samedi 31 décembre 2022

                                                             💙💙💙💙


 

Embarquement immédiat dans le récit : un coup dur arrivé à un éleveur,  un loup a égorgé plusieurs de ses brebis.

Les éleveurs du village sont présents et soutiennent l’éleveur sauf Jean  qui se désolidarise vite des autres. Un solitaire, un taiseux. Il ressent le jugement que les autres portent sur lui : « Jean, à leurs yeux, c’est la caricature du paysan tel que l’imaginent ceux de la ville : un péquenaud taiseux, fruste, méchant, arriéré, arc-bouté sur sa bêtise. »

Huit clos rural avec 5 personnages essentiels : Le père, Jean - sa fille, Agnès - l’ouvrier agricole, Pàl - Pentecôte, le chien de Jean, toujours fidèle, toujours avec lui -  et puis la forêt. Impénétrable, sans horizon. On ne voit pas, c’est sombre (à l’image de Jean et Agnès), tout est caché dans les branches, les fourrés, la terre, mais pourtant, c’est plein de vie.

Le père et la fille ne parlent pas, n’échangent pas, chacun dans sa solitude, dans sa souffrance. On comprend vite que la disparition de la mère d’Agnès a été un traumatisme et un questionnement sans fin de la part de sa fille.

Excellente progression dramatique, belle écriture, très visuelle, des phrases courtes aux mots précis qui rythment bien l’action, les sentiments. En lisant, je voyais très précisément, les personnages, les attitudes, les actions.

Une écriture de scénariste : « Lorsque Jean rentre, il est noué de la nuque aux genoux. Il jette sur sa patère sa parka boueuse, enlève ses chaussures crottées, se passe le visage et le haut du corps à l’eau froide de l’évier. (…) il s’ébroue sans desserrer les dents, s’essuie vaguement, passe un tricot. Puis il se laisse tomber dans un fauteuil et relit le journal de la veille ou de l’avant-veille que le facteur glisse dans la boîte au bout du chemin. »

J’ai beaucoup aimé les métaphores entre les personnages et la forêt, entre Jean et le loup où le ton devient poétique, tendre et pourtant sombre.

Un superbe roman court, dense et puissant. Longtemps après avoir refermé le livre, les personnages continuaient d’évoluer dans ma tête…

Un seul bémol : ce qui m’a semblé être une incohérence à la fin par rapport au sort de Jean (dans les pages 104 – 105 et la page 109).

Amis lecteurs, vous me direz ou m’expliquerez en quoi je me suis trompée … ou pas.😀

lundi 26 décembre 2022

                                                                💙💙💙 



Je me réjouissais de retrouver l’auteure après son magnifique 1er roman : « Que sur toi, se lamente le Tigre ».

Comme les athlètes de haut niveau, difficile de refaire la même prouesse.

Le sujet était intéressant : le colonel spécialiste en tortures ne dort plus. Les fantômes qu’il a fait souffrir ne le laissent plus en paix.

Sujet intéressant, mais traitement poussif.

Je suis allée jusqu’au bout, mais je me suis ennuyée, tellement cela tourne en rond, sans progression dramatique.

Dommage. C’est un rude métier que celui d’auteur et il est impossible d’embarquer son lecteur à chaque  fois.

J’attends donc avec confiance le 3ème roman d’Émilienne Malfato.

vendredi 23 décembre 2022

                                                            💙💙💙💙💙 

On connait la guerre en Syrie, Daesh, ses horreurs, la défaite et les camps kurdes pour les étrangers venus combattre. On connait. On sait.

Mais, a-t-on conscience du quotidien, de ce que les combattants étrangers souvent idéalistes et naïfs ont vécu ? De ce qu’ont vécu les enfants, entraînés dans ce cauchemar, à qui on n’a pas laissé la chance de grandir normalement ?

Ce court roman de 80 pages nous invite à le partager et comprendre. Pas seulement avec l’intelligence, le cœur mais aussi et surtout avec les tripes.

C’est Fabien, un enfant de 8 ans, qui raconte et c'est toute la force de ce récit. Un gamin heureux,  bon élève, accro de poésie et de foot. Le choix brutal de ses parents de rejoindre les combattants de Daesh, « le paradis des musulmans », va rompre ce bel équilibre. Il passera 4 ans en Syrie.

Le lecteur se retrouve en Syrie, l’horreur de la guerre, du totalitarisme avec les yeux de l’enfance. L’innocence, l’acceptation de ce qui se passe et, en même temps, la lucidité.

Il rapporte son quotidien : sa mère en  niqab noir, qu’il ne distingue plus des autres mamans, son père au combat, l’école coranique, puis l’école des lionceaux où Daech forme les futurs combattants… Les coups qu’il reçoit : «  j’ai cru ce jour là, que j’allais mourir. Alors, je récitais dans ma tête à toute vitesse des poèmes que j’avais appris à l’école. Pour mourir dans ce qu’il y a de plus beau. Et j’ai même inventé un poème pendant qu’ils me frappaient. Un poème inspiré par Jacques Prévert. »

Avec la défaite de l’état islamique, il se retrouve dans un camp géré par les kurdes, avec sa mère et son petit frère, Selim, né en Syrie. « S’il n’y avait pas mes poèmes, je crois que maman serait déjà morte. Et Selim aussi. Quand il n’a pas mal au ventre à cause de la maladie ou parce qu’il n’a pas assez à manger, Selim est le plus gai des compagnons. Une petite boule d’amour qui sourit alors tout le temps. Comme si on n’était pas dans toute cette merde. Lui, il s’en fout. Il sourit au monde, à maman, à la vie. »

Un bouquin de 80 pages dans lequel tout est dit : la souffrance, le silence,  le cauchemar, mais aussi les rares moments de bonheur, sans oublier la peinture du déroulement de la guerre.

L'auteur pose également la question du bien fondé de laisser ces gamins fracassés dans ces camps. Ils ont peut-être déjà tout leur part d'horreur, non ? 

Difficile en refermant le livre d’oublier ce qu’il a enduré. Une enfance sacrifiée, piétinée.

Magnifique roman dense, puissant, intelligent et émouvant.

 


mardi 20 décembre 2022

                                                                       💙💙💙💙 



Les auteurs ont choisi de retracer la vie de Maria Montessori, italienne, médecin, féministe et  créatrice d’une méthode révolutionnaire, surtout  au début du 20ème siècle. Une femme engagée dans un environnement historique difficile.

« L’enfant ne doit pas être considéré comme le fils de l’homme, mais comme le créateur et le père de l’homme, un père capable de créer une humanité meilleure » - L’éducation et la paix – Maria Montessori

C’est le centre de la méthode ou de la philosophie Montessori. Éduquons les enfants de façon à ce qu’ils soient en paix avec eux-mêmes pour être en paix avec les autres. Et ainsi l’humanité avancera dans un chemin de paix.

Plus concrètement, chaque enfant choisit son activité et ainsi s’implique et s’épanouit. « Il ne fait pas ce qu’il veut, il veut  ce qu’il fait. » Dans la méthode Montessori, l’espace est organisé en fonction de chaque âge avec un ensemble d’activités.

Elle insiste également sur la complémentarité de la discipline et de la liberté :« Sans discipline, point de liberté, mais un abandon de l’enfant. Sans liberté, point de discipline, que de la soumission. »

Elle insiste encore sur l’adaptation de l’adulte à l’enfant : « Fournissons à l’enfant un environnement préparé qui corresponde à ses besoins. C’est à nous de nous adapter à lui et pas le contraire. »

Maria perfectionne toujours sa méthode, grâce à ses voyages, notamment celui en Inde, en comprenant l’évolution naturelle de l’enfant, qu’il soit d’Orient ou d’Occident. « Elle développe ainsi les plans de développement de l’enfant de 0 à 24 ans. Tous les 6 ans, l’enfant gravit une marche, trois ans pour avancer, trois ans pour consolider.

Un peu comme une prière, l’enfant nous demande :

De 0 à 3 ans, aide-moi à être moi-même

De 3 à 6 ans, aide-moi à faire par moi-même

De 6 à 12 ans, aide-moi à penser par moi-même

De 12 à 18 ans, aide-moi à trouver ma place dans la société

De 18 à 24 ans, aide-moi à aider les autres. »

Sa carrière est également marquée par les événements historiques qui l’entourent : le fascisme en Italie, la montée du nazisme. Elle est très lucide et inquiète pour les enfants et les jeunes : « Une jeunesse libre et éclairée ou une jeunesse formatée et prête à se battre pour des idées ? »

Elle décède à 82 ans, toujours aussi passionnée et engagée.

Une biographie qui permet de découvrir la vie de Montessori, sa personnalité mais aussi et surtout les fondements de sa méthode. Le graphisme accompagne le récit en restant neutre, voire un peu plat.

Petit clin d’œil pour les désordonnées comme moi qui se soignent. Maria Montessori  accorde à juste titre une importance à l’environnement : ‘l’ordre extérieur favorise l’ordre intérieur. » 😀

dimanche 18 décembre 2022

                                                               💙💙💙💙💙 

Imaginez…. Vous êtes assis confortablement dans votre canapé et une pièce de théâtre se déroule devant vous,  rien que vous. Six acteur du 17ème siècle, à tour de rôle,  vous interpellent et vous expliquent qui ils sont, leur environnement, leurs  amours et leurs  questions.

Car il est bien question de doutes, de révélations : Est-ce Corneille qui a écrit les pièces de Molière ?

Le lecteur écoutera donc, par ordre d’apparition en scène :

Maître Pierre, ou le Vieux pour Pierre Corneille, amoureux de l’épouse de Molière

La Désirée pour Armande Bejart, actrice et épouse de Molière

Le Petit  pour le jeune comédien Michel Baron, proche de Molière

L’Intouchable pour Molière

L’Accoucheuse pour Madeleine Béjart, mère d’Armande

L’Épouse pour Marie Corneille

Le récit commence au cimetière : les proches accompagnent Molière qui vient de décéder en février 1673. Y compris Pierre Corneille, qui se fera tout petit car Armande ne veut pas le voir. La pièce va donc ressusciter Molière  et son ancienne compagne Madeleine, décédée quelques années avant l’auteur.

Deux thèmes centraux : le doute sur la paternité des pièces de Molière, la révélation de Corneille ou pas...  Et la compréhension de l'environnement proche de Molière. Et cela, c’est passionnant car chacun s’exprime en toute sincérité, en toute intimité devant  le lecteur que nous sommes.

Il semblerait, d’après les études de Cafiero et Camps (https://www.chartes.psl.eu/fr/actualite/jean-baptiste-camps-florian-cafiero-publient-affaires-style-du-cas-moliere-affaire-gregory) que les pièces de Molière appartiennent bien à son auteur.

J’ai adoré cette pirouette théâtrale avec des personnages bien campés, parfaitement crédibles. Des portraits magnifiques, comme celui de Pierre Corneille par Molière : « Il a posé ses yeux et je n’ai plus su qui j’étais. Il n’avait rien d’impressionnant pourtant. Grand mais pas large, les épaules tombantes, l’estomac proéminent, vêtu comme un notaire économe, pas une dentelle au col ni aux poignets, le cheveu rare sous une calotte grise, les joues plates, le nez laid. Mais les yeux. Des yeux à vous dépecer vif. A percer la dalle d’un tombeau. A fondre mon poids de plombs pour le changer en or. »

 On comprend mieux aussi la tonalité profonde de l’œuvre de chacun. Corneille s’explique : « Ils verraient que je ne suis pas seulement le poète de l’honneur et de l’intérêt politique, mais celui de l’amour. L’amour écartelé. Sacrifié. Sublimé. L’amour qui agenouille l’orgueil. Celui qui jusque dans la mort, triomphe. »

L’humour est présent, et c’est toujours Corneille qui s’exprime à propos de Molière et de « Le Petit » : « Molière ne détestait pas les garçons :  il chassait à poil et à plumes »

J’ai beaucoup aimé aussi la peinture de l’époque, l’influence des grands, la concurrence des troupes, les difficultés de percer. Molière explique : « Devinez pourquoi l’Église de France condamne la comédie ? Parce qu’elle lui vole ses clients. Hormis les dévots, qui ne préfère s’esclaffer à battre sa coulpe ? »

 

Une organisation du roman originale, agréable qui donne tout de suite le ton. Un vrai plaisir intelligent.

 


vendredi 16 décembre 2022

                                                                  💙💙💙💙 



Un gros monsieur chauve, son imperméable, sa serviette sous le bras. Un comptable sans doute…. Et c’est vrai qu’à l’extérieur, monsieur Léon ressemble à un bonhomme bien triste, bien convenu, pas intéressant en tous cas…

Sauf que… tout est coloré, gai, poétique, voire exotique, à l’intérieur de sa maison, dans ses pensées, et dans ses songes d’amour avec mademoiselle Sophie, sa voisine. Un introverti, un timide qui ne sait comment lui déclarer sa flamme. Il a besoin de conseils éclairés et va donc consulter maître Wong, grand médium extralucide.

Je ne résiste pas au plaisir de citer la carte de visite de maître Wong, qui « ratisse large » :

« Guérit tous les problèmes et toutes les angoisses, solutionne l’insoluble, offre au choix la gloire ou la tranquillité, garantit l’anonymat ou le succès, le retour de l’être aimé ou le départ du gros boulet, protection contre les esprits, les ondes, la 5G, les sociétés secrètes, les virus et les illuminati ( sectes d’illuminés) , informatique, jeux de hasard, transferts de fonds, ostéopathie, expertise en communication. Discrétion assurée.  

5 bd Camille Flammarion » (Petit clin d’œil à l’ancien propriétaire de Fluide Glacial, Flammarion, et devenu actionnaire minoritaire)

Maître Wong lui fournit un moyen de communiquer à distance intraçable, car monsieur Léon craint Big Brother et compagnie.  Vous  découvrirez cet outil de communication…

S’ensuit une série d’aventures cocasses, avec son copain et complice Fernand, tout aussi azimuté que lui.

Ne ratez pas la scène avec le Préfet.

Le graphisme accompagne admirablement le récit. Gris quand il s’agit de la vie quotidienne, colorée, éclatante pour la vie intérieure de monsieur Léon, jaune quand il rêve et que cela tourne au cauchemar. Et même dans le gris du quotidien, il y a toujours une petite touche de couleur.

Il y a du Franquin (Gaston Lagaffe ) chez les auteurs et c’est bien agréable.

Une BD au ton poétique, humoristique, jubilatoire.

 

 

 

mercredi 14 décembre 2022

                                                            💙💙💙💙 



« Quel sens donner à mes déconvenues ? (…) Je n’arrêtais pas de payer pour les autres. J’avais fait une guerre à laquelle je n’étais pas convoqué pour défendre l’honneur d’un ingrat qui ne songeait qu’à me faire disparaître ; j’étais recherché par la police pour avoir défendu l’intégrité d’une femme qui avait abusé de mon amour pour elles, et maintenant on allait me lyncher pour avoir protégé un bien qui n’était pas le mien. Quelle ironie ! Tous ces faits de bravoure pour finir à plat ventre dans une charrette ! »

Au début du 20ème siècle, en Algérie, la vie de Yacine, né dans une famille de paysans pauvres, dominée par le caïd. A cause de lui, il combattra aux côtés de la France en 14 – 18 et reviendra caporal  au pays où les  difficultés et déboires se poursuivront.

C’est aussi Yacine qui raconte et c’est toute la force de cette histoire. Le regard d’un Candide, d’un pur. Un homme éduqué avec des valeurs, des actes qu’on ne peut pas accomplir. Et malgré toutes les épreuves qui lui tombent dessus, malgré ses questionnements,  il ne lâche rien et demeure dans la même ligne de droiture et d’honnêteté.

Le regard de la vertu dans une société corrompue et violente, celle de l’Algérie coloniale, où les nantis ont tout pouvoir sur les humbles. Une peinture du pays spécifiquement algérienne car les français sont assez peu présents. Même dans le récit magnifique des tranchées où le lecteur suit essentiellement le groupe des « turcos », les tirailleurs algériens

Un récit classique où le lecteur peut également s’étonner quelquefois de la naïveté de Yacine. C’est sans doute la leçon que je retire de cette épopée : entre vertu et naïveté, la frontière est quelquefois bien tenue…

Un bon livre, certes, mais qui n’a pas la densité, la puissance de « Les hirondelles de Kaboul » ou de « L’attentat », qui m’ont « chamboulée ».