lundi 30 novembre 2020

TROIS AMIS EN QUETE DE SAGESSE - Christophe André - Matthieu Ricard - Alexandre Jollien

 

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Le résumé de l’éditeur :

« Ce livre est né de notre amitié. Nous avions le profond désir d’une conversation intime sur les sujets qui nous tiennent à cœur. »
Un moine, un philosophe, un psychiatre. Depuis longtemps, ils rêvaient d’écrire un livre ensemble, pour être utiles, pour apporter des réponses aux questions que tout être humain se pose sur la conduite de son existence.
Quelles sont nos aspirations les plus profondes ? Comment diminuer le mal-être ? Comment vivre avec les autres ? Comment développer notre capacité au bonheur et à l’altruisme ? Comment devenir plus libre ?
Sur chaque thème, ils racontent leur expérience, leurs efforts et les leçons apprises en chemin. Chaque fois, ils nous proposent des conseils. Leurs points de vue sont différents, mais ils se retrouvent toujours sur l’essentiel.

Ce que j’en pense :

J’ai beaucoup aimé ce livre écrit dans la simplicité d’échanges amicaux. Trois voix, qui,  chacune forte de leur expérience, de leur profession, nous donnent les clefs de la sagesse et peut-être même du bonheur.

Un livre à picorer dans la journée, à ouvrir sur le chapitre souhaité, sans se soucier de la chronologie de l’ensemble.

Des recettes simples, « une boîte à outils » pour mieux vivre avec soi- même, et mieux vivre avec les autres.

J’ai particulièrement apprécié le chapitre sur l’égo, que Christophe André appelle « Mental FM ». Une radio interne à chacun, qui sans cesse critique, juge, s’agite, craint le regard des autres ou se met en avant et surtout, rend malheureux.

Celui aussi sur la liberté. Un propos de Christophe André résume bien la tonalité de ce chapitre : « Toujours penser la liberté en stéréo : liberté et responsabilité. Dès qu’on isole la liberté de la responsabilité, on est sur la pente glissante de l’égoïsme ».

Alexandre Jollien est philosophe et handicapé, et ses propos font part également de son expérience et de ses difficultés en tant qu’handicapé. Ses témoignages sont toujours riches, sincères et émouvants.

Il n’y a pas de jugement, pas de donneur de leçons, pas de ton prêchi-prêcha. Il est simple, chaleureux et bienveillant. A l’image de nos trois auteurs qui partagent leurs éxperiences avec le  lecteur.

 

LA FEMME ROMPUE - Simone de Beauvoir

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Le résumé de l’éditeur :

 «- Dis-moi pourquoi tu rentres si tard.
Il n'a rien répondu.
- Vous avez bu ? Joué au poker ? Vous êtes sortis ? Tu as oublié l'heure ?
Il continuait à se taire, avec une espèce d'insistance, en faisant tourner son verre entre ses doigts. J'ai jeté par hasard des mots absurdes pour le faire sortir de ses gonds et lui arracher une explication :
- Qu'est-ce qui se passe ? Il y a une femme dans ta vie ?
Sans me quitter des yeux, il a dit :
- Oui, Monique, il y a une femme dans ma vie.»

Ce que j’en pense :

A travers son journal, Monique, femme au foyer de 44 ans, cherche à comprendre pourquoi son mari l’a trompée. Elle ne peut croire qu’il ne l’aime plus, alors qu’il est le centre de sa vie. Elle pense qu’il s’agit d’une passade et essaie de composer avec cette nouvelle situation en se persuadant de le récupérer.

Elle s’interroge beaucoup sur elle-même, ressasse le passé sans parvenir à comprendre ce qui lui arrive.

Une femme qui ne vit que pour les autres, mais aussi et surtout par les autres. Quand ses filles adultes quittent la maison, que son mari en fait de même, sa vie s’effondre. Elle n’est plus rien, elle est rompue, elle est cassée. Elle s’accroche à ses proches sans pouvoir accepter  l’inéluctable. « Quand on a tellement vécu pour les autres, c’est un peu difficile de se reconvertir, de vivre pour soi. Ne pas tomber dans les pièges du dévouement : je sais très bien que les mots donner et recevoir sont interchangeables et combien j’avais besoin du besoin que mes filles avaient de moi. »

Sous les apparences d’une banale affaire d’adultère se cachent deux thèmes fondamentaux :

-        la dépendance affective, conjugale et financière

-        l’immobilisme mental

 

Une belle leçon de vie donnée par Simone de Beauvoir en 1972.

Se prendre en charge, ne pas rendre autrui responsable de ses difficultés ou de son mal être. Chacun est responsable de sa vie, de sa réussite ou de son échec.

Dans les années 1970, c’était encore plus important pour une femme de comprendre l’importance de l’indépendance.

Ne pas se raconter d’histoires, s’accepter, se remettre en cause et surtout agir et réagir. Une philosophie du pragmatisme et de l’action.

 

 

 

dimanche 29 novembre 2020

FILLE - Camille Laurens


 

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Fille - broché - Camille Laurens - Achat Livre ou ebook | fnac 

Le résumé de l’éditeur

FILLE, nom féminin
1. Personne de sexe féminin considérée par rapport à son père, à sa mère.
2. Enfant de sexe féminin.
3. (Vieilli.) Femme non mariée.
4. Prostituée.

Laurence Barraqué grandit avec sa sœur dans les années 1960 à Rouen.
"Vous avez des enfants? demande-t-on à son père. – Non, j’ai deux filles", répond-il.
Naître garçon aurait sans doute facilité les choses. Un garçon, c’est toujours mieux qu’une garce. Puis Laurence devient mère dans les années 1990. Être une fille, avoir une fille : comment faire ? Que transmettre ?

L’écriture de Camille Laurens atteint ici une maîtrise exceptionnelle qui restitue les mouvements intimes au sein des mutations sociales et met en lumière l’importance des mots dans la construction d’une vie.

Ce que j’en pense 

Le titre, le résumé… Je doutais fortement d’être intéressée par ce bouquin. Je me suis dit : « encore un récit sur le féminisme, sur l’éveil de la féminité. »

Oui, c’est également le sujet, mais pas que…

C’est le récit d’une petite fille, d’une ado, d’une femme puis d’une mère. Laurence est la narratrice de son histoire. Une petite fille qui accepte de n’être « qu’une fille », qui fabrique ses rêves, découvre sa sexualité.

C’est un livre riche, qui se lit à différents niveaux.

Une fille, ça ne vaut pas un garçon. C’était encore le cas dans les années 1960 où les femmes n’avaient pas le droit d’ouvrir un compte, pas le droit de travailler sans l’autorisation du mari.  Le chef de famille ne pouvait être légalement qu’un homme… « Garce. Le mot revient et la hante. C’est une injure. Mais n’est-ce pas d’abord le féminin de garçon ? Tout ce qui est féminin déçoit, déchoit, elle le sait désormais. Le mot en changeant de genre, devient mauvais. »

Une fille, une femme est dépendante de l’homme, elle est docile, voire soumise. Elle doit l’accompagner, à défaut le subir. Quand elle subit, comme c’est le cas de Laurence, enfant, des attouchements qui la révulsent, elle ne doit surtout pas en parler. Les femmes de la maison  le lui interdisent.

C’est les hommes, cela fait partie de leur ADN, il faut s’écarter de la route du pédophile et faire silence. « L’équivalent de la virginité pour les filles, chez le garçon, c’est l’expérience. La valeur est inversement proportionnelle dans un couple : elle, ignare, lui, savant, c’est le principe. La fille, moins, elle en sait plus on la respecte. (…) le jour de la nuit de noces, le mari doit savoir quoi faire, c’est normal ; la femme ; elle n’a qu’à se laisser faire. »

Camille Laurens  (comme son personnage principal, Laurence) décrit une situation, qui, heureusement, ne concerne pas toutes les petites filles des années 1960.  Pour beaucoup d’entre elles, leurs parents rêvent d’études supérieures, d’autonomie financière et affective.

Et c’est là, où le deuxième niveau de lecture devient passionnant.

Comment trouver son identité, comment se libérer des images projetées dès la plus tendre enfance ? Comment se construire en tant que personne à part entière, avec des absences d’attributs, avec le mépris du père et l’indifférence de la mère ?  Le pire pour un enfant, la non existence…

Les paroles de son père sont paroles d’évangile (un père ne peut pas se tromper, un homme sait mieux qu’une femme) Laurence les  accepte et les intègre sans poser de questions.  Docilité de la femme envers l’homme, docilité et soumission de la fille envers son père.

Magnifique image du père médecin : antipathique à souhait, on a envie de le tuer… Machiste, borné, radin, méprisant envers qui n’est pas de son sexe et de sa caste.

Son père la considère tellement peu qu’il n’hésite pas à lui conseiller un obstétricien qu’il sait être parfaitement incompétent, mais à qui il veut donner une seconde chance. Sa fille en fera les frais sans affecter aucunement le père

L’auteur retrace le parcours de « Fille »  avec beaucoup d’émotion, d’humour, d’intelligence, sans mièvrerie. Le ton est juste, percutant  et précis.  Une vraie réussite à mettre entre toutes les mains, homme ou femme.

 

HISTOIRES DE LA NUIT - Laurent Mauvignier

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Le résumé de l’éditeur

Il ne reste presque plus rien à La Bassée : un bourg et quelques hameaux, dont celui qu’occupent Bergogne, sa femme Marion et leur fille Ida, ainsi qu’une voisine, Christine, une artiste installée ici depuis des années.
On s’active, on se prépare pour l’anniversaire de Marion, dont on va fêter les quarante ans. Mais alors que la fête se profile, des inconnus rôdent autour du hameau. J’ai commencé « Histoires de la nuit » en me disant qu’il s’agissait sans doute d’un huit-clos rural. Genre très couru en ce moment, mais que j’apprécie toujours.

Ce que j’en pense

Démarrage de la lecture : la première phrase s’échelonne sur une page. Je m’y perds, reprends au début pour comprendre bien le sens. Je sens que la lecture va être fastidieuse. Surtout pour moi, qui aime les phrases courtes, précises, ciselées.

Et puis, au fur et à mesure, l’auteur m’embarque dans son récit. Phrases longues, voire très longues, je n’y fais plus attention et m’identifie tour à tour aux personnages. Je m’interroge sur les non-dits, suis mal à l’aise face à certaines situations et pourtant je piaffe d’impatience pour savoir il nous emmène, ce drôle d’auteur…

Je suis bluffée par son talent, par ce récit haletant, par cette écriture en parfaite harmonie avec l’histoire.

Les portraits sont magnifiques, ils paraissent à peine esquissés et pourtant, ils sont présents devant nos yeux comme des tableaux.

« Elle observe la fillette aux coudes écartés sur la table, bien posés sur la toile cirée aux vieux motifs de fleurs des champs lacérés par les coups de couteau et blanchis par les trainées d’éponge et de poudre à récurer, les mains relevées près du visage, le buste penché si près de la table et de la feuille sur laquelle elle va dessiner, ses bras  chétifs et ses longs doigts fins, sa tête si fine, ses yeux très noirs et brillants, vifs, intelligents et presque querelleurs. »

Un huit clos rural, en effet, comme bien d’autres. Une intrigue banale, très banale même…

Pourtant, le rythme, la tension, la présence effective des différents protagonistes,  la pression d’en finir – comme les personnages – sont là.

En refermant les 635 pages (eh oui…) le récit  reste présent dans ma tête, comme un moment magique, entre parenthèses.

Oui, un roman bluffant, comme peut l’être un peintre avec une nature morte,  à priori très ordinaire  et qui captive le spectateur, incapable de s’en détacher, incapable de comprendre pourquoi cette toile le fascine autant.

Laurent Mauvigner représente pour moi, ce que doit être un auteur. Quelqu’un capable de faire vivre son histoire, ses personnages, par le biais d’une écriture qui scande le récit.

Une véritable symbiose entre l’écrivain et son lecteur. Un alchimiste du verbe et du récit, un véritable conteur.

Un très grand cru !