mercredi 30 novembre 2022

                                                               💙💙💙💙💙


 

Un livre, une BD, c’est d’abord la rencontre avec la couverture. Tout de suite, j’ai adoré ces deux corps nus, noués ensemble. Une étreinte, une symbiose parfaite.

Une base scientifique internationale en Antarctique. Un signal qui vient des profondeurs, encore plus profond… Les scientifiques découvrent deux corps cryogénisés, dans une coupole en or, survivants de presque 1million d’années.

L’équipe procède au réveil de la femme, arrive à communiquer avec elle, à comprendre son histoire, l’histoire d’une civilisation disparue. Avant de réveiller l’homme……..

Une belle œuvre de science fiction où les thèmes intemporels sont traités : l’amour, la fidélité, le courage, dans un monde qui s’effondre. Les  choix politiques : ceux qui survivront, ceux qui mourront. L’homme qui malgré les siècles, l’évolution, ne change pas. Quant aux scientifiques, ils  incarnent la recherche de la vérité, l’obsession de conserver la vie à ceux qu’ils ont sauvés d’un long sommeil.

La tension monte au fur et à mesure des pages, orchestrée par des dessins magnifiques. Les souvenirs de la jeune femme, Elea, sont représentés par des planches de couleurs vives, éclatantes. Au fur et à mesure, elles s’assombrissent. Les expressions sont marquées d’un réalisme saisissant.

Mais les hommes demeurent des hommes et les dangers se profilent à l’intérieur et à l’extérieur de la coupole. Ce que comprennent très vite les savants :

« J’ai eu l’impression d’assister à la fois, à notre passé lointain, mais aussi à notre futur proche. 

Il semblerait que les habitants de cette planète aient systématiquement une irrésistible envie de la détruire et de scier la branche sur laquelle ils sont assis. »

Un voyage dans le passé, mais qui paraîtra bien visionnaire à beaucoup d’entre nous. Un ensemble parfaitement réussi, dans le scénario, le graphisme et la mise en couleurs somptueuse.

mardi 29 novembre 2022

                                                           💙💙💙💙💙     


 

La personnalité et le parcours de Volodymyr Zelenski par Gallagher Fenwick, ancien responsable de France 24 et grand reporter. Une enquête sans complaisance où l’auteur revient sur les zones d’ombre de Zelensky : sa proximité avec l’oligarque Kolomoïsky (qui était le directeur de la chaîne de TV où il se produisait) et la citation de son nom dans les « Pandora papers », sans oublier son patrimoine immobilier…

On comprend mieux aussi les accusations de Poutine à propos du pseudo « néonazisme » de l’Ukraine. En fait, elles ne sont justifiées qu’à propos des milices néonazies de l’oligarque, devenu un gouverneur de région, entre Crimée et Donbass.

« L’aventure de Kolomoïsky sera de courte durée, mais haute en couleur et, comme souvent avec lui, pleine de controverses. En l’absence d’une armée digne de ce nom capable de protéger cette région et sa population face aux ambitions annexionnistes de la Russie, il va financer des milices  à hauteur de plusieurs millions de dollars. Certaines qui subsistent encore, font l’objet d’accusations graves, notamment le régiment d’Azov. Certains de ses combattants se revendiquent ouvertement du néonazisme, dont ils utilisent l’imagerie pour orner uniformes, armes, et parfois leurs avant-bras. »

L’inimitié entre Poutine et Kolomoïski est bien connue : « Poutine traite Kolomoïsky de « voleur d’une genre unique » et l’oligarque répond en traitant Poutine de « nain schizophrène »

Une analyse et un portrait passionnants qui facilitent grandement la lecture des événements actuels en Ukraine.

Zelensky est né en 1978, dans l’est de l’Ukraine. Une famille aisée, cultivée, dont les grands parents étaient juifs. L’un combattra aux côtés de l’Armée Rouge contre le nazisme, les autres mourront à Auschwitz.

« Les trois frères du grand-père de Zelensky ont été exécutés durant la Shoah. Son grand-père a servi dans les rangs de l’Armée Rouge, celle même qui libéra Auschwitz. »

Il est lui-même juif non pratiquant et se considère comme laïc. La religion est une affaire strictement privée. Avec l’humour qui le caractérise, il déclare : « Le fait que je sois juif se classe seulement en 20e position dans ma longue liste de défauts »

Sa langue maternelle est d’ailleurs le russe mais il parle couramment l’ukrainien et l’anglais.

Il fait des études de droit pour satisfaire ses parents mais, passionné par la scène, il se dirige vers le métier d’acteur, d’humoriste, puis de scénariste et  de producteur. Il fonde avec ses amis d’enfance la société de production, « Kvartal 95 ». Il va surtout faire un tabac dans la série « Serviteur du peuple » où il incarnera le rôle principal, un professeur idéaliste, candidat à la présidence de son pays ».

Zelensky incarne une candidature populiste qui va le propulser aux premières loges du gouvernement : « plutôt que de chercher à cacher son manque d’expérience, il le célèbre et l’érige en symbole de sa virginité politique. L’expérience devient de l’innocence qu’il oppose à la culpabilité de tous ses adversaires politiques. C’est la recette d’une candidature populiste dont l’un des arguments principaux, outre le rejet des élites, est la non appartenance à un système qui serait corrompu et corrupteur. (…) Zelensky se passera jusqu’au bout de tous les relais de campagne traditionnels, à commencer par la presse. Il ne lui parle pas, elle parle beaucoup de lui. Son utilisation des réseaux sociaux lui permet d’être le maître de son récit et de jouer une autre carte très importante dans une campagne populiste : la transparence.»

Pourtant, il n’y avait pas vraiment de programme dans cette candidature : « un vide dans lequel des millions d’ukrainiens ont projeté ce qu’ils voulaient y voir. Zelensky a trouvé le moyen de faire de son absence d’idées, une force, un vecteur d’espoir, la paix pour les uns, la promesse de changements politiques profonds pour les autres. »

« Zelensky et les candidats de sa liste n’ont eu qu’à reproduire la recette miracle : sincérité pour seule compétence, slogans anti-corruption, séquences dialogues diffusées sur les réseaux sociaux et concerts gratuits ! »

Cette aventure réussie représente aussi les prémices de bien d’autres candidatures politiques aux premiers postes.

Zelensky cherchera sans cesse à dialoguer avec Poutine, ne croyant pas à une invasion russe. Ne pas oublier que le russe est sa langue maternelle.

Ensuite, il va se révéler en tant que dirigeant ferme et courageux d’un pays agressé. Les USA avaient proposé de l’exfiltrer, il a refusé. « La bataille est ici, j’ai besoin de munitions et non d’un taxi. » Toujours, le sens des formules fortes et efficaces. La véritable métamorphose d’un homme en position de « Serviteur du peuple », de sauveur de son pays, qui continue à gouverner, à communiquer. 

 « Il interprète sa partition avec talent et sincérité. Et c’est efficace. Il est charismatique parce qu’il te donne l’impression d’être pleinement avec toi. (…)

Marc de Chalvron (France 2) lui a notamment demandé si cette guerre l’avait changé personnellement. Il a pris le temps de réfléchir un peu… et il a dit qu’il était surtout heureux de sentir qu’il était utile. Qu’il sentait les attentes autour de lui et qu’il aimait ça, en fait. » 

Une excellente analyse très documentée *du personnage (intelligent, courageux, fidèle en amitié, opportuniste mais sincère et courageux), mais aussi du pays et du contexte international. Qui permet à la lumière du passé, de mieux comprendre le présent, et d’envisager l’avenir.

L’écriture est juste, précise, le ton est très pédagogue.

Félicitations à Gallagher Fenwick qui réalise une véritable enquête journalistique, un vrai travail d’historien.

* Cela m’a fait sourire : il y a quelques années, les sources étaient essentiellement bibliographiques. Aujourd’hui, la documentation est entièrement numérique.

 

mardi 22 novembre 2022

                                                            💙💙💙💙 



Un couple en voiture, une petite route de montagne. Romy conduit, Sébastien est concentré sur la photo d’un paysage. Il s’est aperçu, en agrandissant, qu’il avait pris la photo d’une jeune femme brune, se prélassant sur le sable. Il la caresse du bout des doigts.

Soudain, c’est l’accident. Romy est plongée dans le coma, Sébastien, s’en sort physiquement.

On va suivre Sébastien, dans un parcours chaotique et désespéré. Il enquête pour retrouver la jeune femme brune de la photo, et en même temps, visite Romy à l’hôpital. Impuissant et coupable d’être toujours en vie.

Son angoisse de voir mourir Romy et en même temps, l’instinct de vie qui le pousse à rechercher la  jeune femme brune de la photo.

Deux mondes opposés où Sébastien tente de survivre : « Un monde en mouvement, qui danse et s’agite à l’air libre, et un monde à l’arrêt, qui respire sous assistance dans une chambre étroite… et entre les deux mondes, un pied entre la vie et la mort, se tiennent ceux qui se taisent et souffrent en silence. Ceux qu’ils appellent « les chanceux », « les miraculés »… Et dont je fais partie. »

Étreindre les êtres qui nous sont chers, étreindre la vie. Même inconsciente, la proximité avec Romy est forte. Elle lui parle, elle le comprend, elle le conseille et ses mots sont doux. Sébastien entend Romy qui lui dit :

« Savoir que du beau t’attend, et que c’est normal… et même quand je te regarde, je sais que tu es déjà dans l’après. »

C’est en même temps une observation précise et fine du monde hospitalier avec les autres familles rencontrées comme Marie-Yvonne, dont le mari est (soi-disant) hospitalisé pour cancer :

« Nous souffrons d’un mal incurable qui s’appelle l’espoir. Il y a urgence à n’en pas guérir, croyez-moi ».

C’est également les soignants dont le médecin qui suit le coma de Romy. Les attentes de la famille, les réponses du médecin :

« Et ça dure comme ça pendant 20 mn. Tu t’écoutes poser des questions, tu l’entends te répondre et tu sais que tu n’apprendras rien. Il te parle d’une voix posée, il te parle d’un dossier et il raccrochera, puis se tournera vers le dossier suivant. 

Et toi, tu as envie de hurler.  « Il faut du temps, il faut être courageux », il dit.

« Connard. »

Le graphisme accompagne harmonieusement le texte. Certaines planches sur la totalité de la page, sont même de petits tableaux à part entière, par leur beauté, par l’évocation immédiate et précise du sentiment.

Je pense à celle de la crique, page 158 : un homme de dos, (Sébastien) regarde la mer sous la pluie.

Mais on comprend aussi qu’il n’y a pas eu de scenario indiquant le graphisme à suivre, car certaines planches ne correspondent pas au texte. On sent qu’elles ont été rapprochées sans trop de raison.

On le comprend d’autant mieux que Jim et Laures Bonneau expliquent leur façon de travailler : pas de scenario préalable. Chacun travaille, ils communiquent ensemble et construisent le récit au fur et à mesure de l’avancée de chacun.

« Nous avancions simultanément en fonction de ce que proposait l’autre.

Laurent a commencé avec le dessin d’un ami sculpteur. (…)  Jim s’est accroché à une photo prise sur une plage. (…) A partir de cette photo, j’ai découpé les quelques pages d’ouverture. Un début d’histoire, une promesse peut-être. Un trajet en voiture, un accident… »

Laurent Bonneau (illustrateur)

« Pour moi, c’était une sensation très plaisante de constater qu’il savait toujours quoi faire de ce que je dessinais (seules 10 planches n’ont pas trouvé leur place sur les 300 réalisées au total). »

Malgré ce léger bémol, l’ensemble est très réussi.

Un roman graphique qui suscite l’émotion sur un sujet sensible et douloureux.

 

 

 

lundi 21 novembre 2022

                                                                    💙💙💙 



Un roman au thème plutôt original : le revers de la médaille pour des soldats engagés et donc participant à des opérations de combat à l’extérieur.

Quatre soldats de la même unité partent à la recherche de l’un des leurs, Lulu, disparu brutalement. Lulu qui parait toujours d’humeur constante, toujours là pour aider les autres. Pas le genre à déserter…

Même s’il revient d’une mission où un soldat est mort.

On comprend vite que les souvenirs douloureux sont légion, qu’ils les empêchent tous  de dormir, même ceux qui paraissent le plus solides.

« Il leur fallut à chacun un long moment avant de s’endormir enfin. Ni Romain, ni le lieutenant n’entendirent Stéphane se glisser hors de la maison et partir pour sa course nocturne, chassé par ses propres démons, différents des leurs. Les démons de celui qui se savait à la hauteur, et qui savait que cela n’avait pas suffi, que cela ne suffisait jamais. Qu’il n’y avait que l’inévitable à accepter, et que  c’était le plus difficile à faire. »

Ceux qui restent, c’est d’abord les morts qui restent et hantent les mémoires des vivants. Les morts auxquels on ne s’habitue pas.

C’est ceux qui ont choisi d’arrêter l’armée, comme Stéphane, mais dont les souvenirs continuent de le hanter.

Et enfin, c’est aussi celles qui restent : les épouses. Leur abnégation quand elles comprennent que l’armée, les autres soldats habitent la tête de leur homme et qu’il faudra faire avec.

La construction est intéressante avec « ici » : où l’auteur relate le moment présent, celui de la recherche des quatre militaires, et « là-bas », celui du retour vers les événements passés.

J’avoue m’être un peu ennuyée au milieu de l’enquête à propos de Lulu. Heureusement, un coup de théâtre  complète les pièces du puzzle et la fin est magnifique.

vendredi 18 novembre 2022

                                                                    💙💙💙💙💙 

Liam habite une maison isolée, dans la montagne, avec sa compagne Ava et leur fils, de presque 6 ans, Aru. C’est un homme de la nature, de la forêt, proche des animaux même s’il les chasse pour manger et faire des provisions indispensable pour l’hiver. Quand il part, c’est pour une bonne semaine, accompagné de son cheval ou de ses deux chevaux. Autant dire que c’est Ava qui s’occupe du petit.

Sauf qu’un jour, en revenant de chasse, il découvre Ava, tuée par un ours, et son fils vivant, caché sous sa mère.

Tout de suite, il se dit qu’il ne pourra plus vivre comme il l’a toujours fait, dans sa montagne, à l’affut de son gibier. Une vie dangereuse et qui va l’être davantage avec et pour le petit garçon.  Il faut donc le confier à son oncle et sa tante.  Mais ils ne veulent pas s’en charger et il faut repartir vers la maison, à plusieurs journées de cheval.

Un huit clos en pleine nature entre le père et l’enfant. Malgré son jeune âge, Aru se débrouille plutôt bien. Comme son père, il aime les loups et chante avec eux, comme le fait souvent Liam. Ce qui le dérange et le déstabilise complètement :

« C’est un matin comme les matins après l’orage, la brume monte de la terre ça fait des embruns des fumées des bancs de brouillard avec la lumière derrière et le soleil arrive. Dans mes yeux il n’y en a pas de soleil et je n’ai pas pardonné à Aru d’avoir chanté la veille, je sais que c’est idiot. N’importe quel père se serait émerveillé, et je suis là mes sourcils froncés ma gueule fermée, les loups, c’est à moi. C’est pareil quand Ava est morte, il y en moi cette colère contre le môme, qui prend nos places qui prend nos rôles et c’est difficile de dire que ce qui devrait me réjouir me donne la rage. »

C’est Liam qui raconte et ce choix de narrateur  est essentiel. Car le ton est envoutant. Le lecteur est dans la tête, dans les tripes de Liam. L’absence des virgules traduit le rythme de ses pensées, de ses accès de douleur, de rage, de désespoir qui le mènent quelquefois au bord d’actes insensés. Et il s’en rend compte. Mélange de lucidité et de folie.

J’ai lu le bouquin d’une seule traite, comme souvent  les récits de cette auteure dont j’apprécie tous les romans. Une action ramassée, dense, une analyse psychologique fine, sans fioritures.

On apprendra aussi la réalité de la mort d’Ava…

C’est une histoire qui se termine relativement bien, comme dans tous les romans de Sandrine Collette  Et ça aussi, j’apprécie. Le frémissement  et le soulagement, une drôle d’aventure en compagnie de Liam et d’Aru, et des deux chevaux

Mention spéciale pour le portrait d’Aru…..  Je ne dis rien, vous découvrirez…

Une parenthèse ou un PS clin d’œil

Un extrait qui m’a fait sourire. L’auteure est une accro des chevaux comme je le suis  et Liam parle d’un de ses deux chevaux : « Ce qui est drôle, c’est que Dark, malgré son nom, il n’est pas du tout noir. Il a une jolie robe dorée comme un renard qui aurait trop grandi et puis une  crinière blonde de fille et des chaussettes blanches aux quatre jambes (je déteste les gars qui disent des pattes, un cheval ça n’a pas de pattes, je le dis une fois pour toutes). Il est beau ce cheval je le regarde juste pour le plaisir je pourrais rester des heures à le regarder et à l’écouter croquer ses brins d’herbe ça me calme. »

 


mercredi 9 novembre 2022

                                                                   💙💙💙💙 



Albertine est une petite fille battue et terrorisée par sa mère «  la sorcière », violente, manipulatrice  et névrosée. « Dès que la porte s’ouvrait, je me tassais sous la couverture, un oreiller sur la tête, j’étais terrifiée à l’idée qu’un coup particulièrement violent puisse me fracasser le cerveau. Je doutais beaucoup de sa solidité… »

Albertine est aussi la narratrice du récit, de son enfance et de son adolescence.

Ce qui donne une note  particulière  au récit : le ton n’est jamais grave. Il est naïf, (quelquefois, il nous fait sourire) et terriblement lucide. Elle raconte également les rêves qui lui permettent de tenir. Écrire l’histoire de sa vie, « même si sa vie n’est pas intéressante. »

Le ton est léger mais la souffrance est continuelle et bien réelle : « Cela me donnait envie de mourir pour la soulager, et pour me soulager aussi ; mais comme je n’avais pas encore écrit l’histoire de ma vie, je préférais ne pas mourir tout de suite. » Cette dichotomie permanente est l’un des charmes du récit, comme Isabelle Minière sait si bien le faire, notamment avec « Je suis né laid »

Les souffrances, la mort, d’une part et le détachement de l’enfance, d’autres parts. L’acceptation d’une situation habituelle.

« A chaque fête des mères et à chacun de ses anniversaires, j’ai pensé que le plus beau cadeau que je pouvais lui faire, c’était de mourir. Sa joie, en me trouvant morte dans mon lit. J’ai essayé de me suicider plusieurs fois, en prenant 4 comprimés d’aspirine d’un coup, en dépassant largement les doses n mais ça n’a pas marché. Je me suis réveillée le lendemain, j’ai essayé avec du paracétamol, ça n’a pas marché non plus. »

A ses 18 ans, sa mère la fiche dehors avec pour tout bagage, 3 sacs Ikea et les coordonnées de son père. Peut-être, une nouvelle vie pour Albertine…

Encore une fois, j’ai apprécié le regard si particulier de l’auteure sur l’enfance, sur ses souffrances : réalisme et humour. Mais… Je n’y ai pas retrouvé la force, la puissance de « Je suis né laid » où l’auteure m’a tenue en haleine jusqu’au bout.

dimanche 6 novembre 2022

                                                                        💙💙💙 



Un récit qui commence doucement, par le vol d’une partition découverte par hasard et qui, peut-être, proviendrait du musicien et violoniste Scarlatti.

Une construction avec 6 narrateurs autour du personnage central, mort au 18ème siècle, Domenico Scarlatti.

- Grégoire Coblence, l’ébéniste, découvre une partition très ancienne dans un étui qu’il restaure. Elle disparaît peu de temps après.

- Giancarlo Albizon, le luthier talentueux, le bel italien addict au jeu et aux femmes, et associé de Grégoire.

- Manig Terzian, la claveciniste âgée

- Rodolphe Luzin-Farge, LE spécialiste de Scarlatti

- Joris de Jonghe, le riche collectionneur

- Un narrateur anonyme. Une araignée qui tisse sa toile.

« Je suis là, derrière vous. Vous ne me voyez pas, vous ne m’entendez pas. Vous ne soupçonnez même pas ma présence. Mais je vous observe comme on observe des poissons rouges dans leur bocal. J’ai à ma disposition toutes sortes de ruses. J’ai de quoi vous faire tourner en rond durant des heures, des jours, des semaines. Tous autant que vous êtes. La partie va être longue. Tant mieux. »

Le piège inexorablement se referme.

 

La musique est au centre du récit. C’est Manig Terzian, la claveciniste qui en parle le mieux : « Mais l’enthousiasme du public, presque palpable, m’a portée. Il a délié mes doigts raidis d’arthrose et m’a plongée dans cet état que j’aime par-dessus tout : la pureté du jeu, cet instant où l’on ne fait plus qu’un avec l’instrument. Quand on sait qu’on a trouvé sa juste place, même pour quelques instants, dans le puzzle mouvant de l’univers. »

« Je ne crois pas à la postérité des êtres. La gloire, la célébrité sont des hochets pour grandes personnes. Se croire immortel car on gravé quelques disques n’est qu’une idiotie, une preuve supplémentaire de la vanité humaine. En revanche, je sais que la musique, la mémoire sonore de la musique (…) n’a pas d’âge. »

Très intéressant aussi et peu évoqué habituellement, l’arrière du décor. La pression des récitals, des concours, de la célébrité. Le don de sa vie à la musique.

 « Sauf qu’il y avait les concours, les récitals obligatoires, la pression d’un début de carrière, dans un monde de jeunes ambitieux perpétuellement en concurrence. Plus il avançait, plus il avait l’impression qu’on lui confisquait sa vie. »

Un bon moment de lecture, mais sans doute pas le meilleur cru d’Hélène Gestern.

 

                                                               💙💙💙💙 



1896, 1ère page du journal de Miléva Maric. Cette  jeune fille serbe intègre  l’institut polytechnique de Zurich, où elle est la seule femme. Brillante étudiante, mais aussi boiteuse, elle est méprisée et rejetée par son professeur mais aussi par les autres étudiants. Excepté d’Albert Einstein qui en tombera amoureux.  Passionnée de sciences, géniale en mathématiques, elle apporte une large part à la théorie de la relativité d’Einstein, qui ne citera jamais les contributions de son épouse.

Un portrait sans concession d’Einstein, à double facettes. Charmeur et agréable pour le cercle d’amis et d’admirateurs, égoïste et cruel pour sa famille : femme et enfants.

« Cela me surprenait toujours de voir avec quelle aisance il endossait une personnalité charmante en public, lui qui venait juste de  me crier de marcher derrière lui. »

L’auteure a donc choisi de raconter l’histoire de Miléva sous la forme d’un journal de 1896 à 1914. Ce qui permet une grande proximité avec Miléva Einstein : comprendre ses doutes, ses rebellions, son caractère. Mais aussi le formatage d’une femme à cette époque. Elle doit s’occuper de ses enfants et son foyer en priorité, et laisser la part belle à son mari.

Pourtant, ses parents, conscients de « sa disgrâce physique » (aucun homme ne voudra d’une femme boiteuse) l’ont élevée dans l’idée d’une femme consacrée à son métier, mais pas une épouse :

« Cette conviction que je n’étais pas digne de me marier était ancrée en moi depuis si longtemps qu’elle semblait faire partie de ma personne »

Mise au point très appréciable de l’auteure à la fin du livre :

« Étant donné l’éclairage nouveau que ce roman jette sur le célèbre Albert, mes lecteurs seront peut-être curieux de savoir ce qui est véridique dans ces pages et ce qui relève de la spéculation. En ce qui concerne la structure globale du livre – les dates, les lieux, les personnes – j’ai tenté de coller autant que possible aux faits, et je n’ai pris des libertés par rapport à la réalité que dans un but romanesque. *(…) Afin que chacun puisse se faire sa propre opinion sur les personnages décrits dans ce livre, je vous invite à consulter l’ensemble des documents et des lettres rédigées par et sur Albert Einstein et Mileva Maric. »

Passionnant et bien documenté.

                                                         💙💙💙💙💙


 

Un thème souvent traité : la brutalité, la violence d’un parent envers ses proches, le mutisme de l’entourage.

Et pourtant l’auteure nous embarque  immédiatement dans le récit de Jeanne qui est aussi la narratrice. Elle habite avec ses parents et sa sœur dans un village montagnard du Valais. Son père est violent, brutal, sadique. Sa mère et sa sœur se résignent, se soumettent. Jeanne résiste de tout son être et se construit par la haine qu’elle éprouve envers son père et par la peur, quand elle comprend à 8 ans que l’entourage est muet, lâche, même le médecin venu l’examiner après des coups reçus.  Ne rien montrer, être continuellement en alerte. 

Jeanne se raconte, enfant, adolescente, adulte. Dès qu’elle a pu, elle a quitté la famille pour étudier et ensuite travailler à Lausanne. Une nouvelle vie… Mais les plaies de l’enfance sont toujours à vif.

Elle connait la douceur, l’amour avec son amie, Marine, mais le moindre événement touchant ses proches, la fait retomber. Comme les confidences de sa sœur Emma, comme son suicide, peu de temps après.

Emma : « Il me disait que c’était moi, que je l’excitais, que je faisais exprès. Mais je ne faisais pas exprès, je te jure. J’avais des seins, il les adorait. »

Elle a dit ça : il les adorait.

_ « Tu déconnes là ? Un père qui adore les seins de sa fille ! Tu te rends compte de ce que ça veut dire ? »

_ « Je sais que c’est mal, mais j’étais sa préférée… »

L’abject et l’obscénité m’étouffent. J’ai mal pour elle, je le hais, lui. Plus encore. Et ma mère, muette, sourde et aveugle. »

Pourtant, elle est bien consciente de l’amour de Marine, de son empathie et de sa bienveillance. Sensible également à l’amour de Paul, qu’elle essaie de repousser, en s’expliquant dans une magnifique lettre. :

« Je t’aime, Paul, et je ne sais pas quoi faire de cet amour. Je vis avec lui dès le réveil. J’ouvre les yeux et il est déjà là, tapi. (…) Il est dans le souffle de l’air, il est un trajet de train, il est l’eau grise, bleue, verte, mourante ou limpide du lac. (…) Je ne sais rien de toi. (…)

Toi non plus, tu ne sais rien de moi. Tu ne sais pas d’où je viens. Mes origines m’obsèdent, me salissent, hurlent la nuit, surgissent quand je ne m’y attends pas. Il suffit d’un éclat de voix, d’une bousculade dans la rue, d’une assiette qui se brise, pour que la peur et la haine remontent. Ce que tu vois de moi, ce que je montre de moi, je l’ai dompté. (..) J’ai peur que la hargne que j’ai mise pour tenir debout se perde avec cet amour trop fleur bleue. J’ai peur de me laisser aller à t’aimer en entier. J’ai peur de tomber si je laisse éclater les barrières qui nous tiennent à distance. »

L’introspection de Jeanne est très lucide. Elle se connait dans les coins, comprend les réactions qu’elle suscite. Ce n’est pas surtout un mélo, mais une analyse très fine et émouvante d’une femme qui ne guérira jamais de son enfance. Une jeune femme cadenassée de l’intérieur, qui ne tient que par la haine et redoute par-dessus tout, les souffrances.  Un arbre grand, droit, mais mort.  

Un récit servi par une écriture juste, fine, précise.

Beaucoup de tristesse en refermant ce roman puissant et je comprends qu’il ait remporté le prix du roman Fnac 2022.

vendredi 4 novembre 2022

                                                                  💙💙💙

La vie difficile de l’illustrateur, où il faut beaucoup travailler, avoir des éditeurs fidèles pour espérer vivre de sa plume. C’est ce qui arrive à Geoffroy qui recherche désespérément un autre métier.

Mais que faire, quand on ne sait se servir que d’un crayon ? Même pour ranger des salades dans un hyper, il faut de l’expérience….

Le ton est donné, drôle mais terriblement critique sur la société et surtout le monde du travail. Il finit par trouver dans un EHPAD où il s’occupe des pensionnaires.

Tous ne sont pas logés à la même enseigne. Surtout quand le manque de personnel est flagrant, surtout quand tout est bon pour accroitre les profits. 

Malgré ces difficultés, cette  immersion dans le réel qui lui fait du bien : il se sent utile : « C’est gratifiant de se sentir utile quand on manque de confiance en soi »  C’est l’autre thème de cette BD : donner un sens à sa vie.

Dommage que la maison d’éditions laisse passer des fautes d’orthographe comme : « on a finit » avec un T au passé composé du verbe finir.

Un bon moment de lecture à passer avec Geoffroy sans rechercher plus, car on n’apprend pas grand-chose.

Le récit s’achève sur un clin d’œil. Dialogue entre deux soignants à propos du départ de Geoffroy :

_ «Je suis persuadée qu’il est venu en sous-marin pour faire une BD sur les EHPAD. »

_ « Tu crois que c’est possible ? Deux ans d’immersion, c’est long… » 😊

 

 


                                                                   💙💙💙💙💙 



C’est une analyse maîtrisée, argumentée de la condition des femmes au Congo que nous propose le docteur Mukwege, gynécologue-obstétricien dans la maternité de Panzi.

Une analyse intellectuelle, basée sur son expérience professionnelle, sa recherche de rapports documentés et chiffrés mais aussi une analyse par le cœur, les émotions, l’empathie. C’est pour cela qu’il nous touche autant.

Le témoignage est vibrant pour célébrer en effet, la force des femmes. Qui se relèvent, retrouvent des objectifs de travail, de vie après des viols collectifs, des blessures qui font frémir le lecteur, sans compter la honte et le rejet de la famille : « Souffrir d’une fistule (perforation à l’intérieur de l’appareil génital) équivalait souvent à subir la honte et le rejet. »

Denis donne beaucoup d’exemples, et à chaque fois, on est admiratifs. Comment vivre après des agressions aussi graves où la femme est considérée comme un outil sexuel ?

C’est un féministe, et il l’indique dès les 1ères pages : « il n’est pas courant qu’un homme fasse campagne pour les droits des femmes. J’en ai bien conscience. J’ai eu l’occasion de ressentir ça dans des conversations entre amis, des rassemblements sociaux ou des réunions à caractère professionnel. J’ai bien vu les regards perplexes et les mimiques d’incompréhension. De temps en temps, je rencontre même de l’hostilité. Certains jugent mes choix suspects, voire menaçants. »

Le Congo, appelé « la capitale mondiale du viol » : « je vous encourage à voir le Congo, parfois encore appelé « la capitale mondiale du viol » comme une fenêtre sur les pires extrémités de ce fléau mondial que sont les violences sexuelles. »

D’autant plus que les médecins formés ne pratiquent pas au Congo. Ils s’expatrient dans des contrés plus facile. Dans les pays européens, le ratio est de 1 médecin pour deux cents habitants, au Congo, il est à peine de 1 pour dix mille.  

Il pose aussi une question qui pourrait être banale : pourquoi les hommes violent-ils ? « La guerre menée contre le corps des femmes au Congo n’a pas été perpétrée par des psychopathes qui arpentent la jungle pour réaliser les fantasmes sexuels d’esprits dérangés. Les maladies mentales sévères existent, bien sûr, et peuvent expliquer certains cas. Mais il faut considérer le viol comme un choix conscient et délibéré qui est la conséquence d’un mépris pour les femmes, car l’origine se trouve là. »

Le viol est  aussi un instrument de guerre, souhaité par les hauts dirigeants. « Il devient tactique militaire. Il est planifié. Les femmes sont délibérément prises pour cibles comme moyen de terroriser la population. Son adoption dans les conflits en Asie, en Afrique, et en Europe au cours du XXème siècle peut s’expliquer par le fait qu’il est peu coûteux, facile à organiser et malheureusement, terriblement efficace. »

Le viol prémédité est désormais considéré comme crime contre l’humanité. Un petit progrès, mais quand les dirigeants restent passifs, cela ne sert pas à grand-chose.

Glaçant, le témoignage des enfants-soldats où toute humanité a disparu. Environ dix mille enfants ont été kidnappés et  enrôlés par les troupes rwandaises en 1996.

Glaçant pour ces hommes perdus, glaçant pour ce qu’ils font subir aux femmes, sans se poser des questions. Normal, banal. Les propos d’un jeune homme de 20 ans : « il a expliqué être devenu accro à la vie de rebelle. Les attaques nocturnes, les armes, l’action, les massacres, les cris. La vie au campement était dure et inconfortable, alors il attendait avec impatience les opérations. « C’était comme une drogue, je ne me posais même pas de questions. J’ai aimé faire du mal. »

Il répond ensuite à la question de Mukwege «  Pourquoi mutiler quelqu’un ? »

« Quand on tranche la gorge d’une chèvre ou d’un poulet, c’est pareil, on ne se pose pas de question. Une femme, c’est pareil, on fait ce qu’on veut avec. »

Il n’oublie pas non plus, le rôle de la religion. Et il parle en tant que chrétien, pasteur et fils de pasteur : « Le changement doit venir du sommet pour donner de l’impulsion à la base. Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, les violences sexuelles sont la résultante d’une hiérarchie  entre les genres qui considère que la vie des hommes est plus importante que celle des femmes. Il faut admettre le rôle de la religion dans la domination masculine et la soumission féminine. »

Il n’occulte pas non plus la politique du président Kabila, son immobilisme, sa docilité envers le Rwanda et les agressions rwandaises au Congo. Sans oublier tous les autres pays qui ont pratiqué le viol, « Qui se souvient des centaines de milliers de femmes qui, elles aussi, ont été victimes de la guerre, violées sous la menace d’une arme, par des allemands, des russes, ou des membres des troupes alliées ? » Et beaucoup, plus proches de nous, les agressions de Daech contre les Yézidis en 2014. Sans oublier les pays, au XXIème siècle, qui reconnaissent plus ou moins le délit du viol.

Un témoignage à mettre entre toutes les mains. 

Sa conclusion exprime la quintessence et l’esprit de son témoignage : « Je prie chaque jour pour un futur paisible et prospère dans ma région et mon pays. Nous sommes riches au-delà du concevable en terme de ressources naturelles, et pourtant, l’avidité et l’exploitation ont fait de cet endroit, l’un des plus pauvres de la planète. Aujourd’hui encore, des villages y sont brûlés, des massacres se produisent chaque semaine sans que cela provoque la moindre vague d’indignation au Congo, ni à l’étranger. Nous avons besoin de justice et de recherche des responsabilités.  Je rêve d’une société où les mères sont reconnues comme les héroïnes qu’elles sont, où les filles issues de notre maternité sont autant considérées que les garçons, où les femmes grandissent sans craindre les violences »

Un récit à lire et à relire. Il est tellement riche qu’un bref résumé comme celui-ci ne suffit pas le présenter et je suis sûre d’être passée à côté de beaucoup d’éléments historiques et politiques.