jeudi 30 décembre 2021

                                                                     💙💙💙💙

1929. Une fresque historique et sociale sur les émigrés polonais, italiens, hongrois venus travailler dans les usines textiles de Lyon. 

C’est donc l’histoire de Szonja, une jeune hongroise qui fuit la vie paysanne de son pays pour les lumières de la ville, pour le travail à la chaîne. J’ai retrouvé l’ambiance des temps modernes de Chaplin, avec la force des mots en plus.

l'auteure évoque la force de la déshumanisation : « Tant pis, si elle n’a pas de contour, si elle flotte, si elle n’est rien, ni personne. C’est ce qu’on attend d’elle, ne pas avoir vraiment d’idée sur l’après, l’au-delà de l’usine. Elle s’en tient juste à ses besoins élémentaires comme tous ceux qui n’ont qu’une vie brute avec juste assez de bonne volonté  pour se maintenir sur le fil tendu entre la faim, la soif, la peur de ne plus être à l’abri, plus aimée de personne, de n’avoir plus d’origine. »

 Elle évoque aussi les accidents de travail : « Ses mains ont été brulées. On évite d’évoquer cet événement. Les mots « accidents du travail » sont écartés du vocabulaire. Dans leurs rapports hebdomadaires, les chefs préfèrent écrire « maladresse », « erreur d’inattention », imprudence ». L’épouse de l’homme accidenté a été embauchée afin que le couple garde son logement. »

Seul moment de répit, où ils s’oublient dans le bal du dimanche : « Tous enchaînent la danse de l’oubli. Des corps radieux dans des corsages de misère. Leur dimanche ne sera qu’une poignée d’heures, une petite suée de gaité sous les aisselles et sur le front. »

Un récit qui rappelle des migrations actuelles et qui rappelle aussi que rien n’a changé. Autres migrants, mêmes conditions de vie.

 

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Embarquement immédiat pour ce thriller de Colin Niel ! Il emporte le lecteur en Namibie, dans une chasse au lion et dans les Pyrénées avec un garde forestier, anti- chasse, à la recherche d’un ours disparu depuis plusieurs mois.

L’auteur manie avec beaucoup de maîtrise, une partition à 4 narrateurs sur deux périodes différentes : Apolline, jeune fille de 18 ans, archère, dont le lion est le cadeau d’anniversaire. Martin, le garde forestier, entier et passionné par la montagne et les animaux. Kondjima, éleveur Himba dont les chèvres ont été décimées par le lion. Et Charles, le lion…

Colin Niel réussit surtout le tour de force de nous faire comprendre et aimer tous les personnages, pourtant très opposés dans leurs passions et leurs objectifs.

Les descriptions sont magnifiques et particulièrement évocatrices, l’ambiance, les odeurs bien rendues si bien que j’ai accompagné les quatre personnages tout au long de leurs aventures.

Le travail de recherches de l’auteur est important. Tant sur la géographie, la chasse aux gros gibiers, les coutumes et la langue des populations Himbas, que la technique de l’archer. A propos de ce dernier, Colin Niel en rajoute et cela finit par ressembler à un catalogue d’archerie.

Sujet très tendance en ce moment, avec la même question : qui est le prédateur, de l’homme ou de l’humain ?...

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Chargé du reportage de Klaus Barbie par Libération en 1987, Sorj Chalandon  raconte chronologiquement les étapes de ce procès historique.

A l’intérieur de ce récit précis et journalistique, mais non dépourvu d’émotion, l’auteur va juxtaposer deux histoires en jouant sur la temporalité. Celle de Klaus Barbie, la grande histoire, et celle, personnelle et intime de Sorj Chalandon, à propos de son père. Son père, qui était « du mauvais côté », comme lui a confié un jour son grand-père.  De l’enfant de héros qu’il était, selon les dires de son père, il passe à un « enfant de salaud ». D’où sa recherche de la vérité. Et entendre enfin la vérité par la voix de son père.

Klaus Barbie et le père de l’auteur, chacun à leur niveau, ont de nombreux points de ressemblance : le déni, l’orgueil, l’arrogance, le mensonge, le mépris des victimes, la fuite.

La recherche de sens, de vérité est présente d’un bout à l’autre. Tant pour les magistrats, le public et bien sûr les victimes.

L’auteur retranscrit magnifiquement l’ambiance et la tonalité du procès : beaucoup d’émotion devant les témoignages des victimes, ou plutôt de ceux qui les ont connus. L’émotion est encore plus forte quand les enfants d’Izieu sont évoqués, notamment par Serge Klarsfeld : « Serge Klarsfeld n’avait pas plaidé. Il n’avait pas jeté ses manches vers les moulures du plafond, n’avait usé d’aucun effet de voix. Il avait parlé avec tristesse. Ce n’était plus un avocat. Lui, le gamin qui avait échappé à une rafle, masqué par le mince rempart d’une armoire à double fond. Lui, l’historien, le militant, le chasseur de nazis hanté par les enfants juifs d’Izieu, n’avait fait que prononcer leurs noms. 44 noms sanctifiés l’un après l’autre, récités dans un silence de mort. De mort, vraiment. Le calme noir du tombeau. Et aussi, plus douloureux encore, il avait lu quelques unes des lettres qu’ils avaient écrites à leurs parents, avant le 6 juillet 1944. levé, droit face au box vide de l’assassin, il avait fait entrer ces enfants dans la grande salle. En file, les uns avec les autres, les petits donnant la main aux plus grands. (…) Serge Klarsfeld avait obligé chacun à baisser les yeux. Il a tassé Jacques Vergès derrière son pupitre. Il a transformé ton visage orgueilleux (celui de son père qui assiste au procès) en figure inquiète et pitoyable. »

On comprend vite aussi que le père de Chalandon est un coupable de petite envergure. Cinq fois déserteur de cinq armées différentes. Un opportuniste stupide qui prend à chaque fois le mauvais train et essaie de s’en sortir par des mensonges et de la bravache. Mythomane et violent quand on pousse devant lui, ses mensonges :  « Alors que des milliers d’autres avaient comparu les yeux baissés devant les juges d’une France libre, mon père leur avait tenu tête en racontant des histoires pour enfants. (… ) il n’avait pas payé et je lui en voulais. Payer, ce n’était pas connaitre la prison, mais devoir se regarder en face. Et me dire la vérité. Il a comparu devant des juges, pas devant son fils. Face à eux, il a hurlé à l’injustice. Face à moi, il a maquillé la vérité. Comme s’il n’avait rien compris, rien regretté jamais. »

Malgré les mensonges répétés de son père, l’amour de Sorj Chalandon pour lui, est immense. Sa souffrance aussi. Il ne souhaite qu’une seule chose : la vérité.

Qu’il s’agisse de la grande histoire ou de l’histoire personnelle, la conclusion est identique. Pour se construire, ou se reconstruire, il est essentiel d’entendre la vérité énoncée par le coupable. Sinon, il manquera toujours quelque chose aux victimes qui attendent cette reconnaissance.



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Résumé de l’éditeur :

C’est une maison petite et laide. Pourtant en y entrant, Clémence n’a vu que le jardin, sa profusion minuscule, un mouchoir de poche grand comme le monde. Au fond, un bassin de pierre, dans lequel nagent quatre poissons rouges et demi.
Quatre et demi, parce que le cinquième est à moitié mangé. Boursouflé, abîmé, meurtri : mais guéri. Clémence l’a regardé un long moment.
C’est un jardin où même mutilé, on peut vivre. Clémence s’y est installée. Elle a tout abandonné derrière elle en espérant ne pas laisser de traces. Elle voudrait dresser un mur invisible entre elle et celui qu’elle a quitté, celui auquel elle échappe. Mais il est là tout le temps. Thomas. Et ses orages.
Clémence n’est pas partie, elle s’est enfuie.

J'ai adoré ! Un registre différent des romans habituels, menés avec toujours plus de maîtrise. La "patte" de l'auteure s'affirme et j'apprécie infiniment. Autre changement, et c'est bien aussi : le roman se termine mal.... Je ne vais surtout pas dévoiler la fin, mais elle n'est pas du tout ce à quoi s'attend le lecteur. Encore une fois, maîtrise tjs plus assurée de l’auteure qui embrouille bien son lecteur. 😊 Un grand cru !
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Un burn-out dense et émouvant. 

Clara représente l’image de la femme moderne, dynamique et qui mène sa carrière  avec enthousiasme et compétence. Elle se veut parfaite et ses managers, qui la connaissent bien, lui en demandent toujours plus :« Être à la hauteur. Bouffées d’angoisse, cœur tambour. C’est un maillon invisible d’ondes et des réseaux qui l’enserre chaque jour un peu plus. (…. ) Aux mots satinés, aux mots vernis ont succédé les mots acides. Les flèches empoisonnées. Les mots acides. Si vous étiez mieux organisés…. Ne nous faites pas regretter la confiance que nous avons placée en vous… et posé sur les mots acides, le sourire serpent. »  Sauf qu’un jour, le fil lâche et plus rien ne fonctionne.

 C’est magnifiquement écrit : le vocabulaire est riche, les mots précis, le ton juste, les phrases courtes expriment le mal-être et la dégringolade vers le fond du puits.

 J’ai adoré ce roman qui nous renvoie à nos certitudes, à nos enthousiasmes, qui d’un seul coup, peuvent être balayés et nous faire comprendre notre fragilité. Une réussite !

 

 

Cabale à la cour - Jean-Michel Delacomptée

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L’auteur reconstitue d’après les mémoires de St Simon, un dialogue entre ce dernier et Philippe d’Orléans, neveu de Louis XIV, connu pour ses débauches et son caractère volatile.

Saint Simon, son ami fidèle et lucide, veut le prévenir d’une menace d’exil et surtout le convaincre de changer d’attitude et de maîtresse.Il s’agit donc d’un huit clos, d’un dialogue entre les deux hommes, à l’image d’une pièce de théâtre. Sauf que…. Être auteur de théâtre ne s’improvise pas, et les dialogues sont particulièrement plats…

Quand Delacomptée reprend le cours du récit, il est nettement plus convaincant. Comme ce tableau du caractère de Philippe d’Orléans, fait par sa mère : « Sa mère, la princesse Palatine, bien qu’elle l’aime profondément, admirative de ses capacités, ne se méprend pas sur ses failles. Elle le définit joliment comme un conte : toutes les fées ayant été conviées à se pencher sur son berceau, elles l’ont doté de mille talents. Mais on a malheureusement oublié d’inviter une vieille fée qu’on ne voyait plus depuis longtemps. Vexée, la vieille fée s’est vengée : elle l’a doté du talent de rendre inutiles tous ceux qu’il a reçus.

St Simon évoque couramment ce conte quand il déplore le détachement de son ami envers les exceptionnelles facilités dont Dieu l’a pourvu.

De là, l’ennui lancinant que traine le prince. Et une forme d’indifférence, satellite de l’apathie qui le plombe, le sentiment qu’il donne que rien ne lui  importe, ni ses excès de débauche, ni les occupations moins condamnables auxquelles il se livre, son intérêt pour les sciences par exemple, pour la chimie en particulier. De là également, son caractère changeant, les velléités qui le saisissent, les projets qu’il abandonne sas explications, ses volte-face. »

J’apprécie beaucoup l’auteur, je garde un souvenir inoubliable de « Écrire pour quelqu’un », « Ambroise Paré, la main savante ».

Dans un contexte historique toujours bien documenté, il nous fait revivre des personnages historiques avec beaucoup de crédibilité et de consistance. 

La forme est ratée pour celui-ci. Mais le prochain sera une réussite !