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Kaspar
aime passionnément sa femme, Birgit. Quand elle se suicide, il s’aperçoit
qu’elle lui a caché beaucoup de choses, et notamment l’existence d’une petite
fille qu’elle a abandonnée à sa naissance. C’était en 1965, elle habitait alors
la RDA et a suivi Kaspar qui vivait en RFA.
Dans le
journal de sa femme, il découvre tout un pan de son histoire et comprend aussi
qu’elle a recherché sa fille, Svenja, mais n’a pas eu le courage de la
rencontrer. On perçoit aussi une femme solitaire, qui s’isole, et se sent
inutile. « J’ai recherché mon
bonheur. Aux dépens de ma fille, aux dépens de Kaspar. Je les ai trahis et
abandonnés. » Peut-être est-ce la raison de son suicide…
Il laisse
sa librairie et veut rencontrer sa belle-fille, et surtout prolonger la quête
de sa femme.
Svenja
fait partie avec son mari, des « Völkisch », un mouvement
communautaire, ultra nationaliste. Leur fille Sigrun, adolescente, partage complètement les valeurs de ses
parents.
Le plus
dur, chez Sigrun, est son négationnisme : « Tu
as bien un livre sur Rudolf Hess. Il est plein de mensonges. Tous ces livres,
ici, sont pleins de mensonges. Hitler ne voulait pas la guerre, il voulait la
paix. Et les allemands n’ont pas tué les juifs. »
Kaspar s’assit par terre, face à
elle.
_ « Ce sont des livres
d’historiens qui ont fait des recherches pendant des années. Comment peux-tu
savoir ? »
_ « Ils sont achetés. Ils
sont payés. Les occupants veulent rabaisser l’Allemagne. Il faut qu’on ait
honte et qu’on courbe l’échine. Alors, ils pourront nous opprimer et nous
exploiter. »
Et plus
loin, toujours Sigrun à son grand-père :
« Vous vous bouchez les yeux,
mais tout le monde peut voir que les musulmans veulent conquérir l’Allemagne,
de l’intérieur et de l’extérieur. Nous pouvons nous soumettre ou nous
défendre. »
Il n’y a
pas de jugement de la part de l’auteur : simplement de la tristesse et de l’angoisse devant ces
visions du monde déformées par l’histoire, puis l’éducation. Et surtout un cri
d’alarme devant un mouvement puissant et rampant :
« Kaspar lut tout ce qu’il
pouvait trouver sur les extrêmes droites, les nazis et les néonazis, le NPD et
l’AfD, les nationalistes autonomes , les Identitaires, les Artamans, les
Völkisch.(…) Il n’avait pas soupçonné l’ampleur de leur prolifération , la mobilité
de leur adaptation aux courants contemporains , la force de l’appui qu’ils
trouvaient dans la classe moyenne, ni la présence de leur organisation de
jeunesse, d’enfants de médecins et d’avocats, d’enseignants et
d’universitaires. »
De
nombreux thèmes sont abordés avec justesse, sensibilité et surtout beaucoup de
subtilité. Celui du déracinement comme l’écrit si bien Birgit : « Je n’étais plus là-bas, je n’étais
pas encore ici. »
Celui de
la puissance apaisante de la musique, quand il fait découvrir à Sigrun, les
grands auteurs, qu’elle se passionne pour le piano. Elle prend des cours et
joue avec beaucoup de talent, comme sa grand-mère.
C’est
aussi un roman très sensible sur l’amour. Celui de Kaspar pour sa femme, qu’il
ne peut oublier.
« Mais sans cesse, en
travaillant, en faisant du sport, en occupant ses soirées, il avait
l’impression d’être en dehors de la réalité, comme si ce qui l’entourait était
un décor en trompe-l’œil, comme s’il jouait un rôle et le jouait mal. (…) il
n’appartenait pas au monde. Il appartenait à Birgit morte. »
Celui
d’un grand-père pour la petite fille de sa femme. Comprendre, ne pas brusquer,
argumenter doucement, chercher à lui faire découvrir d’autres pôles d’intérêt
que le populisme. Jusqu’au moment, où il craque :
« C’est quoi, toutes ces
âneries, Sigrun ? La vie est ailleurs. La vie, c’est la musique et le
travail. Fais des études, apprends quelque chose aux enfants, soigne des
malades, construis des maisons ou donne des concerts. Personne ne reprendra la
Prusse orientale et la Silésie. L’Allemagne ne deviendra pas plus grande, mais
elle n’est pas trop petite, et ses coutures ne craquent pas par la faute des
immigrés. Et on a besoin d’eux : qui d’autre veut encore ramasser les
asperges, faire les vendanges et tuer les porcs ? (…) Laisse les gens
vivre comme ils veulent, laisse les vivre. »
Un
plaidoyer pour la vie, l’amour, la paix, le respect de l’autre.
Seul
bémol, qui ne casse pas la force du récit : la première partie, où Kaspar
découvre les écrits cachés de Birgit m’a paru trop longue, voire un peu
ennuyeuse, par rapport à la seconde, avec Svenja et Sigrun, qui est au
contraire puissante et dense.
Un roman
puissant, tout en nuances.