mardi 31 janvier 2023

                                                               💙💙💙💙💙 



Rien de pire pour un enfant que le manque d’amour, l’indifférence des parents, le mépris ou la violence.

Dans ce roman autobiographique d’Alexandre Feraga, tous ces éléments se conjuguent. Des enfants paumés qui vont devoir se construire tout seul. Ce récit est donc celui de leur parcours et de leurs tentatives pour créer du sens à leur vie. Celui de Samir ( le ½ frère ) âgé de 6 ans de plus qu’Alexandre. Samir que le harcèle et le persécute, « le frère impossible ».

Alexandre Feraga est donc le narrateur. Il a eu le temps de murir face à son enfance, pourtant il se rappelle parfaitement ses impressions d’enfant. Et c’est bien ce ton de l’enfance qui raconte, qui est si fort et émouvant.

Il a lui fallu du temps et du courage pour digérer la violence subie, pour s’exprimer aussi sincèrement. Une mise à nu de son enfance et de sa jeunesse, comme une thérapie. Et il a bien fait, car son récit est passionnant,  enrichissant et émouvant avec des mots forts et percutants.

Un même manque, deux cheminements de vie bien opposés : se sentir utile pour Alexandre, basculer dans  la violence, comme une fuite en avant, pour Samir, qui s’est radicalisé et meurt dans les camps d’entraînement afghans.

Paradoxalement, c’est aussi un hommage à ce frère, qui l’a terrifié durant toute son enfance. « Quand Samir s’absentait, je m’aventurais à parcourir son book. Il n’avait jusqu’alors été pour moi, qu’un destructeur, une personne insensible à toute forme de beauté. (…) Je trouvais ça incroyable qu’une chose aussi belle, sauvage et incontrôlable puisse sortir de sa tête. J’éprouvais même de la fierté en pensant que ce qu’il faisait traversait une multitude de villes, rencontrait d’innombrables regards. »

Le portrait des femmes est passionnant également. La mère de Samir qui jamais ne lâchera l’espoir de revoir ses enfants, qui va bâtir sa vie sur cette certitude. Le retour de Samir vers sa mère, est d’ailleurs une des plus belles scènes du livre. Je vous la laisse découvrir. Et la deuxième femme du père, celle d’Alexandre, effacée et lâche.

Très souvent dans les autobiographies, les auteurs manquent de recul face à leur propre histoire. Là, Alexandre Feraga réussit le tour de force d’en faire une analyse intemporelle de la violence qui peut exister dans une famille, entre les parents mais aussi dans la fratrie.

Merci pour ce récit sincère, émouvant et enrichissant. 

Et merci la Fondation Orange de m'avoir permis de découvrir cette pépite. 

 

samedi 28 janvier 2023

                                                                    💙💙💙💙 



Ce livre de 170 pages est un petit bijou pour les apprentis ou les amateurs d’écriture.

L’auteure apporte une formidable énergie positive, créatrice à tous les amoureux du Verbe. « J’aime tellement écrire que je voudrais rendre cette activité contagieuse, j’aimerais que tout le monde écrive pour son épanouissement personnel, que chacun ressente l’émotion, la satisfaction, le bonheur de naviguer dans la mer de ses mots et d’ajouter son épice personnel au bouillon gastronomique de la littérature. »

Avec Susie Morgenstern, on comprend que l’écriture est à la portée de chacun, et qu’elle apporte bien-être et beaucoup de plénitude. Sans occulter le travail nécessaire à toute activité créatrice.

De plus, ce petit bouquin chargé d’enthousiasme, de bonne humeur, permet de démarrer doucement et sereinement dans l’écriture, avec des nombreux exemples d’atelier. Il suffit de s’y mettre !

Donc, à vos plumes (à votre clavier) d’autant plus que l’écrivain apprenti peut découvrir le livre par tous les sens. Pas besoin de suivre les chapitres chronologiquement, la balade est possible.  😃

mercredi 25 janvier 2023

                                                                    💙💙💙💙 



« Elle n’a pas ôté la vie à un être pensant. Lors de l’agression, elle n’a pas tenté de lui adresser la parole, ne lui a pas laissé l’occasion de se justifier. Elle ne connait pas le son de sa voix. Elle a tiré sans un coup de semonce. (…) Elle s’est battue comme une bête. Le piège et l’agression, c’est elle. La violence et la mort aussi. Le paysage était en paix, la neige immaculée. »

Pierre Chavagné nous raconte l’histoire d’une femme « sauvage », vivant dans le causse depuis plusieurs années. Sauvage, guerrière, organisée contre toute intrusion humaine.

Comment en est elle arrivée là ? Qu’est ce qui l’a poussée à choisir – car il s’agit d’un vrai choix – à devenir cette femme dépourvue de toute humanité.

Petit à petit, le lecteur va mieux comprendre : en même temps que l’auteur raconte le quotidien de la femme, celle-ci  écrit ses impressions, ses souvenirs, sa vie dans la nature.

Elle a bâti sa vie dans la forêt, le plus loin possible des hommes. Elle chasse, pêche (ce qu’il lui faut pour subsister), médite, fait du yoga. Elle a aménagé une grotte en habitation troglodyte.  Un animal parmi les autres et comme les autres.

Elle se fond dans la nature, accepte ses lois, mais surtout se protège avec une discipline inflexible, de celui qui lui apparait comme le plus grand des prédateurs, l’homme   : « Lorsqu’elle est seule, tout est autorisé, alors elle doit se surveiller, et le cas échéant, se punir. L’intransigeance est la clef. (…) Elle a édicté une loi, sa loi. Les pénitences s’étalonnent suivant un barème strict : la procrastination équivaut à la privation d’un repas, une tâche bâclée, deux privations. La récidive est sanctionnée par un jeûne de trois jours. La complainte ou les pensées négatives double les corvées physiques. Le délaissement d’une activité de sécurité – acte le plus grave – est puni d’auto flagellation avec une branche de saule. »

Petit à petit, grâce à ses écrits, on en sait un peu plus sur elle. Elle parle de son enfance, de la mort de ses parents, on comprend qu’elle a été mariée, qu’elle a choisi la solitude et la forêt suite à un événement. S’en souvient-elle ?

Elle est dure, inhumaine mais très lucide. Et cela aussi, c’est étonnant. Ce n’est pas une brute dépourvue de cerveau, elle s’interroge, comprend son comportement, le juge même sévèrement, tout en restant distanciée de ses actes. Il n’y a pas de retour en arrière possible, de remords, de compassion. Sans doute est-elle passée « au delà de l’amour, de la culpabilité et de la morale »….

Une nuisible, dont le moteur central est la peur. Elle attaque avant d’être attaquée. « Elle a agressé avant d’être agressée. Violente plutôt que violentée »

Fuir toute présence humaine la rassure et elle se garde hors de portée, à n’importe quel prix. Dans sa vie antérieure, elle se qualifie de « dépressive ». La peur de l’autre la portait déjà.

Elle provoque l’incompréhension et la répulsion. L’opposé d’une femme paradis comme la surnomment les villageois. Ils disent d’elle que : «  « c’est une sorcière, qu’elle punira les humains de leurs méfaits. On la surnomme « Valkyrie », « Eve » ou « la femme paradis. »

Seul moment de grâce où elle parait retrouver un peu d’humanité : celui de l’épisode avec un vieil homme qui va bientôt mourir… et encore, elle bâcle les choses. « Je l’ai enseveli tel quel sous un tas d’argile humide. C’était bien suffisant pour quelqu’un qui m’avait abandonnée. »

Le suspens est bien mené et il est difficile de lâcher le livre avant de savoir pourquoi elle a choisi ce genre de vie.

Un roman noir, tout noir, jusqu’au bout.

 

 

 

dimanche 22 janvier 2023

                                                                         💙💙💙 



Il manque peut-être un souffle de vent pour avancer sur ce Lac au Miroir…

Hannah Springer est une jeune femme de 38 ans qui a totalement rompu les liens familiaux avec sa mère, depuis l’âge de ses 18 ans. A sa majorité, lasse de ne pas avoir de réponse sur son géniteur, de ne pas ressentir d’amour maternel, d’avoir le sentiment d’être utilisée par sa mère, mais aussi d’être la cause, par sa naissance, de la perte du sentiment de liberté que ressentait sa mère à l’époque, elle part pour l’Australie pour quelques mois. Elle y reste 20 ans.  Plus aucun contact entre la mère et la fille pendant cette période.

De ce déchirement, la narratrice va garder un profond sentiment existentiel d’infirmité, de manque profond.

C’est lors de vacances à Bali, sur les traces du peintre allemand Walter Spies, que sa génitrice admirait, qu’elle apprend le décès de sa mère. Elle décide de retourner à Paris, d’une part pour régler la succession et d’autre part, pour en apprendre plus sur la vie de sa mère et celle de toute sa famille.

C’est en remuant le passé qu’elle finira par tomber sur le secret familial qui entoure la naissance de sa mère.

Le roman est construit autour de 3 axes principaux, qui correspondent à 3 lieux différents, tramé par un fil rouge (la vie et l’œuvre de Walter Spies) que l’on retrouve au cours des chapitres.

1/ Bali, problèmes existentiels

Lieu paradisiaque où Hannah n’arrive pas à surmonter ses frustrations et ses problèmes relationnels. Malgré une soif de découverte, la sensation de pouvoir accéder à une certaine libération de l’âme, elle n’arrive pas à vaincre ses frustrations même avec l’aide et le soutien de Joty, une hollandaise d’une soixantaine d’année, rencontrée lors d’une excursion et les propositions de Wayan, un guide balinais séducteur.

Mais Bali est aussi l’ile où résidait Walter Spies, peintre allemand homosexuel qui avait choisi ce lieu d’exil à la fin des années 30. Parce que ce peintre semblait important pour sa mère et parce qu’elle avait 4 de ses tableaux dans sa chambre, elle se sent liée à cet artiste.

2/ Paris, son enfance et la relation conflictuelle avec sa mère

C’est le lieu qu’elle a choisi de quitter car il représente le vide et la tristesse de son enfance, l’ignorance de ses origines (son père, sa famille), la rupture brutale du lien familial. En fouillant dans les affaires de sa mère, elle retrouve le poudrier qu’enfant elle n’avait pas le droit de toucher et découvre une photo ancienne qui représente Walter Spies avec un autre personnage. Mais aucun indice sur l’identité de son père ni sur les origines familiales. Elle sait juste que sa mère Magda, est née à Dresde en 1945, pendant le bombardement qui a tué sa mère après l’accouchement. C’est sa tante Elisa Springer qui a pris en charge le bébé.

3/ Dresde, la révélation du secret familial

Lieu de naissance de sa mère et des origines familiales. Hannah va apprendre qu’elle porte le prénom de sa grand-mère mais qu’elle ne porte pas le nom de famille de son grand-père, Andréas Müller. Ce dernier, marchand d’art, vendait entre autres œuvres, les tableaux de Walter Spies. Mais, sous pseudonyme,  il avait une autre activité, la spoliation des biens des personnes qu’il dénonçait à la Gestapo.

Le roman se lit facilement. L’écriture est sans fioritures, sans erreur mais sans attrait particulier. C’est bien fait mais sans plus. Chaque thème n’est pas assez creusé. L’idée du secret enfoui qui perturbe les relations mère/fille est assez commun, par contre la cause de ce secret aurait pu être plus fouillée. La quête de la vérité aurait mérité à elle seule, un livre complet. Il était intéressant de démontrer comment des individus, par lucre ou par conviction, ont tourné le dos à ce qui faisait leur vie.

La vie à Bali de Walter Spies est sans doute captivante mais elle n’apporte pas grand-chose à l’histoire proprement dite.

En refermant l’ouvrage, on reste un peu sur sa faim.

Et on ne sait toujours pas qui est son père…

Chronique établie par Gérard Gasquet que je remercie. 💗

 

mercredi 18 janvier 2023

                                                                    💙💙💙💙💙


 

 

Histoire et catastrophe écologique. Deux ingrédients qui me séduisent immédiatement.

 

A partir d’un fait réel,  l’assèchement de la mer d’Aral (quatrième plus grand lac au monde) au milieu du 20ème siècle, Fabien Vinçon imagine un jeune ingénieur Léonid Borisov, chargé par Staline, de détourner la mer d’Aral  vers les steppes désertiques du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan afin d’irriguer les cultures de coton et de blé. Également pour tuer « le baiser de la steppe »,  un vent terrible qui provoque de graves lésions, et qui semble en vouloir directement à Staline.

 « Une nuit sans lune, un vent déchaîné force une lucarne à l’angle du Kremlin et s’engouffre dans ses longs couloirs. Les rafales décrochent les tentures puis s’essoufflent, s’atténuent en une simple bise, rampent sous une porte, zigzaguent dans la chambre de Joseph Staline, atteignent le bord du lit, effleurent la grosse moustache argentée. (…) Pris de nausées et de vertiges, le maréchal reste cloué au lit pendant plusieurs jours. Il perd l’usage de la parole, la fièvre ne cesse de grimper et la chambre disparait dans le flou. »

Staline en fait alors une histoire personnelle, une haine féroce contre la nature, qui doit se soumettre aux décisions de Staline. « La nature comme les hommes n’avaient plus qu’à servir les objectifs des dirigeants du Parti. »

 

Léonid est un brillant scientifique, froid, rigide, soucieux d’obéir aux ordres du « petit père des peuples ». C’est un personnage complexe très bien décrit par Fabien Vinçon. Un enfant abandonné introverti, qui a toujours besoin de la reconnaissance de l’autre pour exister. Il se méfie de lui-même, ne se fait pas confiance. Il trouve le sens de sa vie dans l’obéissance au PC.

« Il redoute toujours de se retrouver face à lui –même.  A l’idée de devoir attendre des autres qu’ils lui disent ce qu’il faut ressentir, il sent accablé d’une infirmité invisible. La nécessité de la dissimuler le fait passer pour être hautain et toujours sur ses gardes. Alors qu’au fond, il a tempérament anxieux et méditatif. »

 

Une trame romanesque accompagne les tentatives d’assèchement de la mer d’Aral, avec des personnages attachants et particulièrement bien campés, chacun dans ses particularités. Elmira va croiser le chemin de Léonid. C’est une jeune fille libre et passionnée, jugée beaucoup trop autonome par son clan ouzbek. Nabadjon est un chaman ouzbek, amoureux et défenseur de la mer d’Aral. Et bien sûr, l’entourage russe proche de Staline.

Sans oublier la mer, qui est un personnage à part entière

Il y a d’ailleurs une dimension sacrée de la mer d’Aral pour les populations ouzbeks, bien illustrée par Nabadjon, le chaman.

 

Comme le vent de la steppe, le souffle du récit s’intensifie – tant dans l’écriture que les rebondissements – et scotche le lecteur aux pages du livre. On retrouve aussi une dimension poétique avec les poèmes toujours présents d’Elmira, son idéalisme et surtout par la personnalisation des éléments naturels, qui soufflent, souffrent et résistent,

 

Une fable hélas bien réelle de l’acharnement des hommes à mâter la nature. Une vraie réussite car l’auteur m’a complètement embarquée dans son récit et m’a donné l’envie d’en savoir plus.

« En 2005, dans un ultime effort pour tenter de sauver une partie du lac, le Kazakhstan construit un barrage entre la partie nord et la partie sud de la mer d'Aral. Le barrage condamne ainsi la partie sud de la mer, jugée impossible à sauver, à un assèchement certain. Mais la partie nord, elle, commence à revivre. »

 

 

 

 

dimanche 15 janvier 2023

                                                                 💙💙💙


 

Un résumé, une couverture attractive.

On est prêt à suivre Romain, jeune diplômé prof de lettres, issu de la bourgeoisie de Bordeaux qu’il rejette en bloc. Il rêve d’enseigner à Cayenne où il pourra révolutionner l’enseignement comme il l’entend.

Mais un bug de l’Éducation Nationale le mute dans le collège de Chaudezat, petit ville du Puy de Dôme.

Qu’à cela ne tienne ! Malgré ses regrets, il appliquera les pédagogies nouvelles auxquelles il tient, en Auvergne, dans sa classe de 4ème.

Tout de suite,  il rencontre des difficultés avec la Principale du collège, avec les autres profs et même avec les enfants. L’humour, les rebondissements sont présents. 

Mais les situations et les personnages sont caricaturaux, le vocabulaire approximatif et la fin semblable à celle attendue.

Comme le film des Ch’tis auquel la trame de l’histoire fait penser, c’est un excellent roman de divertissements.

Un bon « feel good ». 

 

 

 

dimanche 8 janvier 2023

                                                                      💙💙💙💙 



Un titre énigmatique et attractif en même temps…

Il définit parfaitement la tonalité du  récit : Des lucioles « gigantesques, si grandes qu’on les appelle les mangeurs de nuit. Après le coucher du soleil, les mangeurs de nuit grignotent l’obscurité de leurs bouches gourmandes : ce sont les points lumineux que l’on voit danser dans les bois. »

Dans le noir le plus profond, dans le drame, le rejet et la violence, peuvent surgir l’espoir, les rêves  et le renouveau de la vie.  

1945, en Colombie britannique (à l’ouest du Canada, sur le Pacifique nord), Jack est « creekwalker » marcheur de ruisseaux : « En contrat avec le gouvernement, chacun d’eux est chargé de recenser le nombre de saumons sur sa zone de responsabilités ».

Cela permet de définir les quotas de pêche de l’année suivante.

« Les creekwalkers sont des vigies. Les sentinelles sans qui les compagnies de pêche pilleraient les océans jusqu’au dernier poisson.  Comme ils l’ont fait pour les baleines à bosses presque disparues au large des côtes canadiennes. »

Un homme attentif, soucieux et respectueux de la nature, qui vit dans une cabane isolée avec ses deux chiens. Empreint dès son enfance des légendes indiennes que son père lui racontait. Un homme blessé par son histoire familiale, le décès prématuré de son père, la disparition de son petit frère parti s’engager durant la 2° guerre mondiale sans qu’il n’ait rien pu faire pour l’en empêcher.

Le lecteur va donc suivre en parallèle, et sur différentes époques, l’histoire de Jack et  celle d’Aïka, jeune fille de 17 ans qui arrive du Japon en 1920 pour épouser Kuma, déjà installé en Colombie britannique. Elles sont nombreuses dans le bateau à avoir été mariées par leurs parents, à un canadien, via une simple photo. Kuma est un rêveur, un homme bon et sensible qu’Aïka, citadine et cultivée va vite mépriser. Elle va quasiment rejeter leur fille, Hannah, qui au contraire sera très proche de son père. Il berce son enfance d’histoires nippones, fantastiques et poétiques.

Dès le début du 20ème siècle, les japonais sont méprisés et rejetés par les canadiens. La situation ne fait que se dégrader, et la petite fille, qu’est Hannah, ne comprend pas la haine, l’agressivité dont font preuve les enfants canadiens à leur égard. Elle est née au Canada et se sent pourtant complètement canadienne.

A Vancouver, la ville souffre encore de la crise de 1929 : « Malgré leur discrétion et leurs incommensurables efforts, les japonais incarnent le bouc émissaire idéal : ils prennent nos emplois, ils font baisser nos salaires, ils refusent de s’intégrer. »

Tiens tiens… Un triste refrain connu à toutes les époques et dans tous les pays.

Ce racisme va s’intensifier durant la seconde guerre mondiale où, en 1942,  le Canada décide d’interner et de spolier les japonais. Ce n’est qu’en 1988, que le Canada présentera des excuses et indemnisera les descendants japonais.

Ce livre permet aussi de bien saisir l’âme japonaise, honnête et travailleuse, respectueuse de l’autorité, confiante en sa volonté d’intégration qui ne peut qu’être reconnue par les dirigeants canadiens.

Quand Hannah s’échappe du camp de travail, (sans clôture, ni barbelés), elle s’enfuit dans la forêt. Où Jack la découvrira blessée grièvement par un ours blanc. Un ours blanc, « l’ours esprit »  Légende et magie au Canada où il n’y a que des ours bruns !

 

Un roman profond et sensible, où les personnages complexes sont particulièrement attachants.

 La 1ère partie où Marie Charrel place les personnages et les différents contextes historiques m’a paru un peu longue. Par contre, les deux parties suivantes sont carrément addictives. Impossible de lâcher le roman avant la fin, car la progression dramatique est très bien menée.

 

Les légendes, les histoires d’origine nippone et indienne font partie du passé d’Hannah et de Jack, de la construction de leur personnalité et constituent la colonne vertébrale du récit. Malgré les questionnements, les regrets, les cicatrices, elles imprègnent ce périple de poésie et de tendresse.

C’est aussi le message de Marie Charrel : la force de la nature, des légendes qui portent le passé, l’importance des mots quand ils sont chargés de sens et de sincérité, sont bien plus importants que la division des hommes et permettent l’humanité et la fraternité.

 

samedi 7 janvier 2023

                                                                 💙💙💙💙


 

« Elle a préparé la veille le dosage de lait en poudre et d’eau minérale qu’il va lui suffire de mélanger puis de réchauffer. Je m’agite, je halète bruyamment, remuant bras et jambes tel un pantin devenu fou. Ça la fait rire, elle dit « ça vient, ça vient », s’allonge à demi sur le canapé, tire le plaid sur ses jambes découvertes, et puis ça vient, le liquide tiède dans ma bouche, dans ma gorge, qui déborde, elle a mal réglé la tétine et me l’arrache sans prévenir pour diminuer le débit. Je suis sur le point de hurler, le pis en plastique me rebouche le clapet. Je tête avec ardeur, cela produit une mélodie rythmée, monocorde et ronde qui la plonge dans la torpeur. »

Dès les premières pages du roman, le ton est donné. La petite Eve, fruit d’une PMA voulue par sa mère, Stéphanie, est la 1ère à s’exprimer.

Suivront, dans les chapitres suivants, Stéphanie, puis ses sœurs, ses amies, sa mère, sa nièce… Toutes ces femmes proches qui vont raconter avec beaucoup de sincérité, quelquefois d’humour, leurs difficultés, leurs souffrances, leurs résiliences. Elles rapportent l’intimité avec leur corps : le désir, la beauté flétrie, l’exaltation d’une adolescente et son viol, la maladie, le surpoids….

Beaucoup plus qu’un roman, c’est presque un exercice de style : analyser méthodiquement ce qui touche les femmes de près, avec sensibilité et finesse.

Opération réussie !

                                                                    💙💙💙 



Cela commençait plutôt bien avec l’humour de l’auteure, son auto dérision face à sa peur panique de la mort. Elle utilise même le terme de « tsunami d’angoisse ».

A propos de son fils, examiné par un médecin à l’hôpital : « Si au moins, il pouvait résister et pousser quelques  hurlements, il m’offrirait l’occasion de le rassurer, de jouer ma partition de mère protectrice et, ce faisant me détournerait de ma propre angoisse. »

3 narrateurs se succèdent au long des chapitres 

- l’auteure nous fait part de son angoisse, de ses  réflexions sur la mort.- Gabrielle, la thanatopractrice (les soins après la mort) nous raconte sa reconversion, la recherche de sens, son expérience quotidienne

- Le dialogue entre Didier (thanatopracteur) et Françoise, extrait de l’émission Vis ma vie de thanatopracteur, produite par Réservoir Prod

Les réflexions et expériences de Gabrielle sont passionnantes, chargées de sens, d’empathie, d’humanité. « Le respect de la dignité humaine, même après la mort et c’est beau. »

Elle dit, en s’occupant d’une JF de 22 ans suicidée, après avoir subi une agression sexuelle, et aucun soutien de sa famille : « Elle était très belle. On m’a donné son rouge à lèvres, ses bijoux. Je lui ai lavé les cheveux, j’y ai passé deux heures. C’était difficile parce qu’elle avait choisi un mode de suicide très propre, mais l’autopsie avait été très invasive. J’avais envie d’en faire le moins possible, elle en avait assez vu. C’était long, mais j’étais contente du résultat. Et je lui ai parlé, tout le temps. »

Conclusion de Françoise à la fin du reportage « vis ma vie » : « C’est le mot humanité qui me vient en tête. (…) et puis cette leçon de vie énorme. Se dire que la vie est courte et qu’avant d’arriver entre les mains de Didier, il y a plein de choses à faire. Oui, c’est une revanche de la vie. »

Ce que j’ai trouvé intéressant :

- Le sujet de la mort, de la dégradation inéluctable du corps. Sujet souvent tabou, en tous cas peu effleuré par les écrivains.

- La fusion du sombre et du lumineux. Le doute, les questionnements d’Amandine Dhée, l’acceptation, la certitude de Gabrielle.

- L’importance du corps sur le mental. On connait bien sûr l’importance du mental sur la santé physique, mais il en est de même dans l’autre sens. Soigner le corps, l’entretenir contribue à soigner l’âme.

Il y a d’ailleurs une telle humanité dans les propos de Gabrielle (à rapprocher du livre de Delphine Horvilleur « Vivre avec nos morts ») que ceux d’Amandine paraissent quelquefois insipides.

On apprend aussi à la fin du bouquin, qu’Amandine et Gabrielle se sont rencontrées lors d’une séance de dédicaces. Cela aurait été plus judicieux de le savoir au début car le lecteur ne comprend pas. Heureusement que le résumé de l’éditeur le précisait en 4ème page de couverture.

La reproduction du reportage in extenso m’a gênée. Un rappel en bas de pages aurait été largement suffisant. D’autant que le dialogue n’apporte pas grand-chose. 

Dommage, car la tonalité est juste et sensible.

 

lundi 2 janvier 2023

                                                                            💙💙💙

Le parcours difficile et déterminé d’une « forte en gueule ». C’est ainsi que se définit Karelle, jeune fille congolaise immigrée en France à l’âge de 8 ans.

En faire plus que les autres pour avoir une chance d’ouvrir la petite fenêtre qui aboutira sur son objectif de vie. Exigeant, ardu quand on est noire, immigrée et bientôt marquée de la procédure OQTF (obligation de quitter le territoire français)

Karelle et sa mère Gisèle quittent le Congo où elles sont menacées. En France, pays de la liberté, les hôtels insalubres s’enchaînent. La promiscuité, le manque d’hygiène, les punaises de lit et les cafards font désormais partie de leur quotidien. Il faudra toute la volonté des deux femmes pour sortir de ce cauchemar.

« Relève toi, nom de  Dieu, il y va de ta dignité. Et sans vouloir encore se l’avouer, se redresser, fragile et tremblante tout en guettant du coin de l’œil l’étincelle qui déjà rejaillit. Celle de la vie, celle de la détermination. (…) Si on lui demande quel mot de la langue française peut définir au mieux les contours de sa personnalité, elle peut dire : la dignité. »

Le thème est souvent traité. Celui-ci a le mérite de tracer un portrait d’une femme attachante, volontaire, lucide sur elle-même, sur son environnement.

« Grandir, grandir, c’est aussi faire entrer en soi le regard des gens, leurs incompréhensions et leurs jugements de valeur, leur petite perfidie quand ils ne boudent pas leur  plaisir de l’avoir vue chuter. Ca lui fera les pattes, ça lui fera du bien , ça l’incitera à plus d’humilité, elle se mettra moins en avant, dorénavant, elle tempérera la confiance qu’elle peut avoir en elle. » 

J’ai aimé la prise de position de l’auteure qui salue la volonté d’excellence  de son personnage face aux embûches. Un beau portrait de femme volontaire, absolue, servi par une plume aiguisée et passionnée.