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Une vraie
claque !
Quand,
même le respect ultime aux morts est bafoué…
L’autrice
précise : « Ce livre est un
roman dans le personnage principal est réel. Ce photographe existe et vit caché
quelque part en Europe. Son nom de code est César. Les atrocités décrites sont
avérées, les faits sont documentés, mais sa voix est la mienne. »
C’est un
homme prudent, César. Un mari aimant, un père attentif. Il travaille à la
morgue de l’hôpital militaire. Prendre les photos des morts, associer les noms.
S’en tenir là.
Pourtant,
il fait attention aux corps qu’il photographie et il a toujours une pensée pour
les familles,
Il a
l’habitude : des accidentés, des suicidés. Puis les morts se succèdent, se
multiplient. Ceux-là viennent des prisons, ils sont mutilés, torturés. Ils
arrivent par fourgons entiers, des hommes, des femmes et des enfants. Ils sont
appelés « les terroristes ». Ceux
qui travaillent avec lui, ne savent plus où les ranger et cela les ferait
plutôt rire.
Il en sait
trop désormais, il faut continuer, faire comme d’habitude, ne rien manifester,
ne pas relever la tête…. Car il
sait qu’il ne faut pas faire de vagues dans un pays où le moindre regard
appuyé, la moindre remarque vous envoient en prison…
On
comprend qu’il s’agit de la Syrie de Assad en 2011, mais ce n’est jamais
indiqué par l’autrice. Sans doute, car ces exactions font partie, hélas, des
régimes totalitaires.
Sans
doute aussi, car le mépris des morts est une constante de tous les régimes
fascistes, qu’ils s’appellent, Hitler, Assad,
Pinochet ou Poutine….
Il faut tenir.
Tenir pour sa vie, pour celle de sa famille, tenir pour témoigner. Tenir même
si le cauchemar éveillé est permanent : « Mon monde était fait de fantômes torturés et d’orbites sans yeux. »
Garder
sur une clef USB, les photos et les noms des morts, au péril de sa vie. Ajouter
les noms des bourreaux en fouillant dans le bureau de son supérieur.
Conserver
les habitudes, ne rien manifester devant les collègues de travail, soutiens du
régime et soucieux de s’en faire bien voir, soucieux aussi de profiter des
morts pour s’en mettre plein les poches. Les familles interrogent et paient généreusement
à qui veut bien donner une information…
Pourtant,
le régime politique ne l’a jamais intéressé, il s’en fiche. Il est
essentiellement attentif à sa famille, à avoir un travail fixe, même s’il ne
l’a pas choisi. C’est tellement exceptionnel d’avoir un salaire régulier.
Un
prudent, voire un lâche, mais pas un homme sans cœur, ni sans humanité. Et devant
les corps martyrisés qu’il reçoit chaque jour par camions entiers, il est impossible
de demeurer insensible et de ne rien faire.
« Ils arrivent une étiquette
au poignet droit. Ils ont des traînées de sang frais et des croûtes sombres,
des bleus larges ou étroits violets, jaunes, verts. Ils ont les doigts
retournés et les ongles arrachés. Ils ont les os déboîtés et les tendons apparents.
Ils ont les côtes enfoncées et les tétons brûlés. Certains ont le pénis coupé et
d'autres les orbites vides. »
Quand son
silence doit recouvrir une violence absolue et mortifère.
Pas de
voyeurisme, pas de pathos dans ce récit magistralement écrit.
Pas de
cris, pas de vociférations. C’est l’intensité de la souffrance, de la barbarie
jusque dans les corps sans vie, qu’on rentre au fond de soi, sans pouvoir
refuser, crier, sangloter. Prise
de conscience et héroïsme silencieux.
C’est le
devoir à accomplir pour dénoncer la barbarie, pour laisser témoigner les morts,
leur rendre respect et hommage.
« Il faut que les morts
parlent parce que nous, les vivants, nous ne pouvons pas parler. Ils ont cousu
nos lèvres et arraché nos langues, il y a des décennies. Ils ont commencé par
faire taire nos parents, nos parents nous ont fait taire et nous faisons taire
nos enfants. Je fais taire Najma et Jamil, je les rends muets et sourds, je ne
leur apprends pas les mots que le président n'aime pas. Ces mots-là, je les
garde pour moi, je les ai enfermés dans ma tête, je leur ai interdit ma langue,
ils se cognent contre les parois de mon cerveau, ils n'ont pas le droit de
sortir, ils crient à l'intérieur. Pourtant, ces mots-là sont chantés sur les
places des villes et des villages. »
Qu’en
est-il de la Syrie, du régime de Bachar Al Assad, qui poursuit son emprise de
fer sur la population ?
A la fin
du livre, la question est posée : « On
m’a écouté, les journaux ont parlé de moi, et puis rien. Le monde est passé à
autre chose. »
Un roman
dense que le lecteur suit et supporte d’une traite, avec la boule au ventre et
la sidération devant la déshumanisation banalisée.
Vous
l’avez compris, méga coup de cœur pour ce roman.
Merci à
la Fondation Orange et aux éditions Julliard de m’avoir permis de découvrir
cette pépite.