dimanche 20 mars 2022

                                                                 💙💙💙💙💙


 

Une femme banale, heureuse, Anna Gauthier, voit son univers basculer quand son fils chéri, Léo, est incarcéré après avoir agressé un flic.

Le récit avance lentement, progressivement dans la connaissance d’Anna et de sa famille. Léo lui ressemble : à priori, un gamin sans histoires mais qui se révèle bien plus complexe qu’il ne le parait.

Le monde de la prison fait froid dans le dos avec la vie quotidienne dont chacun peut appréhender la misère :

« Il est déchiqueté par la douleur du manque, le manque des gestes tendres, des gestes simples, le manque de sommeil, de repos, d’eau et d’oxygène, par l’absence des poignées aux portes, l’absence des couleurs aux murs, l’absence des matières, des goûts, des parfums et des sons propres à la vie, l’herbe coupée, le chant des haubans sur le port, la croute du pain grillé, la gifle du mistral, le drap frais, la peau propre, il est déchiqueté par l’absence de ceux qu’il aime, l’absence de confiance et de paix. Le temps n’existe plus. »

Petit à petit le lecteur  entre dans l’intimité d’Anna, son enfance et comprend qu’Anna a tout fait pour échapper au milieu simple dont elle vient, à son histoire. Elle a tout renié pour devenir « caméléon », pour enfouir à jamais son passé trop lourd à accepter :

« Elle s’était faite pour eux. Ce n’était qu’une représentation supplémentaire dans le théâtre de son existence : elle s’appliquait à montrer aux autres ce qu’ils voulaient voir et cela fonctionnait. Il y avait un prix à payer bien sûr, c’était épuisant de se surveiller, de chercher constamment dans l’œil d’autrui la validation de ses efforts, épuisant de surmonter la crainte lancinante d’être rattrapée par le passé, mais a force de pratique, c’était devenu un état naturel, cette hyper vigilance, une ligne de crête, qu’elle suivait avec la certitude de servir un enjeu vital. »  Une ligne de crête en effet, qui va révéler la fragilité d’Anna.

De nombreux thèmes sont abordés dans ce magnifique roman : le harcèlement sexuel, la fragilité de l’enfance, le rôle des adultes, l’impossibilité de sortir de soi un passé trop douloureux. Un chemin de vie dévié par des souvenirs indélébiles qui provoquent les mauvais choix, tellement ils ont marqués au fer rouge la victime. Les conséquences aussi  sur Léo, le fils d’Anna, « éponge affective » inconsciente :

« Les signaux qu’il recevait depuis son enfance lui indiquaient qu’il était déjà chanceux d’être assis à la table des plus grands que lui. Il était conscient d’être porteur d’une sorte de handicap, au travers de ses grands-parents maternels qu’il n’avait quasiment pas connus, mais qu’il savait être de petites gens. Il s’était soumis de bonne grâce aux règles du jeu. »

La progression dramatique est parfaitement maitrisée, servie par des mots simples et précis qui accompagnent l’émotion et la densité du récit :

« Elle est devenue étanche, son corps est une cage hermétique et sa colère, un tigre impuissant à se libérer. »

C’est une auteure que j’appréciais déjà beaucoup : « Par amour », « Les guerres intérieures ». Des thèmes toujours renouvelés et traités avec beaucoup de sensibilité et de finesse.

Seul bémol : le titre convient parfaitement au récit, mais je pense que celui de "Pisseuse" aurait été plus percutant.

 

 

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David Spector présente 12 nouvelles dont chacun des héros, de façon toujours inattendue  effectue un don de 7500 € en soutien à la candidature d’Emmanuel  Macron en 2017.

Et cela, en pastichant des écrivains célèbres : écrire à la manière de, sans parodier en forçant le trait ou en caricaturant.  

C’est ce  que souhaitait David Spector, faire découvrir ou redécouvrir à son lecteur les auteurs pastichés : « C’était une manière de les connaître, un, condensé de leur univers, de leur vision, de leur langue. Et si la chose est bien faite, c’est drôle en soi, sans qu’on ait besoin du texte de référence. »

Il connait bien les auteurs. Dès la première nouvelle, j’étais dans l’univers de Houellebecq, avec son souci des détails (souvent inutiles) et des digressions.

Idem pour Marcel Proust : j’ai relu 3 fois la 1ère phrase de 8 lignes avant de la comprendre.

Marc Lévy : David Spector a choisi de reprendre les citations de Marc Lévy en les incorporant dans sa propre histoire. Une réussite : le ton toujours sentencieux (je dirai presque « prêchi-prêcha ») de Lévy sert magnifiquement le récit.

De plus, l’humour est toujours présent dans le ton, dans la forme, et même dans les titres. « Frime et Financement » a remplacé le « Crimes et Châtiments » de Dostoïevski.

Spector nous renvoie même les paroles d’un discours d’Emmanuel Macron à la mode Dostoïevski : « Ronietchka, tu es bonne et pieuse mais tu n’as pas encore compris ma pensée complexe. Tes aumônes me coûtent un pognon de bezoumnii  (un terme russe intraduisible qui signifie à peu près « fou » ) et elles empêchent ce misérable Pavloucha de se prendre ne main. »

Exercice difficile et pari réussi !

Un bon moment à passer en compagnie de cet auteur que je ne connaissais pas du tout.

Merci à lecteurs.com et aux Collections « les Insensés » de m’avoir permis de découvrir cet ouvrage agréable, intelligent et drôle.