mercredi 19 juin 2024

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 Les gens, tout simplement les gens…. Les attentats terroristes du 13 novembre 2015, à hauteur d’hommes.

Pas les reportages, les photos, les analyses, les interventions politiques ou policières, ou juridiques. Non, la vie des personnes, qui se sont préparées pour une belle soirée. La perspective d’un dîner en terrasse, ou d’un bon spectacle de musique.

Et ainsi Laurent Gaudé va faire vivre différents protagonistes, que le lecteur  accompagnera réellement, souvent avec difficultés. Ceux qui ont espéré, respiré, profité, ont eu peur, ont échappé ou sont morts, ont soigné, ont défendu et abattu les otages, ont secouru. Ceux qui  ont appelé de longues heures durant, leurs proches en  ne rencontrant que leurs messageries.

La chance ou la malchance de la vie…  Personne n’en ressort indemne.

Pas même le lecteur. Un roman concis, d’une densité exceptionnelle, porté par des phrases courtes et précises, dont les images restent longtemps en tête.

Plutôt que de continuer à commenter, je préfère citer les extraits de Laurent Gaudé qui m’ont marquée :

« Tout le monde hurle face à eux. Tout le monde s’écarte, rampe, court se mettre à l’abri. Comme c’est jouissif. Sous leurs pieds, même le trottoir gémit.

Toi, oui. L’autre, pas. A une seconde près, un centimètre près. Avoir de la chance ou pas. »

 

« Lorsqu’ils comment à tirer, je fais comme tout le monde : je me couche à terre, dans la fosse, pour essayer de disparaître. Ne pas bouger. Ne pas tourner la tête. Faire le mort et attendre.

Moi aussi. J’ai fait comme vous et maintenant, sur êtes sur moi. Je sens votre poids. Je l’avoue, cela me rassure. (…) Je vous entends respirer. Et je comprends que vous êtes en train de mourir. Votre respiration le dit. (…) Un homme est en train de mourir sur moi, un homme qui a pris une balle qui aurait pu me tuer, et je ne peux ni me retourner ni lui serrer la main, ni même lui murmurer que je sais qu’il va mourir et que je suis là. »

 

« Les deux tueurs ne sont plus là. Ils se repliés à l’étage. Nous découvrons alors le spectacle de la fosse, le sang, les corps amoncelés. Nous serons liés par cela jusqu’à la fin de nos jours : ce regard que nous aurions aimé ne pas poser, cette vision qui nous aimante et nous fige. »

 

«Mes filles ne répondent pas . Quelque chose monte dans mon ventre et je sais que cette vague de dégout et de peur a raison. Mon corps de mère sait des choses que j’ignore. »

 

« Je n’y arrive pas. Nous avons répété ces gestes mille fois, à l’entraînement. Les chiffres au marqueur : 1, 2 ou 3 selon la gravité. Pour établir une priorité d’évacuation. Mais lorsque nous effectuions ces exercices, il n’y avait pas tant de sang et les corps n’étaient pas en sueur. (…) Je continue. Il y en a tant…

Celui-là, oui. Celui-là, non. Vite ! Encore et encore. Se pencher. Se relever. Encore. Retourner des corps. Évaluer des plaies. Écouter le souffle. Encore. Vite. C’est à moi de décider qui sera sauvé et qui ne le sera pas. Je ne peux pas le faire avec l’esprit. Je dois le faire avec les mains, avec les dizaines d’années de médecine que j’ai dans les mains. Il n’y a pas d’autre boussole. »

 

« Toute ma vie pour être le médecin qui secourt sans avoir le temps de soigner, le médecin qui dessine d’un chiffre sur le front le destin des victimes, le médecin qui sera désormais mangé par l’incertitude, la hantise de s’être trompé, le souvenir d’un corps qu’on a d’abord vu vivant puis mort lorsqu’on est repassé. »

 

« Personne ne m’a préparé à recueillir les derniers instants de la vie d’une jeune femme que je ne connaissais pas. Personne ne m’a dit que tu serais ma rencontre de vie qui renverserait tout en moi… Julie que je porte désormais, que je porterai jusqu’à mon dernier souffle. »

 

« Je te demandez pardon, ma fille. Je t’abandonne, mais ce n’est pas ce que je voulais. Je te laisse à ton papa. Qui s’occupera de toi. Je te demande pardon pour tout ce que je ne pourrai pas t’apprendre, pour tous ces instants que je ne vivrai pas à tes côtés, pour mes bras que je t’enlève bien malgré moi. Tu dois grandir.(…) Tu devras être libre surtout. Car c’est de cela que je meurs. Ceux qui nous tuent  voulaient nous contraindre, châtier notre liberté mais je ne t’ai pas donné la vie pour que tu sois soumise, Lila. Chaque sourire que tu feras sera une victoire. (…) J’aurais aimé t’aimer encore si longtemps…

 

Un hommage à tous ceux qui ont vécu cette tragédie, et à tous ceux qui sont morts.

Un roman magistral, terrible et bouleversant !  

Merci Monsieur Laurent Gaudé.

 

 

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