dimanche 26 mars 2023

                                                                       💙💙💙💙


 

L’histoire d’Émilie Geoly, mal dans sa peau. C’est tout de suite perceptible dans ses propos, ses expressions et sa façon de s’habiller. « Comme une vieille, les vêtements d’une Mary Poppins  qui serait vidée de toute gaité, de toute légèreté.

Son entourage ne l’aide pas vraiment, une amie fofolle et égocentrée, une autre amie, négative et également égocentrée, un compagnon uniquement intéressé par la télé et le sport, des parents et une sœur « parfaite », sans cesse en train de la juger.

Emilie, instit, met des bonnets d’âne aux mauvais élèves et son collègue, amoureux d'elle et hypocondriaque, le « professeur Gougueul » lui conseille donc d’aller « voir quelqu’un », c'est-à-dire, un psy…

Car il a diagnostiqué sur son Smartphone, le trouble dont souffre Émilie :

« Le syndrome de T.A.G. Le TAG est un état d’anxiété permanente qui dure depuis au moins 6 mois et n’est lié à aucune situation en particulier. C’est une inquiétude excessive de tous les moments de la vie quotidienne : professionnelle, familiale, affective et sociale ».

En quelques pages, les personnages sont campés, crédibles et l’ambiance parfaitement reconstituée. La psy rencontrée est tout sauf bienveillante. Elle est cassante, sèche, odieuse.

J’ai adoré ce mélange de gravité (le mal être d’Émilie est bien réel) et l’humour présent dans chacune des pages. Tant dans les dialogues que dans le graphisme. Un dessin dépouillé qui insiste sur les expressions, une colorisation des planches qui accompagne admirablement la tonalité du récit.

Petit cadeau : « Professeur Gougueul », (le collègue) explique sur un paper-board les différentes phases d’une analyse. En général, cela représente une ou deux pages. C’est bien fait, pédagogue, sans simplisme grossier.

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire cette histoire, à sourire sur les dessins.

Une jolie réussite.

samedi 25 mars 2023

                                                                 💙💙💙


 

Ce récit, autobiographie ou fiction, évoque la transmission des histoires familiales. Les enfants les entendent dès leur plus tendre enfance, ne les remettent pas en question et les transmettent ainsi, à leurs propres enfants.

Vérités, dissimulations ou mensonges transmis dans le marbre de l’histoire de chaque famille.

C’est le cas de l’arrière grand-mère de la narratrice, Anne Décimus : elle est morte de chagrin, au décès de son mari. Le concept de « cœur brisé » prend alors tout son sens, se charge de gravité et de compassion pour les descendants.

Sauf que… l’auteure va découvrir qu’Anne est décédée quarante plus tard…

Il est d’autant plus important de connaître enfin la vérité, que la santé de la grand-mère est chancelante, et surtout, qu’elle a vécu la plus grande partie de son enfance dans un orphelinat, puisque à priori, elle avait perdu ses parents.

Savait-elle que sa mère était encore en vie ?

Avec beaucoup de difficultés, l’auteur enquête et comprend que l’aïeule a été internée…

Deux thèmes m’ont intéressée dans ce récit, que Stéphanie Dupays a particulièrement bien mis en valeur

- L’historique de nos ancêtres, les parties grises ou noires qu’on a voulu cacher à un moment ou à un autre, marquent nos personnalités, nos éducations, nos parcours de vie. Il suscite ( l’historique ) la volonté de vérité pour certains, la volonté d’oubli ou de déni pour d’autres.

C’est parfaitement bien exprimé par les parents de l’auteure :

« Ma mère dit : « de l’eau a coulé sous les ponts »

Mon père dit : « c’était une autre époque, les gens se posaient moins de questions que maintenant. »

On a entendu aussi cette réponse à propos du harcèlement sexuel et d’incestes : « c’était une autre époque. » Une façon comme une autre de dire, « c’est normal. »

- L’environnement psychiatrique de l’époque, au début du vingtième siècle. Le terme de « folie » englobait souvent des pathologies bien différentes, et surtout des traitements inappropriés. Prison ou soins ?

C’est très factuel mais évoqué avec beaucoup de pudeur et de sensibilité.

J’ai regretté de ne pas entrer davantage dans l’écriture de Stéphanie Dupays, que j’ai trouvée un peu pompeuse, ou « surjouée », par moments. Opinion tout à fait subjective…😊

Lu dans le cadre du prix Orange 2023.

Je remercie la Fondation Orange et les éditions de l’Olivier de m’avoir permis de découvrir ce roman intéressant. 

 

 

mercredi 22 mars 2023

                                                                    💙💙💙💙💙 



« Ma petite fille s’est perdue hier soir, un ouvrier l’a trouvée ce matin, nous rentrons chez nous, fin de l’histoire. Pourtant, j’en suis sûre, je n’ai pas retrouvé ma fille. Et cette possibilité m’attire et m’effraie. »

La disparition – très momentanée – de la petite Nina est un cataclysme pour sa mère, Emma. De plus en plus, elle est persuadée qu’il ne s’agit pas de sa fille, que c’est une autre qui la remplace. « L’autre ».

« Oui, j’ai la conviction déroutante que cette petite fille revenue qui se fait passer pour ma fille est une fausse qui se fait passer pour Nina. Autrement dit, nous vivons avec sa copie. »

On comprend très vite que la mère est malade. Elle fait tout pour prouver que c’est une autre petite fille qui a pris la place de la sienne. Elle est agressive et  méchante envers l’enfant.

C’est un roman puissant car l’auteure a particulièrement bien maîtrisé son sujet : la dégringolade inexorable d’Emma, le père écartelé entre sa femme et sa fille, qui ne peut imaginer que sa femme divague. Et surtout l’attitude d’une petite fille en souffrance qui fait tout pour récupérer l’amour de sa maman. Jusqu’à l’accompagner dans son délire de recherche, tous azimuts,  de « sa vraie fille ».

Un récit court et dense où le suspens accompagne le lecteur jusqu’au mot fin.

Une histoire qui reprend les symptômes d’une maladie réelle. Une maladie rare, le syndrome de Capgras, « l’illusion des sosies ».

Les personnages bien campés, particulièrement crédibles, demeurent encore dans ma tête, une fois le livre fermé.

Le signe d’un très bon roman.

Livre lu dans le cadre du prix Orange 2023.

Je remercie la Fondation Orange et les Éditions verticales de m’avoir permis de découvrir cette auteure.

 

 

dimanche 19 mars 2023

                                                                    💙💙💙 



« Elle revint vers le lit, prépara les ampoules de morphine, puis se saisit délicatement du bras, flasque et décharné. Très lentement, d’un geste sûr, elle injecta le produit. Marc ne clignait pas des yeux, il était stupéfait de la scène dont il était témoin. Victoire démontrait tant d’assurance. Ils étaient en train de. En train de. »

L’auteure nous embarque immédiatement dans l’histoire de Victoire, infirmière à Marie-Galante. On comprend qu’en présence de Marc, elle a injecté une dose qu’elle pense fatale à un vieil homme, Éloi,  qu’elle aime comme son père.

Ce livre est une réflexion intéressante sur l'euthanasie, sur le sens de la vie, de la mort. Une frontière très ténue, impalpable entre les deux.

Malgré quelques longueurs consacrées aux souvenirs de Victoire avec son père, l’auteure a l’immense mérite d’aborder de façon très juste, un sujet difficile.

Prix lu dans le cadre du prix Orange 2023.

                                                                    💙💙💙 



C’est toujours très ennuyeux lorsqu’un grain de sable vient contrarier une randonnée en amoureux.

Surtout au fin fond du désert !

 

C’est ce qui arrive à la narratrice dans les années 1980. Avec Pierre son compagnon plus vieux d’une vingtaine d’année,  et Amastan leur guide marocain quand ils décident de randonner « hors piste » dans le Sahara. Une stupide panne de voiture les immobilise près d’une grotte connue pour ses peintures rupestres située à l’écart des routes ordinairement usitées.

Elle pense alors mourir.

 

Pour tromper son ennui, occulter l’idée de la mort,  elle décide de noter sur des carnets, ce qu’elle voit, ses souvenirs d’enfance et surtout, les tenants et aboutissants de sa relation avec Pierre, tout en faisant un parallèle avec le roman « Lord Jim de Joseph Conrad ».

C’est la première fois qu’elle se retrouve face à la mort : « Mais la mort n’a pas traversé ma route : personne autour de moi n’a disparu, aucun de mes proches. Aujourd’hui, je me dis qu’au moins j’aurai eu la chance de n’avoir pas enduré cette douleur-là, puisqu’il est pratiquement certain que je serai moi-même la première morte de ma vie. »

 

Mais faire le point sur une relation amoureuse dont les règles n’ont été établies que par une seule des deux personnes, peut vite déboucher sur une impasse, sur un désert sentimental.

 

Ce roman souhaite nous emmener dans le désert, sa chaleur, ses rites, sa faune, avec un bon nombre de références (Théodore Monod, Henri Lhote). Il foisonne de termes touaregs avec un index lexical à la fin de l’ouvrage.

 

D’une écriture fluide, ce roman se lit facilement mais a du mal à faire entrer le lecteur dans ce silence, cette lenteur, ces moments d’immobilisme thermique comme seul le désert peut nous offrir, pour les personnes qui ont eu la chance de pouvoir faire un séjour dans les sables du Sahara.

 

En résumé, un excellent livre de découverte pour avoir une première approche du désert.

 

Chronique établie par Gérard G

Livre lu dans le cadre du prix Orange 2023

dimanche 12 mars 2023

                                                                       💙💙💙


 

Lucie est une adolescente de 16 ans, enceinte et qui décide d’avorter. Sa mère Julia l’accompagne et se fait aider par son amie de toujours, Rose.

De façon un peu simpliste, on pourrait dire qu’il s’agit encore d’un roman de « nanas » écrit par une nana…

C’est cela, mais beaucoup plus : une véritable réflexion sur la maternité, l’avortement, la place des hommes dans ce processus.

C’est aussi le sens de la maternité, être mère quand les enfants grandissent, et vous échappent. Ne plus se sentir utile, quand tout le sens de la vie est centré sur les enfants.

Un ton très naturel, qui donne de la vivacité au récit. De la gravité, de l’émotion à certains passages, de l’humour à d’autres.

« C’est le seul sujet de discussion que je lui connaissais. Lorsque nous croisions quelqu’un, elle expédiait sa partie et sautait à la suivante : les enfants. Personne ne trouvait cela étrange, c’est ce que font la plupart des gens qui n’ont rien à se dire mais cherchent à se parler. »

Un roman juste qui aurait mérité un travail plus en profondeur. Mais il est facile à lire et pose les bonnes questions.

Lu dans le cadre du prix Orange 2023.

Je remercie la Fondation Orange et les Éditions Équateurs de m’avoir permis de découvrir cette auteure.

                                                         💙💙💙💙💙

Un sujet banal, transformé au fil des pages, en….

Une histoire d’amour difficile, sur fond de montagne.

Rémy est moniteur de ski et guide en haute montagne. « Beau gosse », il a l’habitude des conquêtes trop faciles, souvent plus âgées que lui, dont il a presque honte.

 « Il faut dire que,  le plus souvent, dans son métier de gigolo des neiges, il était lui-même jaugé et jugé. »

Il s’éprend d’une cliente de son âge, Laure, distante, plutôt mystérieuse, issue à priori, d’un milieu aisé, qu’il initie à l’escalade. Et ils deviennent très vite amants passionnés.

Laure travaille à Paris et revient régulièrement faire des courses avec lui en montagne. Il ne vit plus que pour ces instants passés ensemble. Il la rejoint à Paris et finalement ne quitte plus l’appartement parisien, jusqu’au moment où elle le fiche à la porte. Peu de temps après, elle a un très grave accident de voiture.

Au fur et mesure du récit, il se densifie.

On le sait tous, on n’est pas très lucide quand on est amoureux. Ce thème porté par la plume de l’auteur prend tout son sens, agit comme un véritable miroir, avec une analyse particulièrement fine et sensible.

Que sommes-nous finalement ? Qu’est ce qui nous définit réellement ? Notre travail, notre famille, nos regrets ?  N’est-ce pas la nature qui nous donne toute notre humanité ?

Ce roman incarne aussi une remise en question des personnages, une vraie et belle recherche d’identité.

J’aime passionnément la nature et j’ai été particulièrement sensible aux pages de Jean-Christophe Ruffin sur la montagne. Pas une montagne de carte postale, ni d’amoureux béats, ni de techniciens du ski ou de l’escalade. La montagne de ceux qui la connaissent, la respectent, en connaissent les risques, et ne peuvent vivre sans.

Et cela, les deux protagonistes, dans la recherche de l’essentiel vont le comprendre : « Laure avait cru longtemps qu’en montagne, l’être humain cherche la victoire. Elle comprenait désormais qu’il y était plutôt en quête de son humanité. En montagne, il n’y a pas d’absolu qui ne soit construit sur l’évidence de l’éphémère, pas de conquête qui n’ait en même temps fait éprouver des limites, pas de bonheur qui ne trouve son relief dans la souffrance et dans la mort. »

J’ai beaucoup aimé les passages sur la nature de la roche escaladée, elle s’imposait sous mes yeux, mais également sous mes doigts. Notamment sur le granit, où dans ma région, on dit qu’il  « tintille ».

« Laure eut l’occasion de découvrir une nouvelle saveur du rocher : celle du granit, avec ses failles régulières, ses dalles lisses, sa surface immarcescible. Selon l’éclairage et le moral du grimpeur, le granit est tantôt d’une matière scintillante, pleine de gaité, colorée, d’un brun fauve, native, inviolée, sans trace de lichen ni d’usure humaine ; tantôt, quand le temps se gâte, il devient la sombre matière des tombes, mouchetée de noir et de gris, hostile à l’homme et semblant désirer sa mort, pour l’envelopper dans son éternité triomphante. »

La plume est percutante, simple et surtout très juste. Quelquefois, les descriptions sont longues chez certains auteurs. Chez Jean-Christophe Ruffin, elles sont utiles et surtout très évocatrices.

Magie de l’écriture. Qui transforme un sujet banal en un traitement intemporel.

J’ai compris avec ce livre la différence entre un auteur et un écrivain. Jean-Christophe Ruffin fait partie de ces derniers.

Respect et admiration du travail. Plaisir et richesse de la lecture.💙

 

 

 

 


 

samedi 11 mars 2023

                                                                     💙💙💙

Quel rapport entre des livreurs à vélo, une styliste dans la mode et un homme de ménage ? A priori aucun sauf peut-être l’envie d’effacer ce qui constitue leur passé.

 

Diesel, Jo et Madjik sont livreurs et bien que conscients de la précarité de leur travail, ils s’éclatent sur leur vélo, en prenant toujours un peu plus de risques à chaque demande de la plateforme qui régit leur vie.

 

Kristell a tout pour être heureuse, sauf qu’elle est seule depuis deux ans après avoir quitté son compagnon et qu’elle se sent coincée par un père vieillissant à qui elle reproche son indifférence à son égard ainsi que son comportement marital dans sa jeunesse.

 

Bassem est un réfugié syrien, commerçant à Alep, dont la vie s’est effondrée le jour où il a rencontré un fanatique qui a tué sa femme, son fils et l’a laissé pour mort.

 

Classiquement, tous ces personnages vont finir par se rencontrer.

On suit les trois histoires en parallèle, par l’alternance des chapitres, afin de respecter l’unité de temps. La part belle est faite aux livreurs, avec un rythme d’écriture rapide, comme les courses à travers les rues parisiennes.

 

On se laisse entraîner par ces vies croisées. Mais, si Julien Cabocel met l’accent sur les trois livreurs, l’histoire de Bassem est la plus touchante et la mieux racontée. La partie syrienne, en très peu de mots, nous plonge véritablement dans l’horreur de la destruction d’Alep.

 

Un seul bémol : pourquoi avoir limité la narration à la première personne, uniquement pour les livreurs à vélo ? Comme il n’y a pas de relation directe avec Kristell et Bassem, on peut avoir le sentiment d’une utilisation factice de ces personnages dans le roman.

 

Malgré cela, ce livre est attachant et plaisant à lire, et le choix de ne pas préciser ce qui va advenir ensuite, alors qu’ils vont se retrouver Place de la Bastille, permet aux lecteurs d’imaginer la suite, avec toute l'incertitude que cela représente.

 

Et comme pourrait dire un (possible) philosophe chinois : « On a beau dire, on a beau faire, quel que soit notre destin, on finira dans le même panier ! »

 

Chronique établie par Gérard G

Lu dans le cadre du Prix Orange 2023.

Je remercie la Fondation Orange et les Éditions Grasset de nous avoir permis de découvrir cet auteur.


 

                                                             💙💙💙💙💙


 

 

Comment réagir lorsque l’on se rend compte que son grand-père est mêlé aux exactions des nazis durant la dernière guerre mondiale ?

 

C’est ce qui arrive à Paul Breitner, écrivain allemand à succès, en constatant que son aïeul a subitement quitté sa maison après avoir reçu une lettre en provenance des États Unis. Alors que lui-même éprouve une certaine difficulté pour présenter son dernier manuscrit à son éditrice, il saisit l’opportunité de ce fil d’Ariane pour d’une part, comprendre pourquoi son « Opa » à disparu et d’autre part, fouiller le passé de son grand-père, ce dernier étant toujours resté très silencieux sur ce sujet. Il choisit donc de raconter la jeunesse et la vie de son papy, Viktor, non pas durant la guerre mais dans cette après-guerre qui a vu tant de bouleversements en Allemagne mais aussi dans toute l’Europe.

 

C’est ainsi que va apparaître Hors Schumann, médecin et commandant SS, désigné comme criminel de guerre en 1946, mais jamais condamné. Il a participé activement à l’extermination d’un grand nombre de handicapés, le programme Aktion T4, au nom d’une pseudo-théorie darwiniste, et par la suite, s’est illustré dans les camps de concentration en procédant à des expériences de stérilisation sur les hommes et les femmes internés.

 

C’est un roman. Même si Horst Schumann a bien existé et si la majorité des faits et gestes de ce SS sont vrais, Frédéric Couderc précise dans son avant-propos que « les choses ont pu se dérouler ainsi, ou (un peu) autrement. »

 

C’est un roman mais aussi trois livres différents et un fil rouge.

Il y a le travail de l’écrivain, sa recherche de la vérité historique, ses doutes sur la sincérité de ses écrits. On suit à ses côtés, sa progression et son travail de recherche dans les différentes archives accessibles aux historiens.

 

Avec beaucoup d’humour, Frédéric Couderc nous entraîne dans les méandres de la création. Sans oublier d’être critique sur le travail d’écriture et l’image de l’écrivain - page 86 : « j’ai très vite identifié le premier des mérites que l’on accorde aux gens de plume : délimiter une seigneurie tournée sur son nombril. (…) Autrement dit, je suis très fort pour me comporter comme un bel égoïste. ». Mais un romancier n’est pas un historien et Paul se rendra compte que son imagination a supplanté la vérité historique.

 

Il y a l’après-guerre en Allemagne. La presque impossibilité de punir tous les responsables nazis, pour des raisons économiques, pour permettre une reconstruction plus rapide du pays, pour gommer de la mémoire collective, le plus vite possible, cette période génocidaire.

Il y a l’existence de Viktor, chamboulée après les horreurs de la guerre, et qui la passera à vouloir assouvir une vengeance qui l’empêchera de vivre pleinement sa vie.

Il y a enfin, une histoire d’amour, bien sûr contrariée…

 

Frédéric Couderc a fait un énorme travail de recherche historique pour écrire son roman. Nous apprenons toujours quelque chose au fil des pages. Les ventes aux enchères des objets spoliés en Allemagne et dans toute l’Europe occupée, la dureté de la vie dans une ville comme Hambourg, rayée de la carte à la fin de la guerre, la manière dont certains nazis sont passés entre les mailles du filet, pour se réfugier en Amérique Latine ou en Afrique.

Mais le plus étonnant, c’est cette « omerta » mise en place officiellement après le procès de Nuremberg, comme si, une fois le procès terminé, il fallait passer à autre chose. Mais, n’accablons pas l’Allemagne, et souvenons-nous qu’en France, toutes les autorités judiciaires et policières ont continué de fonctionner  avec les mêmes personnes, avant, pendant et après le régime de Vichy.

 

C’est un excellent roman historique, qui mériterait d’être plus mis en valeur. Il a le mérite de parler de cette période grise de l’après-guerre, et rappelle les ouvrages de Philip Kerr sur la même époque.

Grâce à une écriture fluide et intelligente et malgré ses cinq cent pages, le lecteur ne lâche pas l’histoire. Il navigue entre l’Allemagne et le Ghana, entre les années quarante, les années soixante et la période contemporaine avec facilité.

 

Loin d’être hors d’atteinte, ce livre vous emmène au cœur de sa cible !

 

Chronique établie par Gérard G

Lu dans le cadre du prix Orange 2023.

Je remercie la Fondation Orange et les éditions Les Escales  de nous avoir permis de découvrir ce pan de l’histoire aussi passionnant.

 

                                                                  💙💙💙💙 



Mais qu’auraient bien pu dire les grands écrivains disparus à propos de nos préoccupations actuelles ? Non, ce roman ne répond pas à la question mais l’idée est intéressante et humoristique.

 

Originaire de Nabeul, petite ville sur la côte est de la Tunisie, Oualid est enfant unique et passionné de culture française. Son ambition est de faire une carrière théâtrale en tant que comédien ou auteur, en rejoignant le Pôle, terme qu’il utilise pour désigner la France.

Las des continuelles disputes entre ses parents, il prend l’habitude de croquer les comportements des habitants de sa ville, ce qui l’exerce à la pratique de l’écriture. Malgré l’avis contraire de son père, il entreprend des études de théâtre à Tunis puis après être diplômé, il rejoint enfin, non pas Paris mais Montpellier pour poursuivre ses études. Le désenchantement le ramènera en Tunisie où il finira par répondre à l’annonce d’un centre d’appels particulier.

En effet, il s’agit de permettre aux correspondants de pouvoir interroger des écrivains disparus, sur tous les sujets, même touchant l’actualité. En plus de deux autres comédiens chevronnés qui incarnent Balzac et Hugo, il s’identifie à Samuel Becket.

 

En cette veille de la Révolution de Jasmin, les exactions policières du gouvernement Ben Ali sont insupportables à la population. Et ce qui devait arrive, le centre d’appels devient indésirable. Mais les contacts liés pendant cette période vont permettre à Oualid de rebondir et de pouvoir enfin vivre de sa passion entre le Pôle et son pays.

 

Voici un livre rapide et facile à lire, d’une écriture chargée d’humour et de critiques sur le monde qui nous entoure. Beaucoup de sujets sont abordés (la relation avec l’ancien état « protecteur », la lutte pour exister artistiquement, l’arrivée de l’islam radical en Tunisie, la dictature tunisienne) avec toujours un sens grinçant de la formule.

 

Deux parties dans cet ouvrage :

 La première nous parle de la vie d’un jeune tunisien qui souhaite faire aboutir ses envies, de façon assez classique et sans trop de surprise.

Le livre trouve toute sa saveur avec la seconde partie. A partir du moment où Oualid répond à l’annonce du C.A.E.D., le récit s’emballe. Les personnages prennent plus de corps, la colère et le fatalisme du peuple tunisien trouve un écho qui suscite l’intérêt dans les disputes des comédiens.

Un bon livre, plaisant et instructif car l’ouverture d’esprit est toujours un progrès pour tous les peuples.

 

Chronique établie par Gérard G.

 

Lu dans le cadre du prix Orange 2023

Je remercie la Fondation Orange et les Éditions Asphalte de m’avoir permis de découvrir ce roman original et intelligent.

 

samedi 4 mars 2023

                                                            💙💙💙💙💙 



Téhéran – 1977. « Ce roman s’inspire d’une histoire vraie, celle du musée d’Art Contemporain de Téhéran ouvert en 1977. Un musée dont le destin est intimement lié à celui de son gardien, gamin des bas quartiers, qui a contribué à sauver et conserver les trésors de l’impératrice Farah Diba, lors de la Révolution Islamique de 1979. »

 

Cyrus est un  jeune homme pauvre, discret, sensible qui va travailler au Musée d’Art moderne de Téhéran, joyau de la Chahbanou.

Cyrus ne connaît rien aux peintures et pourtant, tout de suite, les tableaux vont lui parler, vont donner un sens à sa vie. Ce musée devient sa bulle d’oxygène.

Car l’Iran est un pays de contrastes et tout au long du récit, l’auteure saura parfaitement l’illustrer.

 

Contraste entre les iraniens, la volonté de modernité pour les uns, de repli et de religion pour les autres.

En quelques mots précis, c’est particulièrement bien évoqué :

« Dans le taxi collectif qui le conduit près du parc Laleh, coincé en entre une adolescente en minishort, maquillée comme une voiture volée et une grand-mère accrochée à son chapelet, sous son tchador… »

 

Contraste entre les fastes du Shah et la misère de la population. Et ce fossé s’agrandit inexorablement durant ces deux années.

La célébration des 2500 ans de l’Empire Perse est particulièrement significative : « c’était le festin de la démesure, une incroyable débauche de luxe et de fastes, la féerie des Mille et une nuits, grandeurs nature. Une partie du pays criait famine… »

 

Contraste entre la personnalité discrète, timide de Cyrus et le contexte historique enflammé. Contraste entre sa lucidité, car il redoute, ne serait-ce qu’en voyant le portrait sévère de Khomeini, une dictature bien pire à la situation qu’il connaît actuellement, alors que les iraniens le voient comme Le Sauveur.

En fait Cyrus est le « révélateur » de ce qui va se produire, et il permet au lecteur de mieux appréhender la réalité historique : « La nouvelle République Islamique prône la disparition des corps, la population s’efface, elle n’est plus que voile et froissement de longs tissus. Le voile de la peur s’est abattu sur le pays. »

Car, avec la lecture du passé, on touche du doigt ce qui se passe actuellement en Iran. Un peuple poussé à bout, qui va jusqu’au bout de la révolte, quel qu’en soit le prix.

C’est pareil en ce moment qu’en 1978 : « l’Iran danse sur un volcan. La terre gronde de plus en plus fort, la secousse menace, l’éruption n’est qu’une question de jours, les flots de colère vont se répandre inexorablement, un magma révolutionnaire et fumant qui menace de recouvrir le pays. »

 

J’ai beaucoup aimé aussi la résilience, l’apaisement que peut apporter la peinture et l’art en général. Ce qui devient la raison de vivre d’un gamin misérable, ce qui l’ouvre au monde, ce qui lui permet de grandir et de percevoir avec sa sensibilité, toute l’essence d’un tableau.

 

Un roman riche d’enseignements sur la complexité du pays et son contexte historique et social. A lire, si on veut mieux saisir l’Iran.

 

Lu dans le cadre du prix Orange 2023.

Je remercie la Fondation Orange et les Éditions Plon de m’avoir permis de découvrir ce très beau roman.