💙💙💙💙💙
Chargé du
reportage de Klaus Barbie par Libération en 1987, Sorj Chalandon raconte chronologiquement les étapes de ce
procès historique.
A
l’intérieur de ce récit précis et journalistique, mais non dépourvu d’émotion,
l’auteur va juxtaposer deux histoires en jouant sur la temporalité. Celle de
Klaus Barbie, la grande histoire, et celle, personnelle et intime de Sorj
Chalandon, à propos de son père. Son père,
qui était « du mauvais côté », comme lui a confié un jour son
grand-père. De l’enfant de héros qu’il
était, selon les dires de son père, il passe à un « enfant de
salaud ». D’où sa recherche de la vérité. Et entendre enfin la vérité par
la voix de son père.
Klaus
Barbie et le père de l’auteur, chacun à leur niveau, ont de nombreux points de
ressemblance : le déni, l’orgueil, l’arrogance, le mensonge, le mépris des
victimes, la fuite.
La
recherche de sens, de vérité est présente d’un bout à l’autre. Tant pour les
magistrats, le public et bien sûr les victimes.
L’auteur
retranscrit magnifiquement l’ambiance et la tonalité du procès : beaucoup
d’émotion devant les témoignages des victimes, ou plutôt de ceux qui les ont
connus. L’émotion est encore plus forte quand les enfants d’Izieu sont évoqués,
notamment par Serge Klarsfeld : « Serge Klarsfeld n’avait pas
plaidé. Il n’avait pas jeté ses manches vers les moulures du plafond, n’avait
usé d’aucun effet de voix. Il avait parlé avec tristesse. Ce n’était plus un
avocat. Lui, le gamin qui avait échappé à une rafle, masqué par le mince
rempart d’une armoire à double fond. Lui, l’historien, le militant, le chasseur
de nazis hanté par les enfants juifs d’Izieu, n’avait fait que prononcer leurs
noms. 44 noms sanctifiés l’un après l’autre, récités dans un silence de mort.
De mort, vraiment. Le calme noir du tombeau. Et aussi, plus douloureux encore,
il avait lu quelques unes des lettres qu’ils avaient écrites à leurs parents,
avant le 6 juillet 1944. levé, droit face au box vide de l’assassin, il
avait fait entrer ces enfants dans la grande salle. En file, les uns avec les
autres, les petits donnant la main aux plus grands. (…) Serge Klarsfeld avait
obligé chacun à baisser les yeux. Il a tassé Jacques Vergès derrière son
pupitre. Il a transformé ton visage orgueilleux (celui de son père qui assiste
au procès) en figure inquiète et pitoyable. »
On
comprend vite aussi que le père de Chalandon est un coupable de petite
envergure. Cinq fois déserteur de cinq armées différentes. Un opportuniste
stupide qui prend à chaque fois le mauvais train et essaie de s’en sortir par
des mensonges et de la bravache. Mythomane et violent quand on pousse devant
lui, ses mensonges : « Alors que des milliers d’autres avaient
comparu les yeux baissés devant les juges d’une France libre, mon père leur
avait tenu tête en racontant des histoires pour enfants. (… ) il n’avait pas
payé et je lui en voulais. Payer, ce n’était pas connaitre la prison, mais
devoir se regarder en face. Et me dire la vérité. Il a comparu devant des
juges, pas devant son fils. Face à eux, il a hurlé à l’injustice. Face à moi,
il a maquillé la vérité. Comme s’il n’avait rien compris, rien regretté
jamais. »
Malgré
les mensonges répétés de son père, l’amour de Sorj Chalandon pour lui, est
immense. Sa souffrance aussi. Il ne souhaite qu’une seule chose : la
vérité.
Qu’il
s’agisse de la grande histoire ou de l’histoire personnelle, la conclusion est
identique. Pour se construire, ou se reconstruire, il est essentiel d’entendre
la vérité énoncée par le coupable. Sinon, il manquera toujours quelque chose
aux victimes qui attendent cette reconnaissance.