mercredi 14 février 2024

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J’avoue que j’étais plutôt sceptique sur ce roman consacré  au Journal d’Anne Franck, qui m’avait infiniment touchée durant l’adolescence. Une fille de mon âge, talentueuse et drôle,  fauchée gratuitement par l’absurdité de la guerre et la barbarie du nazisme.
 
Lola Laffont décide de passer une nuit, toute seule,  au musée d’Anne Franck et elle raconte.

Le texte est émouvant car il renvoie aux propres fantômes de Lola Laffont. Elle, dont les grands-parents juifs vivaient en France durant la seconde guerre mondiale, elle dont les deux grands-tantes sont mortes de faim, dans un ghetto polonais.

C’est sa grand-mère Ilda Goldam, qui lui remet, quand elle encore une enfant une médaille au portrait d’Anne Franck : « C’est elle, Ilda Goldman, la raison de ma nuit dans l’Annexe. »

Elle tient à nous faire mieux comprendre qui était Anne souvent réduite au symbole de la jeunesse détruite par le nazisme. C’était aussi un vrai talent en  matière d’écriture et elle  souhaitait d’ailleurs, devenir écrivain.

Lola Laffont revient aussi sur une phrase culte du Journal en la complétant des lignes suivantes rarement citées : «Je crois encore à la bonté innée des hommes.   
Il m’est impossible de tout construire sur une base de mort, de misère et de confusion. (…) Je ressens la souffrance de millions de personnes et pourtant, quand je regarde le ciel, je pense que tout finira par s’arranger, que cette cruauté aura une fin, que le calme et la paix reviendront régner sur le monde. »

En la complétant précisément, elle indique toute la puissance d’idéalisme, de conviction dans le futur, d’intensité de la vie dans l’adolescente.

Passer une nuit, toute seule dans l’Annexe, dans ce logement complètement nu qu’ont connu les Franck, est éprouvant pour Lola Laffont mais aussi pour le lecteur qui perçoit bien la force du vide et de l’absence. Les lieux parlent, ils racontent une histoire à qui sait l’entendre. Cela arrive quelquefois devant un tableau, une sculpture, un vieux château, ou une prison.

L’annexe est habitée par l’esprit d’Anne Frank, par ses espoirs en la vie et par sa mort. Et cela, l’autrice, avec sa sensibilité et son écoute, l’a parfaitement ressenti et le partage avec le lecteur.

J’ai aimé l’éclairage passionnant à propos de père d’Anne, Otto Franck et la ressemblance avec les grands-parents de l’autrice.

« Comme Otto Franck, mon grand-père a été victime de « la foi tragique »qu’il avait placée dans un pays d’‘accueil, persuadé que, s’il s’en donnait la peine, il y serait respecté, protégé. (…). Mes grands-parents ont survécu en faisant comme si la France avait vraiment été une terre d’accueil. Ils ont fait de l’oubli, un savoir. Ils ont prêté allégeance à l’amnésie. »

Lola Laffont, en passant une nuit dans l’Annexe, passe une nuit auprès de tous les martyrs de la Shoah.

On parle peu aussi de Miep et de son mari, qui ont caché et subvenu aux besoins de la famille. C’est bien de leur rendre hommage et de les laisser parler : « Avait-elle eu peur ? Constamment. Peur de tomber malade et de ne plus pouvoir subvenir aux besoins des clandestins. (…) Peur de ce qui arriverait, si elle était arrêtée. Et peur, si les nazis la torturaient, de ne pas supporter la douleur, de tout révéler. »

Anne Franck est devenue un symbole. Dans ce roman, l’autrice tente avec beaucoup de réussite de la faire revivre, de la sortir de cette image  figée pour l’incarner dans la vraie vie. Le plus bel hommage à lui rendre : la faire vivre dans nos cœurs.

Un hommage  aussi à tous les morts  fauchés par la barbarie, y compris ceux que le grand public connait peu ou pas du tout.  Comme Charles Chea tué par les Khmers rouges.

Roman lu dans le cadre du Jury du prix des Lecteurs 2024 organisé par le Livre de Poche.

 

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