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Imaginez…
Vous êtes au 1er siècle après JC à Rome, aux côtés de Sénèque, le philosophe. Des soldats
viennent d’arriver, envoyés par l’empereur Néron. Sénèque doit se donner la mort avant la fin de la
journée.
Il va
employer ce sursis pour raconter ses quinze années passées auprès de
l’empereur.
Il a
besoin de comprendre. En quoi, lui, le précepteur, le conseiller, « l’ami
du prince », a failli dans sa tâche ? Il se sent coupable. Comment cet
adolescent docile et curieux dont il avait la charge, qu’il a dirigé vers le
Bien, la Sagesse, le Respect de son peuple, est devenu ce montre
sanguinaire et impitoyable ? Quelles erreurs, quelles faiblesses a-t-il commises ? Comment a-t-il pu être
aussi aveugle ?
« Je suis coupable, Lucilius. Par ce
récit que j’entreprends, j’espère, en t’expliquant ce que j’ai fait, parvenir à
le comprendre moi-même et qui sait ? Peut-être réussir à me pardonner un
peu. »
C’est une
plongée sincère et approfondie dans le
cœur et l’esprit de Sénèque.
Il
revit le plaisir ressenti à enseigner
au jeune empereur, à le conseiller durant les cinq premières
années de son règne. Un règne bénéfique d’ailleurs durant cette courte période
et dont il est fier.
« Mon élève, à qui j’ai
appris à raisonner, à mettre ses pensées en mots (…) prend conscience du poids
du pouvoir, en éprouve la terrible responsabilité et formule cela avec une modestie touchante…
oui, je peux le dire, ce jour-là, Lucilius, j’exulte. J’ai le sentiment que
tous mes efforts portent leurs fruits. »
Il
explique sans fard, ses lâchetés face aux assassinats perpétués par Agrippine, la terrible mère de
Néron, puis par l’empereur lui-même. « Tu
sais que j’ai conçu des soupçons quant à la mort de Claude. J’ai vu s’accomplir
ce qui était sans doute un meurtre politique, que je n’ai pas dénoncé. Et j’ai
non seulement omis de le dénoncer, mais j’ai prêté mon concours à ce qui était un coup de force d’Agrippine,
pour faire asseoir son fils sur le trône impérial. »
L’écriture
est tellement juste que le lecteur est avec Sénèque. Penché sur son épaule, il
lit et partage ses souvenirs, ses réflexions, ses doutes… Une
immersion réussie au 1er siècle après JC, c’est plutôt bluffant !
Peut-être
car l’autrice « a laissé Sénèque
parler librement comme si j’étais sa secrétaire. Le roman est le résultat de ce
qu’il bien voulu me raconter. »
J’ai adoré
ce roman pour sa complexité et sa finesse psychologique. Les personnages sont particulièrement bien
campés, crédibles. Sénèque, Le philosophe est également très attachant du fait de sa franchise, de son humanité.
C’est
d’ailleurs aussi une réflexion sur la sagesse. De quoi est faite la vie,
comment trouver le bonheur ? « N’être
l’esclave d’aucune nécessité, d’aucun désir, d’aucun incident : voilà le
secret du bonheur. »
Une
histoire très contemporaine. Peut-être, car
les hommes cherchent toujours le Bonheur
et la Sagesse, peut-être car l’emprise et l’ivresse du Pouvoir créent des
tyrans. Un jouet trop puissant entre les mains de certains qui
« jouent » à en pousser les limites.
Une
biographie juste, sensible, complexe et pourtant facile à lire.
Un gros
coup de cœur ! Roman original, parfaitement documenté et reconstitué, avec
une belle maîtrise des personnages.
Lu dans
le cadre du prix Orange 2024.
Merci à Lecteurs.com et aux Editions l’Arpenteur.
Extraits
« Caligula avait dit de mes
écrits et de leur apparente discontinuité : qu’ils le faisaient penser à
du sable dépourvu de chaux. »
« Tu sais que j’ai conçu des
soupçons quant à la mort de Claude. J’ai vu s’accomplir ce qui était sans doute
un meurtre politique, que je n’ai pas dénoncé. Et j’ai non seulement omis de le
dénoncer, mais j’ai prêté mon concours à
ce qui était un coup de force d’Agrippine, pour faire asseoir son fils sur le
trône impérial. »
« A ma grande surprise, le
vieil homme que je suis éprouve encore
le désir de vivre. J’ai envie de voir le soleil rougeoyant se coucher le soir
derrière la colline noire, envie d’entendre le chant des cigales s’interrompre
brusquement avec l’arrivée de l’obscurité ; envie de voir les premières
étoiles scintiller dans un ciel sans nuage. »
« Ce n’est pas parce que les
choses sont difficiles que nous n’osons pas. C’est parce que nous n’osons pas
qu’elles paraissent difficiles. »
« Mon élève, à qui j’ai
appris à raisonner, à mettre ses pensées en mots (…) prend conscience du poids
du pouvoir, en éprouve la terrible responsabilité et formule cela avec une modestie touchante…
oui, je peux le dire, ce jour-là, Lucilius, j’exulte. J’ai le sentiment que
tous mes efforts portent leurs fruits. »
« On doit punir, non pour
châtier, encore moins pour assouvir sa colère, mais pour prévenir. Gouverner
consiste en cela : regarder devant soi, et tenter d’empêcher des maux à
venir. Il ne s’agit pas de chercher à rendre justice à la place des dieux,
encore moins d’assouvir quelque vindicte que ce soit. »
« Sans en avoir conscience,
je vis dans une sorte d’ivresse, jour après jour, sans boire pourtant plus que
de raison, m’illusionnant sur tout, sur lui, sur moi, sur ce qui se déroule
devant mes yeux. Aujourd’hui, c’est mon aveuglement qui me frappe ; mais à
l’époque, je nage dans une frénésie que je confonds avec le bonheur. »
« La
justice hâtive est une marâtre de malheur. »
« Je me désole à la pensée de
rester dans l’Histoire comme celui qui avait tout pour réussir et qui a
failli. »
«Philosopher, c’est apprendre à
mourir. »
«J’ai été son maître, mais il m’a
enseigné en retour une dure leçon. O Lucilius, celui qui cherche la sagesse est
un sage, celui qui croit l’avoir trouvée est un fou ! »