dimanche 6 novembre 2022

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Un thème souvent traité : la brutalité, la violence d’un parent envers ses proches, le mutisme de l’entourage.

Et pourtant l’auteure nous embarque  immédiatement dans le récit de Jeanne qui est aussi la narratrice. Elle habite avec ses parents et sa sœur dans un village montagnard du Valais. Son père est violent, brutal, sadique. Sa mère et sa sœur se résignent, se soumettent. Jeanne résiste de tout son être et se construit par la haine qu’elle éprouve envers son père et par la peur, quand elle comprend à 8 ans que l’entourage est muet, lâche, même le médecin venu l’examiner après des coups reçus.  Ne rien montrer, être continuellement en alerte. 

Jeanne se raconte, enfant, adolescente, adulte. Dès qu’elle a pu, elle a quitté la famille pour étudier et ensuite travailler à Lausanne. Une nouvelle vie… Mais les plaies de l’enfance sont toujours à vif.

Elle connait la douceur, l’amour avec son amie, Marine, mais le moindre événement touchant ses proches, la fait retomber. Comme les confidences de sa sœur Emma, comme son suicide, peu de temps après.

Emma : « Il me disait que c’était moi, que je l’excitais, que je faisais exprès. Mais je ne faisais pas exprès, je te jure. J’avais des seins, il les adorait. »

Elle a dit ça : il les adorait.

_ « Tu déconnes là ? Un père qui adore les seins de sa fille ! Tu te rends compte de ce que ça veut dire ? »

_ « Je sais que c’est mal, mais j’étais sa préférée… »

L’abject et l’obscénité m’étouffent. J’ai mal pour elle, je le hais, lui. Plus encore. Et ma mère, muette, sourde et aveugle. »

Pourtant, elle est bien consciente de l’amour de Marine, de son empathie et de sa bienveillance. Sensible également à l’amour de Paul, qu’elle essaie de repousser, en s’expliquant dans une magnifique lettre. :

« Je t’aime, Paul, et je ne sais pas quoi faire de cet amour. Je vis avec lui dès le réveil. J’ouvre les yeux et il est déjà là, tapi. (…) Il est dans le souffle de l’air, il est un trajet de train, il est l’eau grise, bleue, verte, mourante ou limpide du lac. (…) Je ne sais rien de toi. (…)

Toi non plus, tu ne sais rien de moi. Tu ne sais pas d’où je viens. Mes origines m’obsèdent, me salissent, hurlent la nuit, surgissent quand je ne m’y attends pas. Il suffit d’un éclat de voix, d’une bousculade dans la rue, d’une assiette qui se brise, pour que la peur et la haine remontent. Ce que tu vois de moi, ce que je montre de moi, je l’ai dompté. (..) J’ai peur que la hargne que j’ai mise pour tenir debout se perde avec cet amour trop fleur bleue. J’ai peur de me laisser aller à t’aimer en entier. J’ai peur de tomber si je laisse éclater les barrières qui nous tiennent à distance. »

L’introspection de Jeanne est très lucide. Elle se connait dans les coins, comprend les réactions qu’elle suscite. Ce n’est pas surtout un mélo, mais une analyse très fine et émouvante d’une femme qui ne guérira jamais de son enfance. Une jeune femme cadenassée de l’intérieur, qui ne tient que par la haine et redoute par-dessus tout, les souffrances.  Un arbre grand, droit, mais mort.  

Un récit servi par une écriture juste, fine, précise.

Beaucoup de tristesse en refermant ce roman puissant et je comprends qu’il ait remporté le prix du roman Fnac 2022.

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