mercredi 24 avril 2024

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Imaginez… Vous êtes au 1er siècle après JC à Rome, aux côtés  de Sénèque, le philosophe. Des soldats viennent d’arriver, envoyés par l’empereur Néron. Sénèque  doit se donner la mort avant la fin de la journée.

Il va employer ce sursis pour raconter ses quinze années passées auprès de l’empereur.  

Il a besoin de comprendre. En quoi, lui, le précepteur, le conseiller, « l’ami du prince », a failli dans sa tâche ? Il se sent coupable. Comment cet adolescent docile et curieux dont il avait la charge, qu’il a dirigé vers le Bien, la Sagesse, le Respect de son peuple, est devenu ce montre sanguinaire et impitoyable ? Quelles erreurs, quelles faiblesses  a-t-il commises ? Comment a-t-il pu être aussi aveugle ?

 « Je suis coupable, Lucilius. Par ce récit que j’entreprends, j’espère, en t’expliquant ce que j’ai fait, parvenir à le comprendre moi-même et qui sait ? Peut-être réussir à me pardonner un peu. »

C’est une plongée sincère et approfondie dans le  cœur et l’esprit de Sénèque.

Il revit  le plaisir ressenti à enseigner au  jeune empereur,  à le conseiller durant les cinq premières années de son règne. Un règne bénéfique d’ailleurs durant cette courte période et dont il est fier.

« Mon élève, à qui j’ai appris à raisonner, à mettre ses pensées en mots (…) prend conscience du poids du pouvoir, en éprouve la terrible responsabilité  et formule cela avec une modestie touchante… oui, je peux le dire, ce jour-là, Lucilius, j’exulte. J’ai le sentiment que tous mes efforts portent leurs fruits. »

Il explique sans fard, ses lâchetés face aux assassinats  perpétués par Agrippine, la terrible mère de Néron, puis par l’empereur lui-même. « Tu sais que j’ai conçu des soupçons quant à la mort de Claude. J’ai vu s’accomplir ce qui était sans doute un meurtre politique, que je n’ai pas dénoncé. Et j’ai non seulement omis de le dénoncer, mais j’ai prêté mon concours  à ce qui était un coup de force d’Agrippine, pour faire asseoir son fils sur le trône impérial. »

L’écriture est tellement juste que le lecteur est avec Sénèque. Penché sur son épaule, il lit et partage ses souvenirs, ses réflexions, ses doutes… Une immersion réussie au 1er siècle après JC, c’est plutôt bluffant !

Peut-être car l’autrice « a laissé Sénèque parler librement comme si j’étais sa secrétaire. Le roman est le résultat de ce qu’il bien voulu me raconter. »

J’ai adoré ce roman pour sa complexité et sa finesse psychologique.  Les personnages sont particulièrement bien campés, crédibles. Sénèque, Le philosophe est également très attachant  du fait de sa franchise, de son humanité.

C’est d’ailleurs aussi une réflexion sur la sagesse. De quoi est faite la vie, comment trouver le bonheur ? « N’être l’esclave d’aucune nécessité, d’aucun désir, d’aucun incident : voilà le secret du bonheur. »

Une histoire très contemporaine.  Peut-être, car les hommes cherchent toujours  le Bonheur et la Sagesse, peut-être car l’emprise et l’ivresse du Pouvoir créent des tyrans. Un jouet trop puissant entre les mains de certains qui « jouent » à en pousser les limites.

Une biographie juste, sensible, complexe et pourtant facile à lire.

Un gros coup de cœur ! Roman original, parfaitement documenté et reconstitué, avec une belle maîtrise des personnages.

Lu dans le cadre du prix Orange 2024.

Merci à Lecteurs.com et aux Editions l’Arpenteur. 

 

Extraits 

« Caligula avait dit de mes écrits et de leur apparente discontinuité : qu’ils le faisaient penser à du sable dépourvu de chaux. »

« Tu sais que j’ai conçu des soupçons quant à la mort de Claude. J’ai vu s’accomplir ce qui était sans doute un meurtre politique, que je n’ai pas dénoncé. Et j’ai non seulement omis de le dénoncer, mais j’ai prêté mon concours  à ce qui était un coup de force d’Agrippine, pour faire asseoir son fils sur le trône impérial. »

« A ma grande surprise, le vieil homme que je suis  éprouve encore le désir de vivre. J’ai envie de voir le soleil rougeoyant se coucher le soir derrière la colline noire, envie d’entendre le chant des cigales s’interrompre brusquement avec l’arrivée de l’obscurité ; envie de voir les premières étoiles scintiller dans un ciel sans nuage. » 

« Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas. C’est parce que nous n’osons pas qu’elles paraissent difficiles. »

« Mon élève, à qui j’ai appris à raisonner, à mettre ses pensées en mots (…) prend conscience du poids du pouvoir, en éprouve la terrible responsabilité  et formule cela avec une modestie touchante… oui, je peux le dire, ce jour-là, Lucilius, j’exulte. J’ai le sentiment que tous mes efforts portent leurs fruits. »

« On doit punir, non pour châtier, encore moins pour assouvir sa colère, mais pour prévenir. Gouverner consiste en cela : regarder devant soi, et tenter d’empêcher des maux à venir. Il ne s’agit pas de chercher à rendre justice à la place des dieux, encore moins d’assouvir quelque vindicte que ce soit. »

« Sans en avoir conscience, je vis dans une sorte d’ivresse, jour après jour, sans boire pourtant plus que de raison, m’illusionnant sur tout, sur lui, sur moi, sur ce qui se déroule devant mes yeux. Aujourd’hui, c’est mon aveuglement qui me frappe ; mais à l’époque, je nage dans une frénésie que je confonds avec le bonheur. »

 « La justice hâtive est une marâtre de malheur. »

 « Je me désole à la pensée de rester dans l’Histoire comme celui qui avait tout pour réussir et qui a failli. »

 «Philosopher, c’est apprendre à mourir. »

 «J’ai été son maître, mais il m’a enseigné en retour une dure leçon. O Lucilius, celui qui cherche la sagesse est un sage, celui qui croit l’avoir trouvée est un fou ! »

 

 

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