dimanche 14 mai 2023

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« La guerre, quand tu y as goûté, elle est dans ton corps, sous ta peau. Tu peux vomir, tu peux te gratter tout ce que tu veux, jusqu’au sang, elle ne partira jamais. Elle est en toi. Alors, j’y retournais. Ça sentait encore la cendre et la poudre. Les croix s’étendaient à l’infini. Et j’enquêtais inlassablement. Durant toutes ces années 20 et une bonne partie des années 30, j’ai fait ce drôle de boulot d’enquêteur. »

Le narrateur est un combattant de 14-18 qui a perdu sa main dès la première année de guerre. Il pourrait rentrer et laisser ses camarades, mais il choisit volontairement des postes à l’arrière du front et enquête sur les soldats déclarés disparus. Alors que sa femme, Anna, qui l’aime passionnément, l’attend.

« J’étais culpabilisé parce que j’avais quitté le front à cause de ma blessure. Et j’avais culpabilisé de ne pas être rentré auprès de mon Anna quand j’aurais pu le faire. Au fond de moi, je suis même persuadé que c’est justement parce que je sentais que j’avais une dette envers mes camarades que je m’étais lancé dans ce travail d’enquêteur. »

Il ne peut retrouver la paix après la guerre, poursuit son travail d’enquêteur en répondant à la mère d’Émile Joplain, en recherchant son fils disparu. Un jeune homme fou amoureux de Lucie, à qui il envoie chaque jour des lettres passionnées. Patiemment et obstinément, le narrateur reconstitue son parcours. Il comprend aussi que « La fille de la lune » dont parlent certains soldats est bien Lucie, qui a recherché désespérément Émile durant toute la guerre, sous le feu des obus, avec les soldats agonisants. Elle représente souvent pour les blessés, une sorte de vision lumineuse et apaisante.

Ce que j’ai trouvé beau et particulièrement prenant, c’est ce contraste parfaitement bien maîtrisé entre le traumatisme intime de la guerre, à tel point qu’il est impossible d’en parler, impossible de l’exorciser,  et cette histoire  d’amour, qu’aucun obstacle, même pas celui de la peur, des obus, de la mort, ne parvient à casser.

Le narrateur sait qu’il poursuivra son enquête tant qu’il n’aura pas restitué la vie d’Émile. Car cette histoire d’amour se superpose à la sienne. Anna qui l’a attendu, et qui va mourir avant qu’ils aient la possibilité de vivre ensemble. « Et c’est parce que j’avais une dette envers Anna que je m’éreintais dans cette affaire d’Émile et Lucie. »

La culpabilisation de ceux qui sont revenus vivants est omniprésente et elle explique l’attitude du narrateur qui se sent toujours en dette face aux disparus et aux morts.

Le soldat désaccordé fait partie des finalistes du Prix des Libraires 2023.

J’ai infiniment apprécié « On était des loups » de Sandrine Collette, « les mangeurs de nuit » de Marie Charrel, mais mon « Number One » est « le soldat désaccordé ».

Sujet original, roman sombre et lumineux en même temps. Une vraie gageure parfaitement réussie !

Gros coup de cœur et merci, Gilles Marchand 💓

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