mardi 25 juillet 2023

                                                                💙💙💙💙


 

Kaspar aime passionnément sa femme, Birgit. Quand elle se suicide, il s’aperçoit qu’elle lui a caché beaucoup de choses, et notamment l’existence d’une petite fille qu’elle a abandonnée à sa naissance. C’était en 1965, elle habitait alors la RDA et a suivi Kaspar qui vivait en RFA.

Dans le journal de sa femme, il découvre tout un pan de son histoire et comprend aussi qu’elle a recherché sa fille, Svenja, mais n’a pas eu le courage de la rencontrer. On perçoit aussi une femme solitaire, qui s’isole, et se sent inutile. « J’ai recherché mon bonheur. Aux dépens de ma fille, aux dépens de Kaspar. Je les ai trahis et abandonnés. » Peut-être est-ce la raison de son suicide…

Il laisse sa librairie et veut rencontrer sa belle-fille, et surtout prolonger la quête de sa femme.

Svenja fait partie avec son mari, des « Völkisch », un mouvement communautaire, ultra nationaliste. Leur fille Sigrun, adolescente,  partage complètement les valeurs de ses parents.

Le plus dur, chez Sigrun, est son négationnisme : « Tu as bien un livre sur Rudolf Hess. Il est plein de mensonges. Tous ces livres, ici, sont pleins de mensonges. Hitler ne voulait pas la guerre, il voulait la paix. Et les allemands n’ont pas tué les juifs. »

Kaspar s’assit par terre, face à elle.

_ « Ce sont des livres d’historiens qui ont fait des recherches pendant des années. Comment peux-tu savoir ? »

_ « Ils sont achetés. Ils sont payés. Les occupants veulent rabaisser l’Allemagne. Il faut qu’on ait honte et qu’on courbe l’échine. Alors, ils pourront nous opprimer et nous exploiter. »

Et plus loin, toujours Sigrun à son grand-père :

« Vous vous bouchez les yeux, mais tout le monde peut voir que les musulmans veulent conquérir l’Allemagne, de l’intérieur et de l’extérieur. Nous pouvons nous soumettre ou nous défendre. »

Il n’y a pas de jugement de la part de l’auteur : simplement  de la tristesse et de l’angoisse devant ces visions du monde déformées par l’histoire, puis l’éducation. Et surtout un cri d’alarme devant un mouvement puissant et rampant :

« Kaspar lut tout ce qu’il pouvait trouver sur les extrêmes droites, les nazis et les néonazis, le NPD et l’AfD, les nationalistes autonomes , les Identitaires, les Artamans, les Völkisch.(…) Il n’avait pas soupçonné l’ampleur de leur prolifération , la mobilité de leur adaptation aux courants contemporains , la force de l’appui qu’ils trouvaient dans la classe moyenne, ni la présence de leur organisation de jeunesse, d’enfants de médecins et d’avocats, d’enseignants et d’universitaires. »

De nombreux thèmes sont abordés avec justesse, sensibilité et surtout beaucoup de subtilité. Celui du déracinement comme l’écrit si bien Birgit : « Je n’étais plus là-bas, je n’étais pas encore ici. »

Celui de la puissance apaisante de la musique, quand il fait découvrir à Sigrun, les grands auteurs, qu’elle se passionne pour le piano. Elle prend des cours et joue avec beaucoup de talent, comme sa grand-mère.

C’est aussi un roman très sensible sur l’amour. Celui de Kaspar pour sa femme, qu’il ne peut oublier. 

« Mais sans cesse, en travaillant, en faisant du sport, en occupant ses soirées, il avait l’impression d’être en dehors de la réalité, comme si ce qui l’entourait était un décor en trompe-l’œil, comme s’il jouait un rôle et le jouait mal. (…) il n’appartenait pas au monde. Il appartenait à Birgit morte. »

Celui d’un grand-père pour la petite fille de sa femme. Comprendre, ne pas brusquer, argumenter doucement, chercher à lui faire découvrir d’autres pôles d’intérêt que le populisme. Jusqu’au moment, où il craque :

« C’est quoi, toutes ces âneries, Sigrun ? La vie est ailleurs. La vie, c’est la musique et le travail. Fais des études, apprends quelque chose aux enfants, soigne des malades, construis des maisons ou donne des concerts. Personne ne reprendra la Prusse orientale et la Silésie. L’Allemagne ne deviendra pas plus grande, mais elle n’est pas trop petite, et ses coutures ne craquent pas par la faute des immigrés. Et on a besoin d’eux : qui d’autre veut encore ramasser les asperges, faire les vendanges et tuer les porcs ? (…) Laisse les gens vivre comme ils veulent, laisse les vivre. »

 Un plaidoyer pour la vie, l’amour, la paix, le respect de l’autre.

Seul bémol, qui ne casse pas la force du récit  : la première partie, où Kaspar découvre les écrits cachés de Birgit m’a paru trop longue, voire un peu ennuyeuse, par rapport à la seconde, avec Svenja et Sigrun, qui est au contraire puissante et dense.

Un roman puissant, tout en nuances.

 

 

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