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Choisir de suivre le chemin de deux exilés du génocide arménien plutôt que de revenir sur les massacres, cela peut paraître surprenant en un premier temps… Puis très vite, le lecteur comprend que leur parcours de fuites et de rencontres illustre au contraire la somme du génocide.
📕1909 – Adana, sud-est de l’Empire Ottoman - Maritsa, une jeune femme médecin est hébergée dans un monastère, pour une mission humanitaire. Le Père Burak en assure l’office. Tous les deux, comme l’ensemble de la population, sont arméniens.
Déjà, en 1895, les parents et les sœurs du Père Burak ont été brulés vifs dans l’église par les kurdes. Burak avait 15 ans…
Impuissants, ils vont assister, subir les massacres d’Adana et réussir à fuir avec quelques enfants.
La peur, le traumatisme, la faim…. Maritsa, la narratrice, restera toujours marquée par les cris d’un garçon : « Hanoum, du pain ! Hanoum, j’ai faim ! »
Les massacres d’Adana représentaient, avant ceux de 1915, le même objectif turc : « éliminer un peuple présent sur ces terres depuis des siècles pour constituer les bases d’un État-nation essentiellement turc et musulman. »
Fuir toujours plus à l’est, vers Alep, vers Samarcande.
📕Un chemin fait de désolation, de périls, de morts, mais aussi d’espoir, porté par les personnalités du père Burak et de Maritsa.
Choisir d’aider, choisir l’humanité, la tolérance après avoir vécu le pire : la barbarie et l’injustice… Choisir surtout de ne pas oublier ce qui s’est passé, même quand cela demeure à vif, choisir de ne pas oublier l’Arménie et son peuple. Choisir aussi d’aimer.
📕Un roman sur l’indicible, sur la souffrance mais aussi sur l’espérance et la tolérance religieuse, la dénonciation du despotisme religieux et politique. Le refus de la barbarie, quelle que soit la religion
Comme le montrent de nombreux passages, qui rappellent l’universalisme des religions monothéistes : « Le cheikh rappelle qu’il est fondamental en Islam de respecter le frère humain, car s’il n’est pas ton frère en religion, il est ton frère en humanité. »
Un retour sur les grands penseurs arabes comme El-Ghazali, comme l’Imam Boukhari, comme le grand médecin et philosophe Avicenne qui présentent une vision apaisée et tolérante de l’Islam.
Je connais un petit peu la culture arabe, donc, j’ai infiniment apprécié ces passages, mais quelques notes en bas de page auraient permis une meilleure compréhension pour l’ensemble des lecteurs.
De même qu’une carte pour suivre le périple de nos exilés.
📕J’ai retrouvé avec grand plaisir la belle plume de Belaskri.
Certains passages de vers libres sont bouleversants. Peut-être est-ce eux qui représentent le mieux la barbarie et la souffrance….
📕 Un magnifique roman qui
comporte plusieurs niveaux de lecture :
- La souffrance des Arméniens, leur amour pour leur pays retransmis aux générations suivantes.
- Le contexte géopolitique et religieux du début du XXème siècle.
Certaines réflexions sont perceptibles immédiatement, d’autres le sont à postériori et incitent au questionnement et même à la relecture de certains passages.
Un roman à la fois puissant, dur et plein d’espoir en même temps.
📕« Nous sommes les enfants sans voix. Nous avons les mots et ne savons pas les traduire. Notre identité est confuse, incertaine. La terre à laquelle nous nous référons est lointaine, elle est tel un songe. Nous n’avons pas de nationalité ou alors nous les avons toutes. Nous avons une langue mais parlons toutes les autres. C’est notre destin, forgé dans le sang et l’amertume. Nos grands-parents ont été massacrés, nos parents poussés à l’exil et nous, leurs descendants, sommes les héritiers de ce désastre. »
Extraits
📕« La nuit éteint la rumeur, se répand comme une encre, enveloppent la cité. Des ombres se faufilent, les chiens aboient à la lune. Une inquiétude sourde règne dans les quartiers arméniens de la ville. Les rues désertées semblent ourdir quelque menace. »
📕« A peine quelques jours que je suis là et ce soir, la douceur du printemps s’est évanouie. Tel un orage meurtrier dans un ciel sans nuage, tout s’embrase. »
📕« Il est passé m’a-t-on dit
L’homme au visage hâve les yeux fiévreux
Je n’ai pas vu la route
Je ramassais mes larmes
Et les cailloux
J’ai entendu les râles et les sanglots
Des poitrines oppressées
Il reviendra me conduire
En Arménie. »
📕« Les arméniens qui furent les premiers à adopter le christianisme, ont été persécutés par tous les conquérant venus de l’est comme de l’ouest. »
📕« L’Émir Abd-el-Kader, grand esprit musulman qui énonçait que tout être est mon être. Il ajoutait que juif, chrétien, mazdéen, ou musulmans, nous sommes tous les mêmes devant Dieu. (…) Nous ne devons pas passer notre temps à nous écharper autour de questions religieuses. Dieu est notre seigneur à tous. Notre vie sur terre nous appartient. Dieu a dit que chaque âme est responsable de ses propres actes : aucune âme ne portera le fardeau d’une autre. »
📕« Le cheikh rappelle qu’il est fondamental en Islam de respecter le frère humain, car s’il n’est pas ton frère en religion, il est ton frère en humanité. »
📕« Votre exil est l’expression de cette douleur. (…) Mais il ne faut pas se résigner, il nous fait rêver, toucher le ciel, danser avec les étoiles, humer la rose, entendre bourdonner l’abeille. Il y va de notre présence à tous. Vous et nous sommes embarqués dans un combat long, difficile et douloureux contre l’asservissement des êtres, la négation de leurs aspirations. »
📕« Un jour, le prophète Mohammed remarqua un bédouin qui avait laissé son chameau sans l’attacher. Il demande au bédouin :
_ Pourquoi n’attaches-tu pas ton chameau ?
_ J’ai placé ma confiance en Allah, répond le bédouin
_Attache ton chameau et place ta confiance en Allah, affirme le prophète.
Comment voulez-vous que Dieu nous aide si nous ne nous révoltons pas ? »
📕Samarcande
« Conquise par Alexandre le Grand, détruite par Gengis Khan, reconstruite par Amir Timur, elle est passée de main de main, devenant un carrefour culturel et un foyer pour toutes les religions, le zoroastrisme, l’hindouisme, le judaïsme, l’Église chrétienne d’Orient, l’Islam. Samarcande, magie d’un nom, promesse d’un monde de beauté et de culture. »
📕Le père Burak
« Moi, ce voyage de huit mois à travers tout l’est m’a permis de prendre conscience de la diversité humaine, la fragilité de l’être, les difficultés affrontées par nos semblables partout où j’ai mis les pieds, répond Burak. »
📕« Le despotisme politique est engendré par le despotisme religieux. Ils sont frères jumeaux, soudés par une nécessaire collaboration pour avilir l’homme. L’un gouverne les corps, l’autre les cœurs. »
📕« Je n’ai cessé d’y noter tous les évènements vécus, les tourments qu’a connus mon peuple. Au milieu, une page vide qui contenait ces seuls mots :
Hanoum, du pain ! Hanoum, j’ai faim ! »
📕« Nous sommes les enfants sans voix. Nous avons les mots et ne savons pas les traduire. Notre identité est confuse, incertaine. La terre à laquelle nous nous référons est lointaine, elle est tel un songe. Nos n’avons pas de nationalité ou alors nous les avons toutes. Nous avons une langue mais parlons toutes les autres. C’est notre destin, forgé dans le sang et l’amertume. Nos grands-parents ont été massacrés, nos parents poussés à l’exil et nous, leurs descendants, sommes les héritiers de ce désastre. »
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