, terrifiante à juste titre, pour un parent.

Arthur est un enfant choyé par ses parents, ses grands-parents et sa tante. Lui-même est très affectueux. Il se rend bien compte du haut de ses 5 ans que quelque chose est différent à la maison. Les parents discutent beaucoup et à voix basse, s’interrompent quand il arrive, lui laisse faire ce qu’il veut et manger ce qu’il veut… Quelque chose ne va pas… C’est Arthur, adulte, qui raconte et revient sur ses souvenirs et impressions d’enfant.

 «Ce soir là, tout était chamboulé et je demandai à papa de me lire une histoire. Je fis durer l’histoire le plus longtemps possible, même si la voix de papa n’était pas la même que d’habitude. (…) Plus tard, j’ouvris les yeux dans la nuit bleutée de ma chambre. Maman était assise au bout de mon lit, immobile. Une statue en forme de maman. »

Malgré l’avis de ses proches et de son mari Victor, Clarisse, la maman, choisit le rêve, la poésie pour le préparer à son décès inéluctable : « Le gardien des merveilles », qui fait les nuages, la pluie, la lune, les étoiles, les fleurs,  les papillons, lui a demandé de le remplacer car il se fait vieux. Le petit questionne beaucoup et Clarisse explique longuement avec beaucoup d’amour, de tendresse et de poésie, sa future mission sur Uranus. Arthur comprend que sa maman sera « la faiseuse d’étoiles ». Quand elle sera absente, il regardera les étoiles et ils continueront d’être ensemble.

De fait, elle réussit totalement à rejoindre le monde des enfants, fait de rêves, de couleurs, où tout est possible.

Une autre question se pose aussi au fur et à mesure de la lecture : que choisir ? La vérité ou le mensonge, même s’il est pailleté d’étoiles ? Comment Arthur va réagir, va se construire, va se comporter avec sa famille quand il apprendra la réalité ?

Cette nouvelle,  à propos de l’amour maternel, est très juste et sensible. D’autant plus émouvant, qu’Arthur (le petit garçon) en est le narrateur.

Et c’est son regard tout simple, innocent, qui fait toute la force de l’histoire. Drôle aussi, comme l’épisode « Où Papi a failli décolorer un dimanche » : le pull tout gris de Papi, a assombri toute la famille et même le week-end.

Poignant, quand il exprime  à la façon d’un gamin, son inquiétude et sa douleur : «  j’avais une odeur d’épinard dans la bouche et le cœur qui s’agitait à toute vitesse dans ma poitrine. »

J’ai été bluffée par le traitement lumineux d’un thème aussi dramatique : la mort, la séparation d’avec son enfant et la poésie qui accompagnent le récit. Sans pathos, même si les mouchoirs jetables m’ont été bien utiles. C’est la triste réalité de certains événements douloureux, exprimée très justement par l’auteure.

Merci à Melissa Da Costa pour cette compréhension excessivement sensible et juste de l’amour maternel : comprendre, protéger l’enfant au-delà de sa propre vie.

Une très belle histoire d’amour, que je conseille à tous, d’autant plus que le livre participe à une campagne de dons pour l’Unicef.

Merci à NetGalley et au Livre de poche de m’avoir permis de découvrir et d’apprécier cette magnifique nouvelle.

 


mercredi 24 mai 2023

                                                                    💙💙💙💙 

Admirateurs inconditionnels de Malraux, ne lisez pas cette BD.😊

A la mode « Tintin » pour le texte et surtout le graphisme, sauf que…  Le ministre André Malraux a remplacé le capitaine Haddock…

Sauf que…. Le trait est beaucoup plus méchant que dans Tintin.

La Joconde est prêtée aux USA et le Ministre de la Culture la garde jalousement dans sa cabine. Il ne fait confiance à personne et surtout s’estime le seul en capacité de la protéger contre des vols éventuels.

Bien sûr, c’est caricatural, mais infiniment jouissif. Car après bien des années à encenser Malraux, la réalité du personnage revient en boomerang : mégalo, parano, mytho, shooté. Seule, son écriture trouve grâce auprès des auteurs. Comme quoi, ils ont bien compris le personnage du Ministre de la Culture.

Une BD féroce mais sérieuse, qui m’a donné l’envie de me replonger dans la vie de Malraux et de relire « la condition humaine ». Comme quoi….😏


dimanche 14 mai 2023

                                                               💙💙💙💙💙


 

« Au petit matin, les boîtes de nuit trahissent. Elles révèlent d’un coup la laideur et la saleté. Les lumières s’allument, la musique s’éteint ; l’air sent la sueur et l’usine, le sol colle, le palmier est en plastique. (…) Il n’y a plus que le bâtiment vide, et moi, oublié sur la banquette du fond. »

Arthur, adolescent et adulte introverti, complexé, en recherche d’amis et d’amours, va trouver un sens à sa vie en allant danser le plus souvent possible à « la Plage », une boîte de nuit. Celle-ci, personnage à part entier, monde entre parenthèses, devient une bulle, mais aussi une cage pour Arthur. Sa  seule famille, le seul endroit où il sent vraiment vivre. Hormis La Plage, il n’a de goût pour rien d’autre.

Le personnage est lucide et analyse très bien la situation : Ma vie ne tenait qu’à la boîte. Le reste était brumeux, hostile. J’avais peur de tout, de la rue, du travail, de la paperasse, des questions, des visages inconnus en plein jour. J’étais bloqué. »

Diable d’auteur ! 😊 En lisant le résumé, les premières pages du récit, je me suis dit : « encore une histoire d’ado coincé ! » et j’ai craint de m’ennuyer.

Et… Comme dans « La chaleur », la magie opère et l’auteur prend le lecteur dans ses filets. Ceux de l’écriture, ceux d’une analyse psychologique très fouillée,  tout en finesse où on ne lâche pas le livre avant de savoir ce qu’il advient d’Arthur…

L’univers littéraire de Victor Jestin est noir, parfois sordide, sans rémission. Il arrive ce qui doit logiquement arriver.

Une vraie réussite ! 👍

 

                                                                 💙💙💙💙


 

Peut-on choisir et mener sa vie sans tenir compte de son enfance, de son passé ? C’est la question que pose Nicolas Delisle-L’Heureux à travers son roman.

 

Comme les ouananiches, cette variété de saumon d’eau douce vivant dans les eaux canadiennes, qui n’ont jamais trouvé l’issue les menant à l’océan, les habitants de Val Grégoire, une petite ville du nord-est du Canada, presque le bout du bout du monde, semblent ne pouvoir quitter leur village, emprisonnés par l’éloignement et le climat, gardés par la « La Gourmande », la 385, seule route à relier ce bourg au reste du monde, et particulièrement accidentogène.

 

Tout est figé dans ce lieu. Et lorsqu’un drame arrive, les gens préfèrent « évacuer » le problème en rejetant et exilant la ou les victimes.

 

C’est ce qui arrive à Louise, gamine adoptée par un couple de prédicateurs venus s’installer à Val Grégoire. Rebelle, elle forme avec Marco et Laurence, un trio fantasme et joyeux à l’opposé de la mentalité régnant dans le bourg. Mais à l’adolescence, le trio va exploser à cause de l’agression subie par Louise. Pour éviter un scandale, ses parents décident de partir et de placer la jeune fille dans une pension.

 

Bien des années plus tard, Louise décide de revenir à Val Grégoire, à la recherche de ses anciens compagnons, Marco, l’amoureux transis et Laurence, le taiseux. Elle retrouve également Wendy, la petite sœur de Laurence, handicapée et Willy, son grand frère, cause de son départ. Elle constatera que si le nombre d’habitants a considérablement diminué, la mentalité est restée la même.

 

Nicolas Delisle-L’Heureux nous présente un Canada hors des sentiers battus. Loin de la beauté des paysages des grands lacs ou de l’éclatant flamboiement de l’automne, il nous invite dans une réalité difficile et angoissante. L’utilisation du parler québécois est utilisée avec parcimonie et nous procure une sensation d’évasion sans avoir à utiliser un dictionnaire de traduction.

 

En prenant l’option de raconter la même histoire par le vécu des trois personnages principaux qui formaient une sorte de « clan des trois », il a pris le risque que le lecteur ait un sentiment de redite. Mais heureusement, dans chaque version, des éléments font avancer le récit. C’est un livre puzzle où petit à petit, l’auteur nous emmène à saisir les tenants et les aboutissants. Ainsi, on s’attache à ce mal-être de Louise, venu de son enfance et qui conditionne toute sa vie d’adulte. Pourra-t-elle un jour s’en dégager ? Telle est la question.

Donc, "tabernacle, c’rait plate" 😂  de pas le lire, ce roman…

 

Lu dans le cadre du Prix Orange 2023.

Je remercie la Fondation Orange et les Éditions Les Avrils de m’avoir permis de découvrir cet auteur.


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« La guerre, quand tu y as goûté, elle est dans ton corps, sous ta peau. Tu peux vomir, tu peux te gratter tout ce que tu veux, jusqu’au sang, elle ne partira jamais. Elle est en toi. Alors, j’y retournais. Ça sentait encore la cendre et la poudre. Les croix s’étendaient à l’infini. Et j’enquêtais inlassablement. Durant toutes ces années 20 et une bonne partie des années 30, j’ai fait ce drôle de boulot d’enquêteur. »

Le narrateur est un combattant de 14-18 qui a perdu sa main dès la première année de guerre. Il pourrait rentrer et laisser ses camarades, mais il choisit volontairement des postes à l’arrière du front et enquête sur les soldats déclarés disparus. Alors que sa femme, Anna, qui l’aime passionnément, l’attend.

« J’étais culpabilisé parce que j’avais quitté le front à cause de ma blessure. Et j’avais culpabilisé de ne pas être rentré auprès de mon Anna quand j’aurais pu le faire. Au fond de moi, je suis même persuadé que c’est justement parce que je sentais que j’avais une dette envers mes camarades que je m’étais lancé dans ce travail d’enquêteur. »

Il ne peut retrouver la paix après la guerre, poursuit son travail d’enquêteur en répondant à la mère d’Émile Joplain, en recherchant son fils disparu. Un jeune homme fou amoureux de Lucie, à qui il envoie chaque jour des lettres passionnées. Patiemment et obstinément, le narrateur reconstitue son parcours. Il comprend aussi que « La fille de la lune » dont parlent certains soldats est bien Lucie, qui a recherché désespérément Émile durant toute la guerre, sous le feu des obus, avec les soldats agonisants. Elle représente souvent pour les blessés, une sorte de vision lumineuse et apaisante.

Ce que j’ai trouvé beau et particulièrement prenant, c’est ce contraste parfaitement bien maîtrisé entre le traumatisme intime de la guerre, à tel point qu’il est impossible d’en parler, impossible de l’exorciser,  et cette histoire  d’amour, qu’aucun obstacle, même pas celui de la peur, des obus, de la mort, ne parvient à casser.

Le narrateur sait qu’il poursuivra son enquête tant qu’il n’aura pas restitué la vie d’Émile. Car cette histoire d’amour se superpose à la sienne. Anna qui l’a attendu, et qui va mourir avant qu’ils aient la possibilité de vivre ensemble. « Et c’est parce que j’avais une dette envers Anna que je m’éreintais dans cette affaire d’Émile et Lucie. »

La culpabilisation de ceux qui sont revenus vivants est omniprésente et elle explique l’attitude du narrateur qui se sent toujours en dette face aux disparus et aux morts.

Le soldat désaccordé fait partie des finalistes du Prix des Libraires 2023.

J’ai infiniment apprécié « On était des loups » de Sandrine Collette, « les mangeurs de nuit » de Marie Charrel, mais mon « Number One » est « le soldat désaccordé ».

Sujet original, roman sombre et lumineux en même temps. Une vraie gageure parfaitement réussie !

Gros coup de cœur et merci, Gilles Marchand 💓

lundi 8 mai 2023

                                                                     💙💙💙💙💙


 

Avec le Tome 2 ( enfin ! ) les aventures de Marie-Noëlle, institutrice bretonne et de sa classe se poursuivent.  Il faut échapper aux miliciens qui recherchent Jacques Rosenthal, un enfant juif.

Les difficultés se multiplient, les dangers aussi. Vont-ils échapper à leurs poursuivants ? Guénolé, antisémite ( l’influence parentale est marquée) va-t-il réussir à dénoncer son camarade Jacques, les gamins vont-ils enfin comprendre qu’ils ont besoin d’être soudés pour gagner cette épreuve ? Comme Surcouf, vont-ils réaliser des prouesses ?

Sous prétexte d’un « road-movie », des questions essentielles se posent :

- Délation ou protection d’un enfant juif.

- Renoncement de l’égoïsme, du confort personnel au profit du groupe.

- Importance de l’empathie face aux difficultés de certains(es) moins armés(ées) face au danger.

Ce dernier point est particulièrement bien illustré par Marie-Noëlle. Auparavant, elle était polarisée sur son objectif : sauver Jacques  et les autres enfants de la classe étaient tenus de suivre, vaille que vaille. Le personnage de l’institutrice, plutôt psychorigide s’éclaire, s’ouvre au fil des pages.

Celle qui SAIT, qui enseigne le Savoir, accepte ses faiblesses, ses besoins.

Mention spéciale pour le graphisme de Carole Maurel. 👍 Les visages très expressifs donnent le ton à la vivacité du récit, à son suspens également.

A lui tout seul, le dessin suggère la dramaturgie de la scène, avec les gros plans  (Voir les planches au-dessus du précipice des pages 40 à 43), les mouvements des corps, l’incompréhension ou l’horreur dans les yeux.

Le fond des planches accompagne admirablement l’histoire : plutôt vert forêt ou blanc quand ils fuient, violet foncé pour le danger ou l’émotion.

J’adore le coup de crayon de Carole Maurel et c’était déjà le cas quand j’ai lu et aimé Nellie Bly.

Un binôme qui se complète magnifiquement pour proposer une BD tout en nuances à mettre entre toutes les mains, car chacun y trouvera son niveau de compréhension.

 

 

lundi 1 mai 2023

                                                                    💙💙💙💙💙 



Dans un essai parfaitement argumenté et documenté, Pierre Servent analyse avec beaucoup de lucidité,  les causes de la guerre en Ukraine et ses conséquences au niveau géopolitique.

Préface visionnaire de Antonio Gramsci, intellectuel italien marxiste en 1930  « Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître, et dans ce clair obscur surgissent des monstres ».

Car les monstres totalitaires sont bien en place et depuis de nombreuses années. Poutine, Xi Jinping, Erdogan, les pouvoirs en Hongrie, en Iran, en Syrie, Corée du Nord… Chacun pousse ses pions et la guerre en Ukraine a le mérite de nous faire  regarder la réalité en face. Car elle a rabattu les cartes, dessillé les yeux et rassemblé les démocraties occidentales.

Une première partie de l’ouvrage est consacrée à l’idéologie, à la psychologie, notamment  «  dans la tête de Poutine » : « L’objectif affiché de l’agresseur russe est la disparition pure et simple de l’Ukraine en tant que nation souveraine, puis sa domination, enfin son annexion avant son assimilation. Il s’agit d’un « Étatcide ».

Cette invasion exprime la volonté de « russifier » l’Ukraine, mais aussi et surtout de contrer l’Occident, considéré comme dégénéré, lâche et naïf.

« Avec son ami chinois, il (Poutine) estime que le temps de la domination américaine est révolu, que celui des démocraties n’a guère plus d’avenir. »

Poutine n’a surtout pas oublié la position de Barak Obama, qui a fait les gros yeux sur la menace de guerre chimique en Syrie. Elle s’est pourtant produite et Obama, Cameron ont voulu croire les mensonges de la Russie (Le surnom de la Russie soviétique, dans l’entre deux guerres était : « le pays du grand mensonge »).

Il note également que seul François Hollande était prêt à réagir…

Poutine escomptait bien de Joe Biden, démocrate, la même attitude passive que celle d’Obama, à l’annonce de l’invasion de l’Ukraine.

C’est donc aussi l’opposition de deux blocs : autocratie/ démocratie et Pierre Servent n’occulte pas les démons du populisme en Occident. Il l’évoque avec l’invasion du Capitole (« l’hystérie antidémocratique de leur maître) mais aussi de l’invasion du ministère des Relations avec le Gouvernement par les Gilets Jaunes en 2019.

« Dans l’histoire des hommes, l’hyper nationalisme a toujours été stimulé par les crises, les traumatismes nationaux, les chocs telluriques sécuritaires, guerriers, économiques, politiques, sociaux ou sociétaux. L’être humain qui a peur est une proie idéale pour le fantasme, l’envie de boucs émissaires, l’attente du sauveur, ce loup grimé en mouton. »

Pierre Servent est également très lucide sur « l’amitié » entre la Russie et la Chine : « Ces deux personnages cyniques ont en commun une envie de domination et de revanche, une inclinaison himalayenne pour le mensonge, une pratique rodée de la manipulation de leurs populations respectives et un goût prononcé pour la réécriture de l’histoire. »  

Ce que j’ai compris et qui est parfaitement démontré dans cet excellent docu, c’est que nous, régimes démocrates occidentaux avons été  bien naïfs et bien angéliques par rapport à ces régimes totalitaires.

C’est également une mise en garde : reconnaître la réalité, ne pas céder à la peur qui mène au populisme, à la reconnaissance d’un dictateur censé protéger les populations, accentuer significativement l’armement de l’Occident.

C’est vrai que cette analyse peut être considérée comme désespérante pour un avenir proche. Je pense le contraire : rien de pire que de minimiser les dangers ou de faire l’autruche dans le sable. Il faut au contraire réagir, se rassembler et avancer pour conserver nos démocraties.

C’est le livre d’un expert ( Pierre Servent est docteur en histoire, journaliste et spécialiste en géopolitique, ancien officier supérieur de réserve) et pourtant il est très facile à comprendre car très pédagogue.

J’ai aimé aussi le ton clair et net de l’auteur, qui ne mâche pas ses mots. Un docu riche en enseignements et cette chronique résume très imparfaitement son contenu.

Car c'est une vraie réussite !