dimanche 14 avril 2024

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« Elle était morte depuis plus de trente ans lorsqu’elle réapparut soudain dans ma vie. Avant cela, elle avait été une défunte tout ce qu’il y a de plus calme, fidèle à la femme que nous avions connue, laissant en paix ceux qu’elle avait quittés au terme d’une vie dont ils se disaient volontiers qu’elle avait été sans histoire. »

On en connaît tous des personnes semblables à la grand-mère de l’autrice. Discrets, voire invisibles, souvent efficaces. Des gens transparents qu’on oublie autant de leur vivant, qu’après leur décès.

A l’aube de ses 50 ans, en pleine phase dépressive, Isabelle Monnin questionne la personnalité, l’histoire de sa grand-mère qu’elle a côtoyée durant les 20 premières années de sa vie. « Existe-t-il des vies qui ne valent rien ? »

Que savons-nous finalement de nos  ascendants  décédés ? Même si nous les avons connus, que savons-nous vraiment d’eux à part cette image figée, voire fossilisée que nous conservons en mémoire ?

Dans la première partie du roman, elle explore ses souvenirs, ceux de ses proches. Excepté le séjour pendant 7 ans d’Odette et d’une partie de la fratrie dans un orphelinat maçonnique, elle ne récolte que des images figées et convenues.

Une personne discrète, effacée, femme au foyer et intendante  de l’internat de son mari : « sa place était à la fois essentielle et dévalorisée : elle régnait sans partage sur la vie domestique. »

Une personnalité sans relief, à l’image des phrases clefs qu’elle égrène souvent : « Oh ben, y a rien à dire, (…) Motus et bouche cousue, (…) Allez, allez on n'en parle pas ».

A part la lecture, seule chose qu’elle fait sans contraintes, Odette apparait comme une femme de devoir, bien stricte dans une vie  « Labeur et routine semblaient ainsi la définir toute entière. »

Quelques pièces du puzzle insuffisantes pour cerner le sujet principal. Trop de vide...

Dans la seconde partie, elle  poursuit son enquête en utilisant la loupe du généalogiste. Fouiller les archives, c’est tirer un fil,  et quelquefois, il nous entraîne bien plus loin que prévu.  Avec beaucoup de talent, elle ranime les données administratives brutes  en êtres de chair et de sang. Des ascendants, des proches qui,  sous la plume de l’autrice, ont repris vie.

Comme les frères Pinette, contemporains d’Odette à l’orphelinat et morts à Auschwitz.

Le lecteur participe à ses recherches, à ses coups de coups ou à ses déceptions. Comme le grand-père d’Odette…

J’ai adoré les passages le concernant. L’autrice l’a complètement idéalisé, physiquement et moralement, avant de constater qu’il n’était qu’un sale type. « J’étais abasourdie, tant par ma déception que par ma naïveté. J’avais cru en Eugène, je lui avais accordé ma confiance, et je découvrais que l’avoué était un ivrogne qui avait humilié et insulté sa femme, un pleutre qui ne se défendait même pas et avait abandonné sa famille. »

Quand on fait de la généalogie, il y a toujours des personnages qui nous aimantent, qu’on revêt de toutes les qualités. A tort ou à raison, on ne sait pas...

Une fresque sensible, historique, bouleversante par les vides qui demeurent, même si la dernière partie m’a déçue : faute d’éléments nouveaux, la narratrice invente un passé, un amour, une jeunesse à sa grand-mère.

C’est bien écrit, c’est émouvant, mais la fin m’a laissée sur ma faim. Terminer sur un récit d’amour inventé de toutes pièces sans reprendre la main, sans donner sa propre conclusion, m’a infiniment gênée.

D’autant plus que la 3ème « façon » m’a semblé un délire, et c’était passionnant par rapport au mal-être de la narratrice, à son cheminement dans le passé.  Combler absolument les trous, le vide, avec la fiction et le mensonge : « C’était ce trou noir qui m’habitait. Je souhaitais tellement le combler que j’étais prête inconsciemment à tordre les faits. »

Peut-être pour se chercher de nouveaux repères et polariser son attention sur quelqu’un d’autre. 

Dommage... 

 

 

 

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