vendredi 4 novembre 2022

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C’est une analyse maîtrisée, argumentée de la condition des femmes au Congo que nous propose le docteur Mukwege, gynécologue-obstétricien dans la maternité de Panzi.

Une analyse intellectuelle, basée sur son expérience professionnelle, sa recherche de rapports documentés et chiffrés mais aussi une analyse par le cœur, les émotions, l’empathie. C’est pour cela qu’il nous touche autant.

Le témoignage est vibrant pour célébrer en effet, la force des femmes. Qui se relèvent, retrouvent des objectifs de travail, de vie après des viols collectifs, des blessures qui font frémir le lecteur, sans compter la honte et le rejet de la famille : « Souffrir d’une fistule (perforation à l’intérieur de l’appareil génital) équivalait souvent à subir la honte et le rejet. »

Denis donne beaucoup d’exemples, et à chaque fois, on est admiratifs. Comment vivre après des agressions aussi graves où la femme est considérée comme un outil sexuel ?

C’est un féministe, et il l’indique dès les 1ères pages : « il n’est pas courant qu’un homme fasse campagne pour les droits des femmes. J’en ai bien conscience. J’ai eu l’occasion de ressentir ça dans des conversations entre amis, des rassemblements sociaux ou des réunions à caractère professionnel. J’ai bien vu les regards perplexes et les mimiques d’incompréhension. De temps en temps, je rencontre même de l’hostilité. Certains jugent mes choix suspects, voire menaçants. »

Le Congo, appelé « la capitale mondiale du viol » : « je vous encourage à voir le Congo, parfois encore appelé « la capitale mondiale du viol » comme une fenêtre sur les pires extrémités de ce fléau mondial que sont les violences sexuelles. »

D’autant plus que les médecins formés ne pratiquent pas au Congo. Ils s’expatrient dans des contrés plus facile. Dans les pays européens, le ratio est de 1 médecin pour deux cents habitants, au Congo, il est à peine de 1 pour dix mille.  

Il pose aussi une question qui pourrait être banale : pourquoi les hommes violent-ils ? « La guerre menée contre le corps des femmes au Congo n’a pas été perpétrée par des psychopathes qui arpentent la jungle pour réaliser les fantasmes sexuels d’esprits dérangés. Les maladies mentales sévères existent, bien sûr, et peuvent expliquer certains cas. Mais il faut considérer le viol comme un choix conscient et délibéré qui est la conséquence d’un mépris pour les femmes, car l’origine se trouve là. »

Le viol est  aussi un instrument de guerre, souhaité par les hauts dirigeants. « Il devient tactique militaire. Il est planifié. Les femmes sont délibérément prises pour cibles comme moyen de terroriser la population. Son adoption dans les conflits en Asie, en Afrique, et en Europe au cours du XXème siècle peut s’expliquer par le fait qu’il est peu coûteux, facile à organiser et malheureusement, terriblement efficace. »

Le viol prémédité est désormais considéré comme crime contre l’humanité. Un petit progrès, mais quand les dirigeants restent passifs, cela ne sert pas à grand-chose.

Glaçant, le témoignage des enfants-soldats où toute humanité a disparu. Environ dix mille enfants ont été kidnappés et  enrôlés par les troupes rwandaises en 1996.

Glaçant pour ces hommes perdus, glaçant pour ce qu’ils font subir aux femmes, sans se poser des questions. Normal, banal. Les propos d’un jeune homme de 20 ans : « il a expliqué être devenu accro à la vie de rebelle. Les attaques nocturnes, les armes, l’action, les massacres, les cris. La vie au campement était dure et inconfortable, alors il attendait avec impatience les opérations. « C’était comme une drogue, je ne me posais même pas de questions. J’ai aimé faire du mal. »

Il répond ensuite à la question de Mukwege «  Pourquoi mutiler quelqu’un ? »

« Quand on tranche la gorge d’une chèvre ou d’un poulet, c’est pareil, on ne se pose pas de question. Une femme, c’est pareil, on fait ce qu’on veut avec. »

Il n’oublie pas non plus, le rôle de la religion. Et il parle en tant que chrétien, pasteur et fils de pasteur : « Le changement doit venir du sommet pour donner de l’impulsion à la base. Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, les violences sexuelles sont la résultante d’une hiérarchie  entre les genres qui considère que la vie des hommes est plus importante que celle des femmes. Il faut admettre le rôle de la religion dans la domination masculine et la soumission féminine. »

Il n’occulte pas non plus la politique du président Kabila, son immobilisme, sa docilité envers le Rwanda et les agressions rwandaises au Congo. Sans oublier tous les autres pays qui ont pratiqué le viol, « Qui se souvient des centaines de milliers de femmes qui, elles aussi, ont été victimes de la guerre, violées sous la menace d’une arme, par des allemands, des russes, ou des membres des troupes alliées ? » Et beaucoup, plus proches de nous, les agressions de Daech contre les Yézidis en 2014. Sans oublier les pays, au XXIème siècle, qui reconnaissent plus ou moins le délit du viol.

Un témoignage à mettre entre toutes les mains. 

Sa conclusion exprime la quintessence et l’esprit de son témoignage : « Je prie chaque jour pour un futur paisible et prospère dans ma région et mon pays. Nous sommes riches au-delà du concevable en terme de ressources naturelles, et pourtant, l’avidité et l’exploitation ont fait de cet endroit, l’un des plus pauvres de la planète. Aujourd’hui encore, des villages y sont brûlés, des massacres se produisent chaque semaine sans que cela provoque la moindre vague d’indignation au Congo, ni à l’étranger. Nous avons besoin de justice et de recherche des responsabilités.  Je rêve d’une société où les mères sont reconnues comme les héroïnes qu’elles sont, où les filles issues de notre maternité sont autant considérées que les garçons, où les femmes grandissent sans craindre les violences »

Un récit à lire et à relire. Il est tellement riche qu’un bref résumé comme celui-ci ne suffit pas le présenter et je suis sûre d’être passée à côté de beaucoup d’éléments historiques et politiques.

 

 

 

 

 

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