mardi 21 janvier 2025

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Les premières pages suscitent immédiatement la curiosité et l’intérêt : quelques traits esquissés dont on ne comprend pas trop la signification, une image fragmentée… Puis, on distingue des yeux scrutateurs, un pinceau, un arbre, un homme qui peint, un bonhomme dans la forêt qui s’exprime.

📌 C’est un tableau, et le lecteur comprend que la suite du récit sera perçue par les yeux et l’âme du tableau d’Otto Mueller de 1919 : « Deux filles nues ». Ainsi, quand le tableau est emballé, tout devient gris puis noir.

Luz : « Je propose ainsi d’expérimenter ce que c’est que d’être à l’intérieur d’une toile, de se trouver aussi impuissant qu’un objet ballotté de main en main ou accroché au mur. Cela donne une image assez fragmentée et mouvante. »

📌 Puis, l’auteur nous embarque immédiatement dans les heures sombres du nazisme, et par extension, de n’importe quel mouvement d’extrême droite vers le pouvoir.

« On peut y lire un parallèle avec mon obsession pour la montée actuelle de l’extrême droite en Europe, et son arrivée à la porte du pouvoir en France… 

C’est un bouquin nourri d’histoire, mais aussi clairement d’actualité ! Même sans le vouloir, il semble que je reste un dessinateur de presse. »

A l'arrivée de Trump à la Maison Blanche, les inquiétudes de l'auteur résonnent sombrement...

 📌 « Deux filles nues » fait partie de la collection de l’avocat juif Littmann, un passionné de peinture.  Après avoir vendu (sauvé) sa collection, permis ainsi à sa famille de fuir l’Allemagne, il se suicide.

Quand les biens des juifs sont spoliés, le tableau est confisqué par la Gestapo. 

Pour le régime nazi, l’art moderne, c’est de « l’art dégénéré ». Donc il faut le montrer aux populations sous ce dénominatif, pour en faire un repoussoir et une honte absolue.

L’exposition : « Art Dégénéré » est organisée par Hitler en 1937.

Il ne suffit pas d’opprimer les populations, d’occuper les territoires, il faut aussi asservir la culture.

« A partir de maintenant, nous mènerons une guerre implacable contre les derniers éléments de la subversion culturelle, une guerre implacable de purification. »

Une vente aux enchères des « Dégénérés » s’organise sous l’égide nazie.  Chagall, Van Gogh, Matisse, Laurencin, Otto Mueller en font partie. Certains ne trouvent aucun acquéreur…

En 1942, pour une bouchée de pain, le collectionneur allemand Josef Haubrich les rachète, dont « Deux filles nues »

« On ne collectionne plus désormais, on sauve »

On retrouvera le tableau jusqu’à son retour au musée Ludwig à Cologne, en 2000.  

 📌 Un graphisme dépouillé qui contribue à la force du récit :

 « J’ai travaillé essentiellement à l’encre gris sépia, avec un peu de sanguine, au lavis et même avec du café quand je n’avais plus d’encre, ce qui adoucit le dessin. J’ai cherché la douceur pour contraster avec le fond de ce que je raconte. Comme le tableau n’est pas propre au mouvement, il fallait que ça danse un peu dans la page, que le regard puisse valser dans les cases. Bizarrement, alors que le récit est très oppressant, je crois que c’est mon livre le plus fluide et aéré. »

 En 1999, l’image des enfants Littmann retrouvant le tableau de leur père, est saisissante de simplicité et d’émotion.

📌 Un parti pris original et très réussi ! 

 

BD lue dans le cadre du Prix Public France TV d’Angoulême 2025.

Merci aux éditions Albin Michel pour cette belle découverte.


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