vendredi 30 août 2024

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📌 1967 – Berlin Est. Hannah et Judith ont 6 ans lors de leurs premières rencontres, et tout de suite, le lien affectif est scellé.

 

Une amitié instinctive et sensuelle: « Elles partagent un seul courage, l’échangent en resserrant leurs doigts au creux des mains qu’elles se tiennent. Hannah et Judith parlent une langue de pouces et de paumes. D’une pression légère, elles disent, je suis là. »

Mais le père de Judith, cadre fervent de la Stasi cherche à exclure Hannah et surtout sa mère célibataire, qu’il trouve trop libre et trop critique.

On suit ces personnages et d’autres, sur une vingtaine d’années.

L’espace de temps nécessaire pour bien montrer de l’intérieur, Berlin Est, la RDA et son régime totalitariste, la vie quotidienne des habitants.

📌 Et de fait, le roman rend bien compte :

- De la misère de la population, même si les mots des politiques les habillent de paillettes et de fausses promesses.

- De la lâcheté des individus face au régime.

Comme la mort de cet enfant turc. « Et puis, un gamin s’était noyé. Cent fois, on aurait pu le sauver, cueillir son petit corps à la surface de l’eau. Personne n’avait eu le courage de violer la frontière. Derrière l’absurdité, la mort qui frappe. »

- De la révolte qui monte petit à petit et gronde.« Tous ces mots qu’on pensait interdits, les voilà répétés jusqu’à l’étourdissement, gagnant toujours un peu plus de terrain, (…) Dans les yeux de ceux qu’il interroge, une rage a remplacé la peur, une nouvelle ardeur. Les voilà qui répondent, menteurs éhontés au lieu de se pisser dessus. »

📌 Un bel hommage à l’amitié : même dans des conditions extrêmes, les liens forts et profonds perdurent. Même si je ne me suis pas attachée aux personnages, peut-être car l’analyse psychologique manque de profondeur.

Cela n’empêche, c’est un bon roman ne serait-ce que par la qualité de l’écriture. Richesse du vocabulaire, fluidité des phrases.

Merci aux éditions Gallimard pour ce bon moment de lecture !

 

 

jeudi 29 août 2024

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« Vous me connaissez. Un petit effort, souvenez-vous. Le vieux qui joue sur es pianos publics, dans tous les lieux de passage. »

 Pourquoi un vieil homme, Joe, talentueux pianiste, s’astreint-il à jouer dans tous les lieux de passage, parmi des voyageurs pressés et indifférents ? Il joue dans les gares, les aéroports, là où il est possible de retrouver quelqu’un ou peut-être une personne en particulier…

 🎵Il revient sur son histoire en insistant sur son enfance.

1969 – Il est déjà adolescent quand il perd ses parents et sa petite sœur dans un accident d’avion. Désormais, il est « orphelin comme on était lépreux, phtisique, pestiféré. Incurable. » Balloté entre centres et familles d’accueil, il finit par échouer à l’orphelinat, Les Confins.

Un bagne plutôt. Dirigé par l’abbé Sénac, tordu et vicieux, sous des allures aimables et surveillé par Grenouille, cruel et sadique.

Mais comme dans tous les milieux, même les plus durs, Il retrouve aussi l’émotion et l’espoir en donnant des cours de piano à Rose, une jeune fille aisée de la région, qui habite temporairement près de l’orphelinat. il retrouve la lumière avec l’amitié de Sinatra, Edison, La Fouine, Souzix et Momo dans La Vigie, leur organisation secrète et nocturne.

 Jusqu’au moment où…

🎵 Le scénario est tendu, l’émotion palpable, et les pages se tournent toutes seules. Mention spéciale pour la scène dans le tunnel qui m’a bluffée. Mention spéciale aussi pour l’amitié indéfectible entre Joe et Momo. Un gamin que Joe protège et que j’ai trouvé particulièrement crédible et émouvant.

De plus l’écriture est juste, simple, rapide, très évocatrice. Les images défilaient sous mes yeux, en même temps, que les lignes.

🎵 Les thèmes présentés suscitent la réflexion :

- La puissance de la musique. Entre jouer d’un instrument et faire jaillir l’émotion, il y a un fossé. Enfant, Joe va le comprendre avec son maître pianiste, Monsieur Rothenberg.

« Pour tout le monde, je jouais bien. (…) Mais tout le monde n’avait pas entendu le vieux Rothenberg. Quand lui touchait le piano, il racontait la douceur du Rhin un soir de printemps, les nuits de Vienne et celles du Heiligenstadt, bleu feu d’artifice, noir désespoir, le silence qui gagne, tout ce que Ludwig (Beethoven) lui avait confié. Je ne racontais que ma médiocrité à ceux qui voulaient l’entendre.»

- L’absence de manichéisme : les enfants sont maltraités mais sont cruels également entre eux. Et plus les adultes sont sadiques et injustes à leur égard, plus ils reproduisent ce fonctionnement.

« Un nouveau arriva, un gosse de cinq ans ébouriffé qui regardait autour de lui avec un étonnement perpétuel. Le lendemain, il était cape de pisse, grelottant dans la cour, plus étonné encore. Et que firent mes amis en le voyant passer, jaune et transi, devant la fenêtre ? Ils se moquèrent de lui, bien sûr, Souzix plus fort que les autres. Je vous ai dit que ce n’étaient pas des saints. »

- La force d’un véritable amour. L’attente de l’autre en sachant que cette union des âmes durant l’enfance, est définitive et scellée.

Espoir et nostalgie.

« C’est à cette époque que je commençai à jouer sur tous les pianos possibles, par toutes les portes, toutes les fenêtres ouvertes où elle pourrait m’entendre. »

🎵 J’ai adoré ce roman, l’écriture douce mais percutante, l’histoire bouleversante.

J’avais infiniment aimé « Veiller sur elle » mais je préfère encore « Des diables et des saints. »

 

 

samedi 24 août 2024

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Hiver 1944 - Les Ardennes – l’armée américaine vers Berlin et la défense acharnée des Allemands

 Un parachutage … Plutôt habituel pour les G.I. Sauf que… C’est un piano qui atterrit sur le sol.

📌Un récit à partir de la réalité :  à la fin de la seconde guerre mondiale, les avions B17 larguaient des pianos vers les troupes. 2436 pianos de guerre (« les G.I. pianos ») ont été envoyés vers les soldats au sol.

Les conditions sont dures dans les Ardennes : froid, brouillard, attente, trop lente progression, angoisse de la mort. Avec le rassemblement des hommes autour du piano, c’est un moment entre parenthèses, où la musique permet d’oublier le reste. Moment essentiel où la vie et l’espoir renaissent. 

 Pour le plus grand bonheur de tous, car John joue, (c’est un amoureux du piano), le sergent Brown chante (il a une belle voix de ténor) et le jeune Andrew, déjà séduit, devient indispensable en tournant les pages des partitions.

« Une guerre, ça ne se résume pas aux grands événements. C’est toujours plus long que ce qu’on s’imagine. Et quand ça dure… C’est toujours au moral que la victoire se joue. »

Quand les nazis menacent le camp, il faut évacuer et n’emmener que l’essentiel. Le piano n’en fait pas partie…Après bien des difficultés, notre trio musicien obtient deux jours pour rejoindre les troupes en emmenant le piano.

Un drôle d’interlude…

De drôles de rencontres avec ce groupe de femmes réfugiées dans la forêt. Avec beaucoup de pudeur, elles racontent les viols qu’elles ont subis. Et cela concerne tous les camps…

📌 C’est bien fait, c’est intéressant mais j’ai trouvé, et cela n’engage que moi, que cela manquait d’âme. Davantage dans le scénario que le graphisme. Car le dessin très varié illustre parfaitement le rêve, l’évasion avec la musique quand la mort menace. Une bulle fragile de bonheur.

« Quand je t’écris ( maman), je ne t’épargne rien. Comme tu me l’as demandé. D’ailleurs, tu avais raison. Une fois les mots posés sur le papier, je me sens plus léger. Exactement, comme quand on se rassemble autour du piano avec tous les copains et qu’on chante à tue-tête. Enfin, pas exactement. A ce moment-là, on se sent carrément… Heureux ! »

 

📌 C’est le thème de l’art, en l’occurrence de la musique, qui est parfaitement illustré dans cette BD. C’est justement quand les conditions sont extrêmes qu’il devient indispensable et même vital… 

 📌D’ailleurs, les pages de documentaire à la fin du récit sont passionnantes, tant pour le texte que les photos d’archives.

Il s’agit de pianos Steinway complètement conçus et fabriqués pour l’armée, des G.I. pianos : « Ces Victory Verticales » étaient parachutées aux troupes en attente et destinées à leur remonter le moral. »

📌  Un épisode de la guerre, inconnu du grand public, que ce récit met bien en scène et rappelle à la mémoire.

Merci à NetGalley et aux éditions Dargaud pour cette découverte intéressante.

Parution le 23 aout 2024

 

 

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Un huis-clos glaçant en pleine montagne.

 Et un personnage central, la Grande : un sommet jamais atteint, toujours vierge de la présence des hommes, protégé par une paroi à la verticale.

📌 Dans la vallée des Glaces, la « Cordée » se met en route pour réparer une ligne électrique au Reculoir, dernier refuge avant la Grande.

« La Cordée, c'est deux chiens, une femme et trois hommes : Zéphyr, Moïra, Ysé, Vik, Gaspard et Solal ; six silhouettes qui tentent de se frayer un passage dans les endroits les plus escarpés de la vallée, qu'il neige, qu'il vente ou qu'il glace. C'est un vaisseau précaire, une avant-garde d'humanité en ces territoires lunaires à laquelle les habitants font appel pour effectuer les besognes quotidiennes - qui se transforment vite, à cette altitude, en de périlleuses aventures. »

Les conditions sont dures : tempête, vent et neige. Tous craignent que Gaspard poursuive la montée jusqu’au bout. Et peut-être même au-delà, vers la Grande qui l’aimante et l’attire irrésistiblement.

Dans cette ascension impossible, Gaspard embarque Solal. Un jeune homme épris des plaisirs de la vie, en contraste avec les aspirations métaphysiques de Gaspard. Et pourtant, ils se comprennent intuitivement.

📌Si on aime les réflexions sur le sens de la vie, de la mort, la recherche de l’absolu, la nature sauvage, on apprécie infiniment ce roman percutant. Sinon….

Heureusement je fais partie de la première catégorie.

J’ai aimé cette belle image entre homme et montagne : se vaincre soi-même pour ensuite vaincre la paroi de la Grande.

« Si on le suit, gravir la Grande, ce serait nous gravir nous-même, aller chercher en nous-même, par-delà les illusions, les traumas et les peurs, notre vérité et notre essence. (…) si le sommet de la Grande est la métaphore de notre quête intérieure, alors son sommet représenterait l’accomplissement définitif de cette quête, c'est-à-dire, selon mon interprétation, quelque chose comme « la perfection », la « libération », le « paradis », « l’éternité » ! »

 

Simon Parcot est écrivain et philosophe, amoureux de la montagne. Un beau moment de lecture en sa compagnie.

 

dimanche 18 août 2024

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Un roman tendre, émouvant, souvent drôle, à hauteur d’enfant.

 1967 – Jacob, un enfant juif de 8 ans, raconte son quotidien au Maroc, à Safi, le pays de la sardine et de la poterie. La famille, l’école et surtout son ami musulman, Brahim. Une belle et forte amitié.

Les habitants vivent en harmonie les uns avec les autres, juifs et musulmans, jusqu’à la Guerre des 6 jours, où le Maroc propage une campagne de presse anti israélienne et antisémite. Les juifs ne se sentent plus en sécurité au Maroc et commencent à s’exiler. Que va-t-il advenir de l’amitié des deux garçons ?

C’est un véritable déchirement pour Jacob, dont la famille s’expatrie en France.

📌 Karen Merran s’est inspirée de son histoire personnelle. « Moi, qui ai hérité de ces souvenirs, je suis née à Paris. Je fais partie de la génération suivante, celle qui n’a pas vécu à Safi, celle qui a seulement connu le « Maroc importé de France » dans les plats et les traditions. Je fais partie de cette génération à qui on a répété que les juifs et les musulmans ne s’entendent pas »  

« Quand j’ai commencé à écrire, la grande question qui m’intéressait par-dessus tout, c’était de savoir si les juifs et les musulmans entretenaient de bonnes relations. J’avais envie que la réponse soit simple, alors j’ai décidé de raconter cette histoire à travers les yeux d’un enfant juif de 8 ans, dont le meilleur ami est musulman. Il aime sa vie au Maroc et ne comprend pas comment un conflit en Israël, à des milliers de kilomètres de chez lui, peut engendrer des tensions entre ces deux communautés. »

📌C’est une vraie gageure de faire parler naturellement un enfant. Pourtant, c’est parfaitement réussi ! C’est la naïveté, le regard, mais aussi les émotions brutes de Jacob qui touchent et souvent, nous font comprendre l’essentiel.

L’universalisme de l’enfance. La différence entre les populations est acceptée spontanément par les enfants. Cela fait partie du quotidien et au contraire, c’est rigolo de profiter des plats et traditions qu’on ne connait pas à la maison, et cela rassemble aussi les parents.  

C’est facile et naturel sauf quand les éléments extérieurs, les médias commencent à diviser les populations.

La force de la peur, qui provoque les agressions, les rejets, et pousse des populations à s’enfuir.

Les différences de mentalités : la convivialité juive et musulmane et la froideur française. La dureté et le mépris des enseignants envers les élèves différents du moule. Les remarques de l’instituteur français sont cinglantes envers Jacob.

Les parents des camarades français de Jacob font bien comprendre à sa mère qu’elle n’est pas la bienvenue chez eux.

Le monde de l’enfance et ses questions auxquelles les adultes ne savent pas répondre simplement, qu’ils choisissent souvent d’ignorer.

Pourtant, les enfants sont des éponges affectives et perçoivent parfaitement les crises familiales. Ils se posent des questions, pas toujours les bonnes, ce qui provoque peurs et souffrances.

Le regard de Jacob est fin, souvent drôle et très juste. A propos de sa mère, par exemple :

« Et dès qu’elle me voit, c’est plus fort qu’elle, elle a envie de m’embrasser. »

Toujours à propos de l’école : « S’il n’y avait pas les professeurs, les leçons de maths, de lecture, de conjugaison et les dictées, et si ce n’était pas tous les jours de la semaine, l’école, ce serait génial. »

📌 Ce récit est aussi un rêve pour l’autrice : celle de voir les populations réunies malgré tous les événements aux alentours. Et avec l’amitié entre les deux garçons, elle nous invite dans ce rêve.

Une vraie réussite !💙