mercredi 29 mai 2024

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A partir d’un drame bien réel, celui du "Malabar Princess" de la compagnie Air India en 1950,  qui s'est écrasé sur le Mont-Blanc en faisant 48 morts. L’avion aurait contenu des lingots d’or...

L’histoire :

Dans un hameau de montagne, deux frères que tout oppose.

Isaïe, l’ainé est  gentil, sincère.  Un amoureux de la montagne, des animaux, de la vie simple qu’il mène avec ses brebis.

Marcellin est vénal, égoïste et ne souhaite que regagner la ville, où il pourrait tenir un commerce à condition de vendre leur maison…

Isaïe a quasiment élevé Marcellin à la mort de leurs parents et l’aime profondément.  C’est son petit frère mais c’est aussi son fils...

On comprend vite aussi qu’Isaïe, un ancien guide, se débat contre de mauvais souvenirs, un accident d’alpinisme, qui lui a laissé quelques séquelles…

Marcellin va se livrer à un chantage pour persuader Isaïe d’entreprendre l’ascension, rejoindre l’avion et trouver ses trésors.  

Isaïe n’est jamais remonté depuis son accident, il a peur mais cède à son frère.

Les conditions sont épouvantables, c’est éprouvant, intense, la montagne ne fait pas de cadeaux.

Pourtant au fur et à mesure qu’ils montent, Isaïe retrouve son expérience, sa solidité, son esprit solide.

Même Marcellin le remarque : « Qu’est-ce qui t’arrive, Isaïe ? Je ne te reconnais plus depuis le début de l’ascension.

C’est comme si le souffle de l’air pur avait lavé l’intérieur de ta tête. »

Sauf, qu’arrivés près de l’avion, rien ne va se dérouler comme prévu.

Les happy end, ce n’est pas le genre d’Henri Troyat…

Sublime graphisme : classique, très travaillé sur les visages, les expressions, les couleurs et les paysages. Chaque planche est un petit bijou.

Le dessin apporte une densité supplémentaire au récit d’Henri Troyat qui était déjà bien prenant.

Un huit clos tragique en pleine nature dont la conclusion sera à l’image de la montagne : sauvage, puissante, glaciale et terrible.

Merci à Lecteurs.com et aux éditions Rue de Sèvres pour cette découverte passionnante. 

 


 

 

 

dimanche 26 mai 2024

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Miroir que reflètes-tu ?

Résilience et projection de soi sont les maîtres mots de ce roman (presque) naturaliste où la nature humaine se dévoile au fil du travail de la terre.

Sally est une jeune femme de 17 ans, urbaine, qui attend avec impatience sa majorité pour fuir le contexte familiale qui ne la comprend pas. Comme beaucoup d’adolescent(e), elle traduit son mal être par des crises anorexiques qui ont amené ses parents à l’envoyer dans une clinique spécialisée, dont elle s’est enfuie.

Au hasard d’une route de campagne, elle rencontre Liss, une cinquantenaire qui, sans prononcer une parole, décide de lui venir en aide en lui offrant le gîte et le couvert dans sa ferme au cœur d’un petit village. Liss vit seule en continuant de travailler sur l’exploitation familiale.

 

En suivant le rythme des travaux des champs, les deux femmes vont se découvrir petit à petit, sans qu’aucune d’elle ne questionne l’autre sur son histoire personnelle. Mais malgré tout, un véritable échange finit par s’installer, l’une retrouvant dans l’autre par un effet miroir, sa jeunesse, l’autre trouvant dans la plus âgée, un support maternel qu’elle n’a pas connu.

Nous découvrirons au fil des pages, l’histoire de Liss et la raison pour laquelle elle agit ainsi avec Sally.

 

C’est un roman qui ne vous happe pas dès la première page. Il faut prendre son temps, tracer son sillon, pour entrer dans l’histoire. D’abord, il est difficile de situer le lieu. Certes, il s’agit de la campagne mais le début fait plutôt penser à un roman de cowboys dans le middle-west américain. Il faut attendre pratiquement la deuxième partie du livre pour se retrouver en Allemagne. C’est un peu déroutant.

Par contre, l’écriture (ou la traduction), est très réussie. Les descriptions du travail de la terre, les éléments naturels ainsi que le rythme de la campagne, sont particulièrement mis en valeur. Ewald ARENZ sait faire monter la tension et, c’est la qualité du livre,  il nous amène à ne pas lâcher la lecture pour savoir si l’histoire se finira bien… ou pas !

Et après tout, les variétés de poires anciennes que l’on peut trouver dans les vergers de certaines vieilles fermes ont, c’est vrai, un goût unique et un parfum enivrant !

 

Lu dans le cadre du Grand prix des Lecteurs 2024.

Merci aux éditions Pocket

 

 

 

 

lundi 20 mai 2024

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Embarquement immédiat dans l’univers des laboratoires pharmaceutiques.

Une belle soirée chez Pharmacom qui fête le succès d’un antipsychotique, le Zandler, validé par Clinitech. Il  va bientôt être mis sur le marché, il ne faut plus perdre de temps. C’est le jour de gloire aussi pour la chercheuse Cathy Charlier qui l’a mis au point.

Sauf que la fête dégénère en cauchemar. Un homme surgit en tee-shirt, mal rasé, tremblant et la met en joue quelques secondes avant de retourner l’arme contre lui.

On apprend ensuite qu’il faisait partie des malades ayant testé le Zandler et que le propre fils de Cathy Charlier, atteint de « troubles de la personnalité évitante », est également soigné par ce médicament…

 

Le scenario est parfaitement maîtrisé, la progression dramatique aussi et la pression constante.

J’ai aimé les différences de colorisation en accord avec les types de scènes, comme une musique accompagne dans un film, les moments plus intenses ou plus calmes. 

Mais le dessin est simple ou simpliste, les expressions sont esquissées. Sauf rebondissement dans le Tome 2, l’intrigue me parait convenue.

Une BD plaisante à lire, sans originalité particulière.

 

 

 

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Une belle écriture, une progression dramatique maitrisée, mais…

L’histoire :

1920 – André, 18 ans, enterre sa mère. « Elle s’était éteinte comme une étoile, à l’heure où le merle entonne son chant d’amour. »

Il est désormais seul et doit absolument trouver un travail  pour survivre. Une vie misérable et médiocre, voilà ce qui l’attend. Il a du mal à s’y résoudre, alors que persistent continuellement dans sa tête, les propos de sa mère sur le train de vie de la famille Jourdain, chez qui elle était « bonniche »…

« Le territoire des Jourdain n’était pas un royaume exotique qu’un aventurier foule un jour au terme d’un long voyage. Proche du village, il était cependant aussi inaccessible que les sources du Nil pour qui n’y était pas né : c’était le pays de la richesse. »

Dans les rêves d’André aussi,  le fantasme de l’Amazonie, entretenu par le souvenir d’un magnifique perroquet vert qu’il a entrevu lors du passage d’un cirque dans le village.

Il trouve du travail chez Maître Simon, le forgeron, un homme bon mais rude, et bousculé par la vie : « Il faut dire que maître Simon avait le regard des loups, qu’il possédait dans son antre des outils effrayants. Par surcroît, quand la guerre était venue, l’armée française n’avait point voulu d’un monstre de son espèce. Il était resté au village, dans la paix des difformes et des bons à rien, ce qui avait accru la rancœur des hommes contraints de partir et la méfiance trouble des femmes esseulées derrière leurs fenêtres. »

Tout va changer quand il va vivre une belle relation d’amour avec Suzanne, la fille du puisatier…

« Ils se regardèrent en silence, suspendus dans un moment qui les emporta hors du temps. Leurs yeux ne se lâchaient plus, se mêlaient comme les rivières se mêlent et s’enroulent en fleuves et ils eurent envie de rester figer éternellement, à se regarder et à s’écouler l’un dans l’autre dans le chant de la fontaine… »

 

📌J’ai aimé le portait joliment campé de maître Simon, un vrai sage sous ses allures brusques : « Il faut grandir dans sa tête pour être libre de ses actes. Certains ne le sont jamais. »

📌 J’ai aimé aussi la façon dont Myriam Chirousse traite le poids de l’éducation, de la misère qui empêche André de grandir malgré son travail et son amour   : « Voilà, André : regarde ta vérité. Tu peux t’imaginer forgeron et honnête artisan, mais tu ne seras jamais qu’un misérable orphelin, le fils d’une bonniche sans famille et d’un journalier à moitié crétin, un bougre qui ne vaut rien, un mauvais parti chaussé de brodequins dépareillés… »

En revanche, je n’ai pas du tout été convaincue par la conclusion du roman : précipitée, rocambolesque et peu plausible.

Dommage…

 

Merci à Geneviève Munier qui m’a permis de découvrir ce roman que j’ai aimé, malgré sa conclusion.

 

 

 

dimanche 19 mai 2024

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 « Le problème avec cet attentat, c’est que Samuel Paty n’a pas été assassiné parce qu’il a montré les caricatures du prophète. Entre parenthèses, cela faisait 4 ans qu’il faisait ce cours. Ce n’est pas ça l’objet. Il a été assassiné parce qu’une jeune fille a menti à son père qui a préféré croire la version de sa fille plutôt que celle de l’institution. Le rôle des réseaux sociaux est central. Samuel a été victime d’une forme de harcèlement très lourde. » Eric, un des profs.

 

Je ne reviendrai pas sur le terrible assassinat de Samuel Paty. C’est un drame que l’on conserve tous en mémoire.

Je voudrai seulement saluer cette reconstitution bien documentée, pédagogique, rigoureuse  et en même temps, très accessible.  

Pour rappel, Valérie Igounet est une historienne et politologue, spécialiste du négationnisme et de l’extrême droite en France.

Mention spéciale pour le graphisme qui convient parfaitement à une salle de classe, à une progression dramatique et funeste, telle qu’on la connaît. Les expressions, les attitudes de chacun sont « croquées » avec beaucoup de précision et de talent par Guy le Besnerais.

 

Plusieurs  thèmes sont particulièrement bien traités :

📌Une réflexion sensible et intelligente sur le métier de prof. Samuel Paty était un amoureux  de l’enseignement. Faire comprendre, transmettre, apporter la curiosité et l’envie d’en savoir plus. Développer l’esprit critique, même en interpellant et en choquant par les questions qui réveillent.

Dans l’hommage à Samuel Paty le 21 octobre 2020, Christophe Capuano, un de ses amis les plus proches, cite J. Jaurès. (Entre parenthèses, dans tous les épisodes tragiques, il y a toujours quelqu’un pour citer Hugo ou Jaurès)

« En 1888, Jean Jaurès écrit aux instituteurs (rices) : Vous tenez entre vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie.

Les enfants qui vous sont confiés n’auront pas seulement à écrire, à faire une addition ou une multiplication.

Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, quels droits elle leur confère, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. Enfin, ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme. »

 

📌 L’accent est mis également sur la notion de liberté. Jusqu’où pouvons-nous aller et cette question est essentielle pour la diffusion des caricatures.

« Comment formuler une définition de la liberté à la lumière de l’exemple de la liberté de presse …Et poursuivre notre réflexion sur le dilemme de Charlie hebdo ?

La liberté est un droit qui consiste à faire ce qu’on veut en respectant la loi, sans nuire aux autres. »

 

📌L’accent est mis également sur le rôle de l’administration qui a traité le problème sans en percevoir la gravité. L’avocate de la famille Paty le résume en un souci de « pas de vagues. »

« Le référent laïcité a été clair : Mr Paty est fondé à utiliser les caricatures qui sont un matériel comme un autre. Mais selon lui, c’est une erreur d’avoir fait sortir des élèves. Même avec une bonne intention, cela constitue une entorse au principe de laïcité. »(…)

« Il (le référent laïcité) ne s’attarde pas sur la campagne de dénigrement contre Samuel Paty que mène Brahim Chnina auprès des musulmans. »

 

📌Ce qui est magistralement démontré, est le rôle des réseaux sociaux, propagateurs de rumeurs mensongères.  Ils se nourrissent de la facilité, de la paresse intellectuelle, de violence et de l’absence totale de sens critique. Exactement ce que combattait Samuel Paty….

Le plus sidérant, et le plus absurde aussi dans cette tragédie, c’est que l’assassin n’avait pas de cible. C’est les réseaux sociaux qui lui ont désigné sa proie.

 

Une BD à lire pour ne pas oublier, pour ne pas recommencer.

Mais ça, c’est un autre débat car on a vu que certains ont  la mémoire courte, et qu’ils sont prêts à croire tout ce qui est facile et exagéré.

vendredi 10 mai 2024

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Waouh ! Quelle puissance évocatrice en ce court roman de 52 pages !

Toute une époque, une façon de vivre à la campagne,  saisies dans leur quintessence et exprimées dans une plume sensible et précise. Comme une photo jaunie qui incarnerait à elle seule le passé avec la perception de l’ambiance  et de la vie des personnes.

Une plume aussi évocatrice que les dessins de Marion Fayolle. Car elle est plutôt connue pour ses BD. Notamment pour « les amours suspendues » où elle a reçu le prix spécial du jury du festival d’Angoulême en 2018.

L’autrice revient sur ses souvenirs d’enfant en Ardèche, avec beaucoup de lucidité et de poésie. Un village comme des milliers d’autres….

Cela ne correspond pas surtout pas à une vie idyllique. Elle est dure, ingrate, mais elle est simple et chacun l’accepte car il en a toujours été ainsi. Non pas de la résignation, plutôt de la sagesse.

La vie dont fait partie la mort : « Mais tant qu’il reste la mémé, ça les rassure, c’est qu’ils ont du temps, encore, devant eux. » On l’apprivoise avec les animaux, avec les anciens qui partagent le même toit.

Chaque génération à sa place, chacune avec sa part de labeur, chacune utile.

La vie, le travail à la ferme, la vieillesse, la mort, les enfants qui changent et ne veulent plus de cette vie-là : « Quelque chose s’est perdu. Un problème de langue. Des langues qui ne savent plus prononcer certains sons, qui ne fonctionnent plus pareil. Les langues des vieux ne parlent que le patois et n’ont embrassé qu’une seule bouche. Ils ont tous fêté leurs noces d’or, cinquante années de mariage, la grande messe, les discours, le repas avec la famille et les jeunes qui ne comprennent pas comment c’est possible  parce que leur langue à eux, (..) lèche de nouvelles lèvres chaque samedi soir, a envie d’explorer le monde. »

J’ai vu les personnages évoluer devant mes yeux, comme dans une BD ou un film : « le pépé, la mémé, l’oncle, la gamine… ». Avec ces noms génériques, ils prennent encore plus de force et incarnent  à eux seuls, une époque.

Force de l’évocation et charme de la nostalgie. Bluffant pour un premier roman !

Lu dans le cadre du prix Orange 2024.

Merci à lecteurs.com et aux éditions Gallimard pour cette belle découverte.

lundi 6 mai 2024

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1971 – Un hippie rapproche la Chine et les USA ou comment une petite balle rapproche deux nations en froid sidéral….

1971 – Nagoya – Japon -  Championnat du monde de tennis de table. Les chinois seront présents, après plusieurs années d’absence, et rencontreront les américains. « Il nous fait remonter à 1949 pour comprendre. Cette année-là, les communistes chinois remportent la guerre civile face aux nationalistes soutenus par les USA. Les nationalistes s’exilent à Taïwan, et les communistes fondent la république Populaire de Chine, avec Mao à sa tête. Les relations diplomatiques avec les USA sont alors rompues. »

Cette histoire est inspirée de la réalité historique : les championnats du monde de ping-pong ont permis le rapprochement des deux nations, grâce à l’amitié entre Glenn Cowan et Zhuang Zedong.

D’ailleurs, « La diplomatie du ping-pong est devenue une expression qui se réfère à des rencontres sportives entre nations en conflit, cherchant ainsi à se rapprocher de manières informelles.

Cela a été le  cas de l’Iran et des USA en 1998 à l’occasion de la Coupe du Monde de foot. Celui de l’Inde et du Pakistan, lors de matchs de cricket en 2005. Et entre les deux Corées, en 2018, lors des JO d’hiver à Séoul.

Le symbole est puissant : une amitié fortuite et spontanée entre deux hommes, qui rapprochent deux états. D’autant plus qu’il est raconté avec beaucoup d’exactitude, exceptée une petite modification

Une amitié sincère et solide entre deux hommes que tout oppose : les personnalités et le vécu. Glenn est un enfant gâté américain. Une « petite tête » charmante mais vide. Dénuée de réflexions, d’empathie et du minimum de respect pour son environnement.

 Zhuang est beaucoup plus mature, « vieilli » prématurément par ses démêlés avec le régime. Son histoire en flash back fait froid dans le dos. Un mm en dehors de la bienpensance chinoise et on se retrouve vite en prison et en « camps de rééducation ». Tous doivent se plier à l’orthodoxie chinoise : « l’individu n’est rien, le peuple est tout »Un personnage tolérant, sincère, très attachant.

J’ai beaucoup aimé aussi la documentation à la fin,  d’Alcante sur cet épisode. « La diplomatie du ping-pong aura donc été bien plus qu’une simple série d’échanges sportifs. Elle a servi de catalyseur à des négociations politiques secrètes, remodelant l’équilibre des pouvoirs dans la guerre froide et permettant in fine l’entrée de la Chine à l’ONU en octobre 1971. »

Mention spéciale pour le graphisme d’Alain Mounier. Travaillé, précis, avec des visages très expressifs et de jolis paysages chinois. Comme des petites aquarelles. Je pense notamment à celle de la page 71.

En conclusion, je citerais simplement la phrase qui figure sur le cadeau de Zhuang à Glenn : « Tout le monde peut apprendre de tout le monde »

Merci à Netgalley et aux éditions Delcourt pour cette belle découverte.

 

 

 

 

samedi 4 mai 2024

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La réalité historique parfaitement retracée dans un scénario romancé et dans un graphisme simple mais très évocateur.  Celle de l’existence  d’usines-pensionnats ou usines-couvents durant la seconde moitié du 19ème siècle et le début du 20ème siècle.

L’histoire :  1910 - Une usine-couvent dans la Drôme provençale. Il y a besoin de personnel malléable et corvéable à merci dans la filature de soie de la Famille Bouscaret, car la concurrence étrangère devient féroce.

Qu’à cela ne tienne ! Les jeunes orphelines, quelquefois de moins de 13 ans,  et les filles abandonnées feront ce travail en échange de « l’éducation » dispensée par Sœur Agnès. C’est plutôt une garde chiourme au service de l’industriel et elle dirige les filles d’une main de fer.  Tout son petit monde marche droit jusqu’au moment où une jeune ouvrière est touchée par la pneumonie.

La révolte commence à gronder pour certaines d’entre elles…

J’ai bien aimé cette immersion dans la filature de soie, dans la magnanerie ( là où on élève les vers à soie) et dans  la cadre concentrationnaire des ouvrières.

Les personnages sont bien campés et particulièrement crédibles, les ouvrières sont attachantes. Notamment Henriette, une jolie fille, qui dissimule une partie de son visage sous une grande mèche de cheveux bruns. Elle a été défigurée par l’acide. Elle rêve de créer ses propres modèles. Rose a 13 ans. Sa mère a été violée et tuée devant ses yeux. Et Apolline, plus âgée, a fui un mariage forcé.

Sans oublier Hippolyte, le fils rejeté de la famille Bouscaret, qui revient dans la région, après avoir connu  le bagne…

C’est un scénario bien maîtrisé, avec une belle progression dramatique, pleine de rebondissements.

J’ai bien aimé la force de l’amitié qui va souder des filles volontaires et généreuses, celle de l’amour entre Henriette et Hippolyte où le milieu social n’a pas d’importance. Vouloir diriger sa vie comme on l’entend, sans aucune pression extérieure. 

Une lecture agréable et intéressante.

Merci à Netgalley et aux éditions «Boîte à bulles »

 

 

 

vendredi 3 mai 2024

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Décidemment, la rentrée littéraire 2024 est favorable au thème de la violence conjugale. En même temps que le beau roman de Marie Vareille (« La dernière allumette »), Tiffany Tavernier choisit le même sujet et le traite également de façon passionnante.

L’histoire : Alice est sous l’emprise de son mari. Quelle que soit la façon dont il la traite, elle lui trouve des excuses, et même des raisons, et demeure persuadée que leur amour, pardon, leur Amour, est plus fort que les craintes, les avis de ses proches et même de sa médecin. Une Foi invincible en leur amour réciproque.  Un déni amoureux parfaitement bien analysé, comme le montrent les monologues d’Alice, quelquefois lucides, plus souvent erratiques  : « Nous nous aimons si fort, pourquoi cet acharnement à démolir notre union, n’y a-t-il pas assez de désespoir dans le monde ? »

La situation va évoluer quand son fainéant et alcoolo de mari ordonne à Alice de chercher un travail. Il s’est fait licencier par son entreprise.

Par hasard, (est-ce vraiment le hasard ?),  elle trouve enfin un poste  au diocèse de Paris. Elle doit préparer les dossiers favorables à la canonisation  des saints, « des serviteurs de Dieu » ou  « des bienheureux ». Sauf qu’elle ne comprend rien à ce qui lui est demandé….

Sa névrose s’amplifie en même temps que la pression de son mari qui comprend qu’en allant à l’extérieur, elle lui échappe. Malgré les sollicitations bienveillantes de ses collègues, elle dégringole… Pas facile non plus, d’aider quelqu’un qui se noie et qui persiste dans son geste.

Jusqu’au moment, où des éléments extérieurs vont la solliciter :« Partout dans le monde, des centaines d’enfants se sont brusquement endormis à 16 heures, heure française, dans des rues, dans des écoles, dans des hôpitaux. »

Retours sur la petite enfance d’Alice au Guatemala. Une enfance sauvage et épanouie. Mais ses parents la jugent trop proche d’une nounou chamane et choisissent de repartir en France. Elle se referme  alors sur elle-même et sa timidité extrême fait fuit les autres. « Sauvage… A son retour du Guatemala, la maîtresse de son école primaire lui avait collé cette étiquette et, très vite, tous les élèves de son école. » Une enfant solitaire, timide, déracinée.

Ce que j’ai aimé dans ce roman, c’est les deux expertises de la vision conjugale. Celle de la victime au fond du trou, et celle du recul de l’extérieur.

J’ai aimé aussi le contraste entre les deux milieux : celui de l’obscurité où l’une se laisse enfoncer la tête, et celui de la lumière avec les collègues d’Alice, rayonnants  de bonté et d’attentions.

Cela aurait pu être caricatural, ce n’est pas le cas. Et j’ai adoré la fin où Alice, après avoir jugulé sa peur, trouve enfin sa voix.

Un beau roman bien maîtrisé, juste et sensible.

Lu dans le cadre du Prix Orange 2024. Je remercie Lecteurs.com et les éditions Wespieser de m’avoir permis cette belle découverte.

En présentation photo : l’image de ND de Paris après l’incendie.

mercredi 1 mai 2024

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Coup de cœur et admiration pour l’illustration en BD du beau roman autobiographique de Gaël Faye, Prix Goncourt des Lycéens en 2016.

Franchement j’étais sceptique. Réussir encore à séduire les lecteurs qui ont lu le roman  était une vraie gageure…. 

 

L’histoire : Gaby et Ana sont deux enfants franco-rwandais, exilés au Burundi. Ils  font partie de familles aisées, à l’abri au fond de leur impasse, comme leurs voisins, bien loin de la misère ambiante. Un microcosme de bonheur et d’insouciance.

Leur mère rwandaise, Yvonne, supporte de moins en moins cet aveuglement, et encore moins celui de son mari, qui est français : « Moi je connais l’envers du décor, ici. Quand tu vois la douceur des collines, je sais la misère de ceux qui la peuplent »

Si leurs parents se déchirent,  ils observent  sans bien comprendre, sans juger.  Ils prennent la situation comme elle est.  Les jeux, l’innocence de l’enfance…

Le coup d’état au Burundi met un terme à leur insouciance : les coups de feu sont proches, il faut dormir dans le couloir pour éviter les balles perdues.

Chez leur voisin rwandais, les Tutsis se font massacrer par les Hutus. Leur mère Yvonne, sans nouvelle de sa famille, décide de les chercher au Rwanda.

Les enfants comprennent que leurs cousins rwandais sont en danger. Que leur est-il arrivé, sont-ils toujours vivants ?

Ce que j’ai beaucoup aimé, c’est la situation vue par les yeux d’un enfant. La perception de la haine et l’incompréhension…

Ce qui est particulièrement bien rendu également, est le contraste très marqué entre la première partie consacrée aux jeux, aux amitiés des enfants, et la seconde terrifiante, avec les coups, la peur, les morts. Hommes, femmes, enfants, sans discernement.

Le retour du Rwanda de leur mère, Yvonne, est lui, sidérant et incarne toute l’horreur du génocide.

Rappel historique : un million de victimes en 3 mois…

Parenthèse : la carte qui montre précisément les deux pays ( Rwanda et Burundi ), permet de mieux comprendre le titre : deux pays, bien petits face à leurs voisins congolais, tanzaniens, ougandais et soudanais.

Un scénario absolument maîtrisé, un dessin très expressif, fluide, en parfaite harmonie avec le texte, admirablement colorisé.

Je connaissais bien le roman de Gaël Faye mais je sais déjà que je vais relire cette BD car je suis sans doute passée à côté de beaucoup d’éléments.

Une BD qui sublime le texte originel !