vendredi 10 mai 2024

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Waouh ! Quelle puissance évocatrice en ce court roman de 52 pages !

Toute une époque, une façon de vivre à la campagne,  saisies dans leur quintessence et exprimées dans une plume sensible et précise. Comme une photo jaunie qui incarnerait à elle seule le passé avec la perception de l’ambiance  et de la vie des personnes.

Une plume aussi évocatrice que les dessins de Marion Fayolle. Car elle est plutôt connue pour ses BD. Notamment pour « les amours suspendues » où elle a reçu le prix spécial du jury du festival d’Angoulême en 2018.

L’autrice revient sur ses souvenirs d’enfant en Ardèche, avec beaucoup de lucidité et de poésie. Un village comme des milliers d’autres….

Cela ne correspond pas surtout pas à une vie idyllique. Elle est dure, ingrate, mais elle est simple et chacun l’accepte car il en a toujours été ainsi. Non pas de la résignation, plutôt de la sagesse.

La vie dont fait partie la mort : « Mais tant qu’il reste la mémé, ça les rassure, c’est qu’ils ont du temps, encore, devant eux. » On l’apprivoise avec les animaux, avec les anciens qui partagent le même toit.

Chaque génération à sa place, chacune avec sa part de labeur, chacune utile.

La vie, le travail à la ferme, la vieillesse, la mort, les enfants qui changent et ne veulent plus de cette vie-là : « Quelque chose s’est perdu. Un problème de langue. Des langues qui ne savent plus prononcer certains sons, qui ne fonctionnent plus pareil. Les langues des vieux ne parlent que le patois et n’ont embrassé qu’une seule bouche. Ils ont tous fêté leurs noces d’or, cinquante années de mariage, la grande messe, les discours, le repas avec la famille et les jeunes qui ne comprennent pas comment c’est possible  parce que leur langue à eux, (..) lèche de nouvelles lèvres chaque samedi soir, a envie d’explorer le monde. »

J’ai vu les personnages évoluer devant mes yeux, comme dans une BD ou un film : « le pépé, la mémé, l’oncle, la gamine… ». Avec ces noms génériques, ils prennent encore plus de force et incarnent  à eux seuls, une époque.

Force de l’évocation et charme de la nostalgie. Bluffant pour un premier roman !

Lu dans le cadre du prix Orange 2024.

Merci à lecteurs.com et aux éditions Gallimard pour cette belle découverte.

lundi 6 mai 2024

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1971 – Un hippie rapproche la Chine et les USA ou comment une petite balle rapproche deux nations en froid sidéral….

1971 – Nagoya – Japon -  Championnat du monde de tennis de table. Les chinois seront présents, après plusieurs années d’absence, et rencontreront les américains. « Il nous fait remonter à 1949 pour comprendre. Cette année-là, les communistes chinois remportent la guerre civile face aux nationalistes soutenus par les USA. Les nationalistes s’exilent à Taïwan, et les communistes fondent la république Populaire de Chine, avec Mao à sa tête. Les relations diplomatiques avec les USA sont alors rompues. »

Cette histoire est inspirée de la réalité historique : les championnats du monde de ping-pong ont permis le rapprochement des deux nations, grâce à l’amitié entre Glenn Cowan et Zhuang Zedong.

D’ailleurs, « La diplomatie du ping-pong est devenue une expression qui se réfère à des rencontres sportives entre nations en conflit, cherchant ainsi à se rapprocher de manières informelles.

Cela a été le  cas de l’Iran et des USA en 1998 à l’occasion de la Coupe du Monde de foot. Celui de l’Inde et du Pakistan, lors de matchs de cricket en 2005. Et entre les deux Corées, en 2018, lors des JO d’hiver à Séoul.

Le symbole est puissant : une amitié fortuite et spontanée entre deux hommes, qui rapprochent deux états. D’autant plus qu’il est raconté avec beaucoup d’exactitude, exceptée une petite modification

Une amitié sincère et solide entre deux hommes que tout oppose : les personnalités et le vécu. Glenn est un enfant gâté américain. Une « petite tête » charmante mais vide. Dénuée de réflexions, d’empathie et du minimum de respect pour son environnement.

 Zhuang est beaucoup plus mature, « vieilli » prématurément par ses démêlés avec le régime. Son histoire en flash back fait froid dans le dos. Un mm en dehors de la bienpensance chinoise et on se retrouve vite en prison et en « camps de rééducation ». Tous doivent se plier à l’orthodoxie chinoise : « l’individu n’est rien, le peuple est tout »Un personnage tolérant, sincère, très attachant.

J’ai beaucoup aimé aussi la documentation à la fin,  d’Alcante sur cet épisode. « La diplomatie du ping-pong aura donc été bien plus qu’une simple série d’échanges sportifs. Elle a servi de catalyseur à des négociations politiques secrètes, remodelant l’équilibre des pouvoirs dans la guerre froide et permettant in fine l’entrée de la Chine à l’ONU en octobre 1971. »

Mention spéciale pour le graphisme d’Alain Mounier. Travaillé, précis, avec des visages très expressifs et de jolis paysages chinois. Comme des petites aquarelles. Je pense notamment à celle de la page 71.

En conclusion, je citerais simplement la phrase qui figure sur le cadeau de Zhuang à Glenn : « Tout le monde peut apprendre de tout le monde »

Merci à Netgalley et aux éditions Delcourt pour cette belle découverte.

 

 

 

 

samedi 4 mai 2024

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La réalité historique parfaitement retracée dans un scénario romancé et dans un graphisme simple mais très évocateur.  Celle de l’existence  d’usines-pensionnats ou usines-couvents durant la seconde moitié du 19ème siècle et le début du 20ème siècle.

L’histoire :  1910 - Une usine-couvent dans la Drôme provençale. Il y a besoin de personnel malléable et corvéable à merci dans la filature de soie de la Famille Bouscaret, car la concurrence étrangère devient féroce.

Qu’à cela ne tienne ! Les jeunes orphelines, quelquefois de moins de 13 ans,  et les filles abandonnées feront ce travail en échange de « l’éducation » dispensée par Sœur Agnès. C’est plutôt une garde chiourme au service de l’industriel et elle dirige les filles d’une main de fer.  Tout son petit monde marche droit jusqu’au moment où une jeune ouvrière est touchée par la pneumonie.

La révolte commence à gronder pour certaines d’entre elles…

J’ai bien aimé cette immersion dans la filature de soie, dans la magnanerie ( là où on élève les vers à soie) et dans  la cadre concentrationnaire des ouvrières.

Les personnages sont bien campés et particulièrement crédibles, les ouvrières sont attachantes. Notamment Henriette, une jolie fille, qui dissimule une partie de son visage sous une grande mèche de cheveux bruns. Elle a été défigurée par l’acide. Elle rêve de créer ses propres modèles. Rose a 13 ans. Sa mère a été violée et tuée devant ses yeux. Et Apolline, plus âgée, a fui un mariage forcé.

Sans oublier Hippolyte, le fils rejeté de la famille Bouscaret, qui revient dans la région, après avoir connu  le bagne…

C’est un scénario bien maîtrisé, avec une belle progression dramatique, pleine de rebondissements.

J’ai bien aimé la force de l’amitié qui va souder des filles volontaires et généreuses, celle de l’amour entre Henriette et Hippolyte où le milieu social n’a pas d’importance. Vouloir diriger sa vie comme on l’entend, sans aucune pression extérieure. 

Une lecture agréable et intéressante.

Merci à Netgalley et aux éditions «Boîte à bulles »

 

 

 

vendredi 3 mai 2024

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Décidemment, la rentrée littéraire 2024 est favorable au thème de la violence conjugale. En même temps que le beau roman de Marie Vareille (« La dernière allumette »), Tiffany Tavernier choisit le même sujet et le traite également de façon passionnante.

L’histoire : Alice est sous l’emprise de son mari. Quelle que soit la façon dont il la traite, elle lui trouve des excuses, et même des raisons, et demeure persuadée que leur amour, pardon, leur Amour, est plus fort que les craintes, les avis de ses proches et même de sa médecin. Une Foi invincible en leur amour réciproque.  Un déni amoureux parfaitement bien analysé, comme le montrent les monologues d’Alice, quelquefois lucides, plus souvent erratiques  : « Nous nous aimons si fort, pourquoi cet acharnement à démolir notre union, n’y a-t-il pas assez de désespoir dans le monde ? »

La situation va évoluer quand son fainéant et alcoolo de mari ordonne à Alice de chercher un travail. Il s’est fait licencier par son entreprise.

Par hasard, (est-ce vraiment le hasard ?),  elle trouve enfin un poste  au diocèse de Paris. Elle doit préparer les dossiers favorables à la canonisation  des saints, « des serviteurs de Dieu » ou  « des bienheureux ». Sauf qu’elle ne comprend rien à ce qui lui est demandé….

Sa névrose s’amplifie en même temps que la pression de son mari qui comprend qu’en allant à l’extérieur, elle lui échappe. Malgré les sollicitations bienveillantes de ses collègues, elle dégringole… Pas facile non plus, d’aider quelqu’un qui se noie et qui persiste dans son geste.

Jusqu’au moment, où des éléments extérieurs vont la solliciter :« Partout dans le monde, des centaines d’enfants se sont brusquement endormis à 16 heures, heure française, dans des rues, dans des écoles, dans des hôpitaux. »

Retours sur la petite enfance d’Alice au Guatemala. Une enfance sauvage et épanouie. Mais ses parents la jugent trop proche d’une nounou chamane et choisissent de repartir en France. Elle se referme  alors sur elle-même et sa timidité extrême fait fuit les autres. « Sauvage… A son retour du Guatemala, la maîtresse de son école primaire lui avait collé cette étiquette et, très vite, tous les élèves de son école. » Une enfant solitaire, timide, déracinée.

Ce que j’ai aimé dans ce roman, c’est les deux expertises de la vision conjugale. Celle de la victime au fond du trou, et celle du recul de l’extérieur.

J’ai aimé aussi le contraste entre les deux milieux : celui de l’obscurité où l’une se laisse enfoncer la tête, et celui de la lumière avec les collègues d’Alice, rayonnants  de bonté et d’attentions.

Cela aurait pu être caricatural, ce n’est pas le cas. Et j’ai adoré la fin où Alice, après avoir jugulé sa peur, trouve enfin sa voix.

Un beau roman bien maîtrisé, juste et sensible.

Lu dans le cadre du Prix Orange 2024. Je remercie Lecteurs.com et les éditions Wespieser de m’avoir permis cette belle découverte.

En présentation photo : l’image de ND de Paris après l’incendie.

mercredi 1 mai 2024

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Coup de cœur et admiration pour l’illustration en BD du beau roman autobiographique de Gaël Faye, Prix Goncourt des Lycéens en 2016.

Franchement j’étais sceptique. Réussir encore à séduire les lecteurs qui ont lu le roman  était une vraie gageure…. 

 

L’histoire : Gaby et Ana sont deux enfants franco-rwandais, exilés au Burundi. Ils  font partie de familles aisées, à l’abri au fond de leur impasse, comme leurs voisins, bien loin de la misère ambiante. Un microcosme de bonheur et d’insouciance.

Leur mère rwandaise, Yvonne, supporte de moins en moins cet aveuglement, et encore moins celui de son mari, qui est français : « Moi je connais l’envers du décor, ici. Quand tu vois la douceur des collines, je sais la misère de ceux qui la peuplent »

Si leurs parents se déchirent,  ils observent  sans bien comprendre, sans juger.  Ils prennent la situation comme elle est.  Les jeux, l’innocence de l’enfance…

Le coup d’état au Burundi met un terme à leur insouciance : les coups de feu sont proches, il faut dormir dans le couloir pour éviter les balles perdues.

Chez leur voisin rwandais, les Tutsis se font massacrer par les Hutus. Leur mère Yvonne, sans nouvelle de sa famille, décide de les chercher au Rwanda.

Les enfants comprennent que leurs cousins rwandais sont en danger. Que leur est-il arrivé, sont-ils toujours vivants ?

Ce que j’ai beaucoup aimé, c’est la situation vue par les yeux d’un enfant. La perception de la haine et l’incompréhension…

Ce qui est particulièrement bien rendu également, est le contraste très marqué entre la première partie consacrée aux jeux, aux amitiés des enfants, et la seconde terrifiante, avec les coups, la peur, les morts. Hommes, femmes, enfants, sans discernement.

Le retour du Rwanda de leur mère, Yvonne, est lui, sidérant et incarne toute l’horreur du génocide.

Rappel historique : un million de victimes en 3 mois…

Parenthèse : la carte qui montre précisément les deux pays ( Rwanda et Burundi ), permet de mieux comprendre le titre : deux pays, bien petits face à leurs voisins congolais, tanzaniens, ougandais et soudanais.

Un scénario absolument maîtrisé, un dessin très expressif, fluide, en parfaite harmonie avec le texte, admirablement colorisé.

Je connaissais bien le roman de Gaël Faye mais je sais déjà que je vais relire cette BD car je suis sans doute passée à côté de beaucoup d’éléments.

Une BD qui sublime le texte originel !