dimanche 8 janvier 2023

                                                                      💙💙💙💙 



Un titre énigmatique et attractif en même temps…

Il définit parfaitement la tonalité du  récit : Des lucioles « gigantesques, si grandes qu’on les appelle les mangeurs de nuit. Après le coucher du soleil, les mangeurs de nuit grignotent l’obscurité de leurs bouches gourmandes : ce sont les points lumineux que l’on voit danser dans les bois. »

Dans le noir le plus profond, dans le drame, le rejet et la violence, peuvent surgir l’espoir, les rêves  et le renouveau de la vie.  

1945, en Colombie britannique (à l’ouest du Canada, sur le Pacifique nord), Jack est « creekwalker » marcheur de ruisseaux : « En contrat avec le gouvernement, chacun d’eux est chargé de recenser le nombre de saumons sur sa zone de responsabilités ».

Cela permet de définir les quotas de pêche de l’année suivante.

« Les creekwalkers sont des vigies. Les sentinelles sans qui les compagnies de pêche pilleraient les océans jusqu’au dernier poisson.  Comme ils l’ont fait pour les baleines à bosses presque disparues au large des côtes canadiennes. »

Un homme attentif, soucieux et respectueux de la nature, qui vit dans une cabane isolée avec ses deux chiens. Empreint dès son enfance des légendes indiennes que son père lui racontait. Un homme blessé par son histoire familiale, le décès prématuré de son père, la disparition de son petit frère parti s’engager durant la 2° guerre mondiale sans qu’il n’ait rien pu faire pour l’en empêcher.

Le lecteur va donc suivre en parallèle, et sur différentes époques, l’histoire de Jack et  celle d’Aïka, jeune fille de 17 ans qui arrive du Japon en 1920 pour épouser Kuma, déjà installé en Colombie britannique. Elles sont nombreuses dans le bateau à avoir été mariées par leurs parents, à un canadien, via une simple photo. Kuma est un rêveur, un homme bon et sensible qu’Aïka, citadine et cultivée va vite mépriser. Elle va quasiment rejeter leur fille, Hannah, qui au contraire sera très proche de son père. Il berce son enfance d’histoires nippones, fantastiques et poétiques.

Dès le début du 20ème siècle, les japonais sont méprisés et rejetés par les canadiens. La situation ne fait que se dégrader, et la petite fille, qu’est Hannah, ne comprend pas la haine, l’agressivité dont font preuve les enfants canadiens à leur égard. Elle est née au Canada et se sent pourtant complètement canadienne.

A Vancouver, la ville souffre encore de la crise de 1929 : « Malgré leur discrétion et leurs incommensurables efforts, les japonais incarnent le bouc émissaire idéal : ils prennent nos emplois, ils font baisser nos salaires, ils refusent de s’intégrer. »

Tiens tiens… Un triste refrain connu à toutes les époques et dans tous les pays.

Ce racisme va s’intensifier durant la seconde guerre mondiale où, en 1942,  le Canada décide d’interner et de spolier les japonais. Ce n’est qu’en 1988, que le Canada présentera des excuses et indemnisera les descendants japonais.

Ce livre permet aussi de bien saisir l’âme japonaise, honnête et travailleuse, respectueuse de l’autorité, confiante en sa volonté d’intégration qui ne peut qu’être reconnue par les dirigeants canadiens.

Quand Hannah s’échappe du camp de travail, (sans clôture, ni barbelés), elle s’enfuit dans la forêt. Où Jack la découvrira blessée grièvement par un ours blanc. Un ours blanc, « l’ours esprit »  Légende et magie au Canada où il n’y a que des ours bruns !

 

Un roman profond et sensible, où les personnages complexes sont particulièrement attachants.

 La 1ère partie où Marie Charrel place les personnages et les différents contextes historiques m’a paru un peu longue. Par contre, les deux parties suivantes sont carrément addictives. Impossible de lâcher le roman avant la fin, car la progression dramatique est très bien menée.

 

Les légendes, les histoires d’origine nippone et indienne font partie du passé d’Hannah et de Jack, de la construction de leur personnalité et constituent la colonne vertébrale du récit. Malgré les questionnements, les regrets, les cicatrices, elles imprègnent ce périple de poésie et de tendresse.

C’est aussi le message de Marie Charrel : la force de la nature, des légendes qui portent le passé, l’importance des mots quand ils sont chargés de sens et de sincérité, sont bien plus importants que la division des hommes et permettent l’humanité et la fraternité.

 

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