samedi 11 février 2023

                                                                   💙💙💙💙💙 



Un sujet devenu banal car souvent traité : les souvenirs d’enfance égrenés par une vieille personne.

Pourtant, ce roman est porté par un charme, une sensibilité particulière et surtout une belle écriture, qui emporte le lecteur dans une grande maison familiale, « la Maison », entourée d’arbres, d’étangs, de bonheurs et de joies d’enfants.

Isadora est maintenant une vieille femme, en EHPAD. La Maison, qu’elle dû quitter lui manque et elle y évoque ses souvenirs, avec son frère et ses deux sœurs. Harriet, la plus petite, est chère à son cœur. On comprendra mieux, au fil des pages, pourquoi elle occupe une place tellement importante.

Une maison, qui est  un refuge contre l’extérieur pour Isadora, un endroit où elle se blottit, une retraite volontaire où elle retient le temps.

« J’ai assez aimé la Maison pour ne rien souhaiter d’autre, dans mon existence que d’y demeurer, blottie au creux des choses familières, me laisser patiner par le temps exactement comme la rampe de  l’escalier en colimaçon »

Autre originalité de ce premier roman : les quatre saisons servent de cadre aux souvenirs d’Isadora.

L’été avec ses jeux, la chaleur qui pèse sur les adultes et ravit les enfants. Une écriture tellement juste qu’on sent le soleil, le plaisir de l’eau, les cris des petits. Le monde de l’enfance, celui de l’insouciance, qu’une vieille personne nous fait revivre. Car ses souvenirs à elle, évoque les nôtres, et ce n’est que du bonheur !  

Les descriptions de la nature, sont simples, précises et… somptueuses. On s’enfonce dans l’hiver, le froid, la neige. On retrouve le bonheur de se blottir, frère et sœurs ensemble, un peu fatigués après la course matinale.

Des souvenirs lumineux pour une vieille dame triste, sombre, au crépuscule de sa vie. Il y a d’ailleurs, toujours en superposition, dans les réflexions d’Isadora, le passé heureux et le présent douloureux.

Elle s’imagine d’ailleurs, vieille dame, parmi les enfants dont elle faisait partie : « Maintenant que la vieillesse me casse le dos et me rompt les doigts, je sens combien j’aurais été agacée, enfant, par ma présence d’aujourd’hui, encombrée par ce qui n’est plus ».

Ce n’est pas qu’un livre de souvenirs sur les plus jeunes années, c’est également, en filigrane, un constat triste et lucide de la vieillesse et une analyse sans concession de sa vie. Car au fur et à mesure de la déclinaison des saisons, les souvenirs s’attristent, les blessures et les deuils se profilent, la solitude d’Isadora dans la Maison se fait plus intense. La tension et l’émotion montent au fil des pages.

C’est la Maison de son frère et de ses sœurs qui l’ont quittée. C’est la Maison de ceux qui sont morts et de celle qui le sera bientôt. C’est la Maison où elle a tout conservé : les vêtements des uns et des autres, le lit d’Harriet toujours à côté du sien et même l’atelier de peinture de sa mère où tout est demeuré intact.

C’est aussi le refus pathologique du temps qui passe, le refus vers l’extérieur et le constat bien triste qu’elle n’a pas vécu. La Maison, un « cocon étouffant » comme la caractérise sa sœur ainée, une pieuvre sécurisante qui retient le passé et empêche de vivre le présent.

Un livre sur l’insouciance de l’enfance, sur ce qu’on fait de sa vie, sur le temps qui passe. La fin des souvenirs, quand ils commencent à devenir flous, marque la fin de la vie.

On peut penser que lorsqu’Isadora aura égrené toutes les saisons, elle se laissera doucement glisser vers la mort :

« Mes yeux sont froids à présent, sans doute. Ils ne sont plus couleur d’étang sale, n’est-ce pas, voilés par la cataracte et la mélancolie. Ils sont pleins du passé et ont usé toutes leurs étincelles. Comment les rallumer d’ailleurs sur ce ballet de blouses blanches et de serviables fantômes, qui remplissent mon assiette, allument ma télé, me parlent très fort à l’oreille. Ici, il n’y a plus de massifs de fleurs, de ciels éblouissants et de neige scintillante. Le café dans la tasse est froid comme mon cœur. Qu’on le boive, qu’on en finisse. »

Un roman qui paraît écrit au fil de la plume, j’oserais presque dire au fil de l’eau, tellement il est fluide. Mais compte tenu de la qualité de l’écriture, je pense qu’il représente au contraire, beaucoup de travail, et je salue cette jeune auteure pour le plaisir qu’elle nous donne à parcourir la vie d’Isadora et de Sa Maison.

Je remercie la Fondation Orange et les Éditions Gallimard de m’avoir permis de découvrir ce premier et magistral roman.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire