dimanche 28 juillet 2024

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 Lecture addictive, roman inclassable.  

L’histoire de sept sauvageonnes dans la forêt finlandaise.

📌 Un véritable clan, et même une meute. Sauvages, rebelles, ivrognes, grossières, sales…  Elles se battent facilement, d’abord entre elles et ensuite contre quiconque ne leur revient pas. Livrées à elles-mêmes dès leur naissance.

Sept personnalités bien marquées. A première vue, cela peut paraître caricatural mais chacune s’inscrit dans une logique et un historique bien précis.

Johanna, l’ainée a 20 ans, Tania et Aune sont jumelles ainsi que Tiina et Laura, viennent ensuite Simone, puis Elga, la plus jeune, toujours en opposition avec Johanna.

Heikki, le père est d’abord et avant tout un chasseur. Sa cible favorite : l’ours.

Il ne revient à la cabane que pour manger, dormir, faire un enfant à sa femme et surtout se faire aduler par ses filles. Elles font cercle autour de lui quand il rentre, et il leur assène des sentences à l’emporte-pièces contre le « système », et contre les hommes ( les mâles).

Un modèle d’égoïsme, de brutalité et de primarité, un comportement que l’ainée, Johanna reproduira avec ses sœurs.

Louhi, la mère, a toute la charge de la famille, de la maison et de la ferme. Elle est exclue du cercle père-filles et se sent détestée et méprisée par ses filles.

Quand ils meurent dans des conditions dramatiques, c’est Johanna, la Cheffe qui entraîne et dirige les autres en pleine forêt. Forte de son âge, de sa stature imposante, et surtout de sa proximité avec le père, chasseur d’ours et mort en chassant…

Elle fait régner la terreur parmi les quatre sœurs plus jeunes et plus faibles :  Aune qui « vit dans sa tête et passe son temps à se raconter des histoires » ; Laura qui « zigzague en solitaire sur les sentiers, à sa façon myope et somnambule. (…) Elle a un rapport spécial avec les sapins, à croire que ses véritables parents, ce sont eux. » ; et Elga, la plus jeune, toujours en opposition avec Johanna et qui ne se gêne pas pour lui faire savoir « avec son arrogance prépubertaire insupportable. Et ainsi, entre l’ainée et la petite dernière, c’est hostilité et tumulte en permanence. » Elga, c’est aussi la seule qui a voulu avec détermination apprendre à lire et à écrire.

« Ah ! J’allais oublier Simone. Elle est la seule à prendre Dieu le Père et la Bible au pied de la lettre. La seule, qui du vivant de leur mère, se confiait à elle, en cachette

📌 Les thèmes présentés le sont avec beaucoup de force et de justesse :

📍La toxicité du père sur les filles et sur la mère.

Sur les filles. Leur père est un Dieu, encore plus puissant et pesant puisque mort. Ses affirmations péremptoires et primaires, sa façon de vivre pèseront sur l’avenir des filles.

Sur Louhi, la mère.

Les lettres posthumes de la mère sont bouleversantes car elles éclairent la situation d’une réalité bien différente de celle perçue par les filles y compris les plus modérées, comme Aune, Laura et Elga.

Elles précisent aussi la réalité de la situation et sa souffrance : brutalisée par un mari primate et injustement rejetée par ses filles.

« Heikki était rarement là, et c’était un enfer de venir à bout de toute la besogne qu’il fallait abattre chaque jour, entre les gamines, les bêtes et le champ. Et impossible d’obtenir que les filles me donnent un coup de main. C’était comme si Heikki et elles avaient leur propre vie, qui était plus importante que la mienne. L’alcool. Les moteurs. La lutte. (…) C’était comme si une clôture électrifiée nous séparait, elles et moi. Nous faisions des détours pour éviter les décharges. Mes propres filles me voyaient comme un être inférieur. »

📍Une réflexion passionnante sur le féminisme.

Sur le résumé de l’éditeur, il est précisé qu’il s’agit d’un conte féministe venimeux ». Je suis plutôt d’accord.

Les filles – sauf une – vont rejeter les hommes durant toute leur vie.

Féminisme fondé sur l’ignorance de l’autre, la peur, le rejet. De fait, il empêche la femme de faire librement son choix.

Un féminisme "venimeux" car nuisible pour les unes comme pour les autres. Les hommes, c’est mauvais pour les filles, disait le père, tous les hommes, en termes beaucoup plus crus. Une brute qui redoutait que ses filles tombent enceintes et leur a dressé du « mâle » sa propre réalité : l’homme ne recherche que son plaisir et le prend de gré ou de force. Et en fait, Johanna va reproduire et transmettre le schéma de domination masculine.

Le féminisme pour moi, ce n’est pas le rejet de l’homme mais l’autonomie de chacun avec le respect de l’autre.

Un roman brut, percutant, dont les personnages restent bien longtemps dans la tête. Une vraie réussite !

Merci pour cette formidable découverte à :

Le divan de bibi

Les éditions de l’Observatoire

 

jeudi 25 juillet 2024

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Un choc, un gros coup de cœur et pourtant….

Je l’ai commencé puis abandonné : trop de noirceur, trop de visions d’horreur…

De plus, le graphisme en noir et blanc, ce n’est vraiment pas ma tasse de thé.

  

Puis, je l’ai repris pour ne plus le lâcher.

Waouh ! Quelle intensité dramatique, intensifiée par les tons noirs, gris, sépia !

La perception de cendre est permanente et plombe le ciel comme elle plombe le lecteur.

 

📌L’histoire :

Un homme et son fils sur une route. Emmitouflés dans des loques, des chiffons qu’ils remettent fréquemment sur le nez et la bouche pour les protéger de la cendre.

Les images parlent d’elles-mêmes : l’apocalypse, tout est en ruine, les cadavres sont légion, le ciel reste obstinément noir-plomb. Il fait froid, il pleut (« ça va faire une boue bien collante avec la  cendre ») ils ont faim mais ils continuent de marcher en poussant le caddy qui porte leurs maigres provisions.  

Descendre vers le sud, trouver plus de chaleur et peut-être des « gentils ». Pas ceux qui attaquent les gens comme eux et les mangent.

La route de tous les dangers, de toutes les angoisses, de tous les spectacles plus désolants et horrifiants les uns que les autres.

 

📌Les thèmes présents dans le roman sont particulièrement bien démontrés dans la BD. Ils sont intemporels et traités avec beaucoup de puissance, sans mots inutiles. Le dessin somptueux suffit quasiment à lui-même.

L’angoisse, la peur de mourir. Elle fait dire à l’enfant :

« _ Je voudrais être avec maman.

_ Tu veux dire que tu voudrais être mort.

_ Oui. »

L’amour paternel et filial. L’essence même de cet amour sublimé par les conditions extrêmes.

L’enfant questionne : 

« _ Qu’est-ce que tu ferais si je mourais ?

_ Si tu mourais, je voudrais mourir aussi.

_ Pour être avec moi ?

_ Mmh »

La notion du Bien et du Mal, elle tourmente et obsède l’enfant. Tomber sur des gentils ou sur des méchants ?

Même si dans certains cas de figure, la nécessité de survivre oblige un gentil à ne pas aider.

C’est aussi toute la notion de l’adaptation de l’homme. Continuer d’avancer même dans les pires conditions, une lueur d’espoir subsiste.

 

Bluffée par ce roman graphique d’une noirceur absolue dont se dégage l’essence même de l’homme. 

 

 

 

 

lundi 15 juillet 2024

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On a tendance aujourd’hui, à banaliser le SIDA avec la trithérapie.

 Pourtant, tout au long des années 1981 à 1996, il a représenté une angoisse et une tragédie pour de nombreuses familles. En 2014, une étude démontre que le sida a fait plus de 36 millions de victimes à travers le monde.

L’auteur rapproche judicieusement et avec beaucoup de talent, son histoire personnelle, celle de son oncle Désiré, et la recherche à propos du SIDA.

Chaque narration permettant d’éclairer l’autre.

📌 En un premier temps, c’est les toxicos, les homos qui sont concernés. Difficile pour les familles d’admettre que leur enfant est devenu héroïnomane, que les séjours en désintoxication ne serviront à rien. Que petit à petit, l’inéluctable se produira. Dans l’opinion publique, c’est une maladie singulière, pour les « déviants. »

Même dans certains services hospitaliers, ils ne bénéficient pas de la même bienveillance que les autres malades.

Puis les chercheurs comprennent vite que le sida se transmet sexuellement, que des poches de sang contaminés apportent le sida aux receveurs, que des enfants naissent, porteurs du virus de leur mère.

 « Au sein même de services consacrés aux malades qui en étaient atteints, le sida demeurait une maladie tout à fait singulière. Emprisonnée dans la vision morale qu’on avait d’elle, cernée par les notions de bien et de mal, accolée à l’idée du péché. Le péché intime d’avoir voulu vivre une sexualité libre, eu des relations homosexuelles, de s’être injecté de l’héroïne en intraveineuse, d’avoir caché sa séropositivité  à ses partenaires, à ses camarades de seringue, d’avoir voulu satisfaire son désir d’enfant quand on se savait pourtant condamné. Des malades étaient plus coupables que d’autres. »

 Les scientifiques français et américains recherchent un traitement. Une situation souvent difficile entre les deux pays où chacun cherche à tirer la couverture vers lui. Il faudra 15 ans, et beaucoup de faux espoirs pour parvenir enfin à la trithérapie découverte conjointement, mais sous deux formules, en 1996, par les équipes françaises et américaines.

 📌 Conjointement à l’historique médical, l’auteur revient sur la vie de « L’oncle Désiré ». C’est d’abord un tabou, la loi du silence qui s’est installée à son propos…. On comprend vite que cette histoire a provoqué tellement de colères, de dénis, d’angoisses et de souffrances que les survivants préfèrent oublier jusqu’à son prénom.

Désiré, un gosse de commerçants aisés. Les parents ont tout fait pour que Désiré choisisse ses études, les fassent en toute quiétude, choisisse sa vie.

Mais l’héroïne l’a cueilli au passage, ainsi que sa compagne Brigitte, ainsi que leur petite fille, Émilie.

« Désiré et Brigitte ne s’alimentaient même plus. Leurs doigts ne ressentaient plus aucun frisson au toucher de leur peau. L’héroïne leur avait tout volé, l’appétit, le sommeil, les étreintes. Elle les avait renvoyés chacun vers un plaisir intérieur, inaccessible. La vie n’était plus qu’une course vaine, perpétuelle, contre les effets du manque, une course perdue d’avance. »

 📌 Anthony Passeron raconte dans une écriture sobre leur cheminement vers la mort.  Comment toute la famille s’est battue autour d’eux pour les sortir de la drogue, puis du sida. Comment ils se  sont tous réunis autour de la petite Émilie, en utilisant tous les espoirs de guérison. Injustice de la maladie quand elle touche une enfant innocente.

Une histoire bouleversante qui permet de mieux comprendre la tragédie du sida. Une maladie qui touchait tous les milieux sociaux…

« Seule cette maladie est arrivée à ce qu’une mère voit son fils tel qu’il était : un junkie pourrissant  parmi les siens. Un toxicomane promis au même sort que ses compagnons. Peu importaient ici son nom, son prénom, les espoirs que les parents avaient placés en lui, la réputation d’une famille sans histoires.

Le sida ne voulait rien savoir. Il se jouait de tout le monde : des chercheurs, des médecins, des malades et de leurs proches. »

📌 Un roman-docu passionnant. Pour ne pas oublier….

Merci Anthony Passeron.

Lu dans le cadre du Jury Prix des Lecteurs 2024 – Éditions Pocket

 

 

dimanche 7 juillet 2024

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Je suis entrée dans ce livre comme dans une forêt dense, sans savoir si je m’y sentais bien ou pas…Pourtant, je savais déjà que j’allais progresser au fil des pages, comme envoutée par le rythme de l’histoire.

 Une ambiance, une couleur, une écriture particulière, à nulle autre pareille. A la fois dure et poétique : la souffrance de l’enfant, celle de sa mère, le silence des proches, la sécheresse du Haut-Atlas marocain et en même temps, la résilience de la nature et la lumière des abeilles.

🐝Anir habite un petit village du Haut-Atlas marocain, à Inzerki. A 10 ans, c’est un garçon solitaire rejeté par ses camarades de classe car sa mère est dite possédée. Elle a la malédiction…

La vie d’Anir, c’est les abeilles du Rucher du Saint, un rucher collectif, dont il s’occupe avec son grand-père Jeddi. Car Anir a sa ruche et s’en occupe avec dévotion et amour.

Bizarre... Le grand-père fait toujours un détour pour ne pas passer devant le rucher de droite, celui où se trouvent des abeilles noires.

Aïcha, la mère d’Anir, ne se promène que le matin très tôt, là où elle est sûre de ne rencontrer personne. Elle, elle s’arrête souvent devant le rucher aux abeilles noires.

Omar, le père d’Anir est parti travailler à Agadir. Il espère gagner assez d’argent pour soigner sa femme et partir tous habiter à Agadir.

La vie est dure est Inzerki mais elle l’est encore plus à Agadir, et d’une façon bien plus sournoise, bien plus nocive pour les plus faibles.

A propos d’un enfant de l’âge d’Anir, celui qui s’en occupe dit à Omar :

« Je peux m’arranger pour qu’il reste avec toi, certaines nuits. Ou en journée, si tu préfères. On se met d’accord sur le prix, il n’y a pas de problème. Il est docile, fera tout ce que tu voudras. J’ai essayé, tu sais. »

🐝 Dès les premières pages, le poids  d’un secret est obsédant, sans doute celui d’Aïcha dont le seul langage est une mélopée,  toujours la même, toujours chantonnée, do, do, da ; grave, grave, aigu.

🐝J’ai infiniment apprécié le traitement délicat mais précis de la peur, de la force des traditions, de l’exclusion, et du silence qui pèse sur Omar et sur l’enfant à propos d’Aïcha.

Celui aussi celui de la nature nourricière,  mise à mal avec la sécheresse, les tremblements de terre et l’importance du rôle des abeilles.

 

🐝Un roman original, sensible, poétique et envoutant.

Une réussite pour une jeune autrice dont c’est le deuxième roman. Le premier : « La poule et son cumin » faisait partie des finalistes du Goncourt des premiers romans en 2022. J’attends avec impatience le troisième.

 

 

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J’avoue. Je l’ai boudé quelques temps car je  craignais un ouvrage d’expert. Une fois entamé, je ne l’ai plus lâché.

André Demaison m’a embarquée direct  dans le parcours de Maurice et Katia Krafft

 📌L’auteur reprend chronologiquement la vie des 2 volcanologues. Deux passionnés pour qui la vie se résume aux volcans. C’est leur vie, leur enfant et tout est sacrifié aux volcans. Faire avancer la connaissance, la rendre accessible à tous.  

« Katia, moi et les volcans, c’est une histoire d’amour. Notre passion est exclusive, dévorante, loin des hommes. J'aime les volcans parce qu’ils nous dépassent, qu’ils sont indifférents à la vanité des choses humaines. Si nous avons encore le courage de vivre dans notre société moderne, c’est grâce aux volcans, aux joies qu’ils nous apportent par leur beauté, leur sérénité, leurs embrasements, leur violence qui, peut-être un jour, aura raison de notre témérité. »

📌 L’analyse psychologique des deux scientifiques est parfaitement bien analysée : bienveillante et en même temps lucide.

Dès l’âge de 11 ans, en 1957, Maurice est passionné de géologie, de paléontologie et de volcans.

Un homme charismatique, charmant et charmeur, provocateur, quelquefois risque-tout ( comme le canotage sur un lac d’acide, au volcan Kawah sur l’Ile de Java), autoritaire car persuadé de son savoir et totalement dénué d’empathie.

Quelqu’un dont le moteur est essentiellement les volcans, Le reste n’existe pas.

« Maurice adore cultiver la facette sulfureuse de son personnage. Tout est bon pour accentuer son côté provocateur, anticonformiste, agitateur pour qu’il ne passe jamais inaperçu. ».

Le personnage de Katia est beaucoup plus posé, complémentaire au caractère entier de Maurice.

« Katia n’abandonne jamais. Elle lutte avec le sourire. »  (…)

« Katia aime la vie. Elle s’intéresse à tout, avec simplicité et émerveillement. Sur le terrain, elle n’a aucune crainte et affronte les évènements avec jubilation et sérénité. Son rapport avec les volcans est viscéral, primordial, essentiel à son équilibre personnel. Sur les volcans, elle se sent bien, libre, heureuse. »

André Demaison explique également l’environnement scientifique et relate aussi la confrontation avec Haroun Tazieff qui a pris ombrage de la notoriété de Maurice Krafft. « Il ne supporte pas l’idée d’une concurrence qui risque de nuire à son hégémonie. »

📌 André Demaison, amoureux des volcans, nous fait partager cet amour grâce à des descriptions somptueuses mais précises. Avec lui, on se retrouve au pied des éruptions et on en prend plein les yeux.

Ne soyez pas surpris : en lisant ce livre, on s’arrête fréquemment pour visionner les volcans cités.

« La respiration tellurique est profonde, saccadée, gutturale, animale. Elle envahit l’espace, impressionnante de puissance et de présence, tel l’appel de la divinité cananéenne de Moloch réclamant sa part de sacrifice, mélopée barbare provenant du fond des âges. »

Le volcan est un monstre surnaturel qui provoque addiction et répulsion.

📌 Un bel hommage aux époux Krafft, un couple hors du temps habituel  des hommes, à l’image des volcans à qui ils ont consacré leurs vies.

« Pendant les 25 années qu’aura duré leur carrière, Maurice et Katia auront assisté à plus de 175 éruptions ! Ils auront foulé toutes les grandes zones volcaniques de notre planète, exceptées certaines iles du Pacifique sud et la péninsule de Kamchatka, en ex-Union Soviétique, à l époque interdite d’accès à tout étranger. »

 

📌 Une approche passionnante et parfaitement bien documentée.

Un moment de lecture terrifiant et magnifique. En même temps, addictif !  

 

Merci aux éditions Glénat Poche Aventure. Entre parenthèses, le format est parfait pour prolonger la lecture n’importe où.

 

Photo accompagnant le livre - Éruption volcanique du Reykjanes en Islande