mardi 28 février 2023

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Gros coup de cœur pour  ce premier roman de Marie Saglio.

A travers une trame dramatique parfaitement maîtrisée, l’auteur nous  propose une analyse politique et sociale de l’Inde, et plus particulièrement de la ville de Bombay.

Littéralement scotchée par l’histoire de Shiv, je n’ai refermé le livre qu’à la dernière page. Pour immédiatement, rechercher sur internet les infos me permettant de satisfaire ma curiosité aiguisée par cette découverte intelligente et nuancée de Bombay.

Que demander de plus à un livre ? Le plaisir d’aller au bout d’une histoire pleine de rebondissements, et la compréhension de notre environnement. Je suis admirative de cette belle réussite : un vrai  talent d’écrivain et une réelle expertise d’un pays complexe et riche.

Quelques mots pour situer le récit.

Embarquement immédiat pour Bombay, la moderne et la miséreuse, avec Shiv. Ingénieur indien travaillant pour une entreprise internationale de recyclage de déchets. Après 7 ans ininterrompus à Londres, il revient à Bombay où il est chargé de transformer l'immense centre de déchets de Gandapur en centrale d’énergie pour le nord est de Bombay.

« Bombay est devenue l’épicentre du problème des ordures. C’est le revers de sa prodigieuse expansion économique. Ou plutôt, traduit dans la langue des affaires, la mégapole représente un marché colossal de traitement des déchets. »

Bien sûr, rien n’est simple en Inde et cela, Shiv  le savait, le redoutait. Il va le constater et le subir tous les jours. Les castes ont officiellement disparu, mais les fossés demeurent entre les différentes classes sociales. Les nantis, dans des quartiers résidentiels, les chiffonniers qui vivent de la décharge, avec des hiérarchies bien définies, les slum dwellers, les habitants des bidonvilles qui vivent avec, dans, et de la décharge, les Dons ( chefs de la mafia), souvent des hommes politiques sans qui rien ne se fait. Car, avec la hiérarchie verticale érigée en symbole puissant, la corruption est omniprésente, et à tous les niveaux.

« C’est comme ça  ici, tous ceux qui veulent réussir ont un pied dans la fange. »

Marie Saglio n’oublie pas l’environnement historique et social, l’exode rural qui pousse les populations à chercher du travail dans les villes, et la plupart du temps, les pousse également dans les bidonvilles, sans compter la dégradation inexorable de l’environnement naturel. La présence de produits toxiques et mortels dont tout le monde se fiche. Il faut vivre et pour beaucoup, il faut simplement survivre.  La misère est présente, banalisée et la vie d’un homme, la santé d’un enfant,  ne valent pas grand-chose.

Toutes les scènes dans les bidonvilles sont relatées sans pathos, mais avec beaucoup de justesse et de sensibilité. En les lisant, on se réjouit de vivre dans un pays occidental.

En même temps, beaucoup de battent pour l’amélioration de l’existence de chacun, notamment la prise en compte de l’éducation de tous les  enfants, comme la mère de Shiv.

Le conflit toujours présent entre hindous et musulmans, avec toute la montée en puissance du parti nationaliste n’est surtout pas occulté. Il est essentiel dans le climat qui règne à Bombay et tout ce qu’il peut rapporter au régime en place.

Les personnages sont bien campés et attachants, complexes. Car les doutes, les espoirs, les révoltes et les compromis les habitent. Une analyse psychologique toute en finesse avec le personnage central de Shiv, à la  recherche de sens et d’identité.

Une progression dramatique sans faille. Servie par une plume simple, juste et précise, quelquefois douce et poétique, dont le ton change brutalement pour décrire l’indicible :

« Shiv regarde toujours l’avocatier et se sent submergé de nostalgie pour le monde ancien de sa terre villageoise.(…) Après les moissons de l’été, tous attendaient les pluies gorgées de fraîcheur, l’heure où terre et ciel échangent leurs robes, où le fleuve gris revêt une clarté lumineuse, où l’azur noircit sous la nuit. Voilà que les lacs n’offrent maintenant que des flottilles de poissons crevés, pourrissant sous un soleil meurtrier. »

Un livre enrichissant car il permet une compréhension intellectuelle d’un milieu mais aussi une compréhension par le cœur, des doutes, de la misère, de tout ce qui accompagne l’humanité.

Merci Marie Saglio.

Lu dans le cadre du prix Orange 2023.

Je remercie la Fondation Orange et les Éditions Serge Safran de m’avoir permis de découvrir ce roman passionnant.

 

 

 

 

 

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