mercredi 18 octobre 2023

                                                                   💙💙💙💙💙


Avant de parler du roman, une petite parenthèse sur l’auteur : une sacrée palette de talents. Trois livres savourés, tous, bien différents.

« Dans les yeux du ciel » : la puissance, l’intensité, le cri, le prix de la liberté. 

« Voyage au bout de l’enfance » : la lucidité et l’incompréhension d’un gamin emmené en Syrie par ses parents. La force du regard de l’enfance

Et « Les silences des pères » : un livre tout en retenue, en justesse et en émotions. Lui aussi, suscite la réflexion. Pour lui aussi, les personnages continuent de vivre dans ma tête, une fois le livre refermé.

L’histoire :

Le fils  revient à Trappes au décès de son père. Ils ne se parlent plus depuis de nombreuses années. Le fils, grand pianiste, est aussi le narrateur.

Son père est un « taiseux » et son fils n’a jamais compris, jamais accepté son silence lors de la mort accidentelle de son frère en mobylette. Quand il a été pris en chasse par deux motards.

« Craignant un contrôle d’identité, il avait accéléré. Un coup de guidon trop vif et l’accident était arrivé. L’absence de casque fit le reste. Il agonisa 10 mn sur le bitume, et c’en fut fini de mon frère. »

« Je tenais mon père responsable de tous les malheurs de ma famille. Dès mon adolescence, je l’ai rejeté. La mort violente de mon frère avait été une telle meurtrissure. Son silence avait été une forme de lâcheté. »

En rangeant ses affaires, il va découvrir des cassettes étiquetées par date et par lieu. C’est la voix de son père qui s’adresse à son propre père resté au Maroc. Il lui raconte sa vie, lui demande conseil.

Le fils va alors repartir sur l’histoire et la personnalité de son père : rencontrer ses amis dispersés en France, revenir sur ses propres souvenirs et écouter attentivement les cassettes.

Et si son silence était chargé de sens ? S’il exprimait justement un trop plein de sacrifices, d’’amour,  impossible à exprimer ?

Surtout, quand on a été habitué à taire ses émotions, à pourvoir aux besoins de sa famille, à faire le maximum pour ses enfants, à obéir aux ordres des parents.

Cette réflexion s’ouvre sur la parentalité en général. D’où – je pense – le titre au pluriel : « les silences des pères ». Faire le maximum pour les enfants. Sans toujours être compris en retour, sans chercher à valoriser leurs efforts. C’est normal, on aime les enfants, on cherche le mieux pour eux.

 

C’est une belle histoire (sans doute autobiographique) sur la mémoire, la compréhension, le regret et bien sûr le silence.

« Et si le silence était notre dernier espace de liberté ? Là, où s’appréhende notre savoir, ce que nous avons appris de l’existence. Se taire pour accéder au vrai, au beau, au juste ? »

Ce qui m’a émue, c’est l’incommunicabilité entre les deux générations, deux éducations bien différentes. Le père qui obéit, comme un gamin, à la voix de son père, quand ce dernier n’accepte pas la femme qu’il aime en France.

A rapprocher du roman d’Alice Zeniter : « L’art de perdre ».

Quand l’absence de communications ressemble à la haine…

 

Et ce qui m’a encore plus émue, parce qu’il fait ressortir le sentiment de honte, c’est l’extrait où le Père sort prématurément du bus pour ne pas faire honte à son fils.

« Un jour, après le conservatoire, je me souviens, il pleuvait des cordes. Je m’étais précipité dans le bus avec mes camarades. Mon père s’y trouvait déjà, monté à un arrêt précédent, il rentrait du travail. En me voyant, il avait baissé la tête  et était descendu à l’arrêt suivant, si loin de notre cité. (…) Une heure plus tard, il était arrivé trempé à la maison. Je n’ai pas su ni même lui demander pourquoi il était descendu. Mon père redoutait que sa seule présence me fasse honte devant mes amis musiciens ».

 

Avec en arrière-plan, l’histoire de l’immigration des premières générations, les difficultés mais aussi la solidarité, les amitiés fidèles.

Un livre pudique et bouleversant.

 


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