samedi 6 janvier 2024

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Magistral !

Le silence d’Isra, la palestinienne ou le silence de toutes les femmes condamnées à la soumission, à la non existence, par la pression sociale et/ou religieuse. 

 

1990 - Palestine – Isra  a 17 ans. Elle aime lire, elle aime rêver, elle sait aussi que sa famille va lui choisir un mari. Elle espère et elle rêve. Ce sera Adam qui vit aux États-Unis, à Brooklyn. Elle espère et elle rêve : un autre pays où peut-être son mari ne la battra pas…

2008 - La voix de Deya, sa fille de 18 ans, en âge d’être mariée, qui a toujours vécue à Brooklyn. En conflit avec elle-même, avec sa famille pour trouver le sens à sa vie. Opposée à Farida, sa terrible et autoritaire grand-mère, la gardienne des traditions.

 

Ce livre est d’une richesse absolue car les nombreux thèmes traités le sont avec beaucoup de justesse et de profondeur.

 - C’est le statut de la femme quand le poids des traditions la définit comme une servante soumise et silencieuse au service de l’homme et de la famille.

L’obéissance à tous les niveaux : aux parents, au mari, aux beaux-parents. Une mineure cantonnée au foyer, à l’éducation des enfants, au rôle de « pondeuse ». Et encore… Enfanter des garçons, oui, mais surtout pas des filles.

Une fille c’est une « balwa » (…) Mama l’avait souvent traitée de balwa, d’embarras de fardeau. »

En l’occurrence, il ne s’agit même pas ici  de la pression religieuse, mais plutôt de celle des traditions, et plus encore, du souci des apparences. Car dans la belle-famille d’Isra, les 5 prières, le Ramadan, le voile ont été jetés aux oubliettes.

- La recherche d’amour, de reconnaissance d’Isra  est pathétique et s’explique par son éducation. Elle a beaucoup lu, étant petite, elle continue et cela lui permet de réfléchir sur sa vie. Et elle a honte de ce qu’elle appelle « sa faiblesse de caractère »

« La prise de conscience de sa terrible faiblesse de caractère. Lorsqu’ Adam (son mari) rentrait et lui demandait de lui servir son dîner, elle s’empressait d’obéir, et lorsque, dans leur lit, il tendait la main vers elle, elle le laissait faire, et lorsqu’il préférait la battre, elle ne disait rien, ravalant ses plaintes. »

- Naître « fille » est une honte. Tant pour ses parents, y compris sa propre mère,  que pour la femme en devenir.

Et ce sentiment de honte, bien entretenu durant l’enfance, perdure.

« les femmes étaient éduquées dans la croyance qu’elles étaient des créatures honteuses et sans valeur qui méritaient d’être battues, éduquées à être totalement dépendantes des hommes qui les battaient.(…) Elle avait honte d’être une femme, honte pour elle, honte pour ses filles. »

Cette honte d’enfanter de filles sera particulièrement bien illustrée par Farida dont on apprend qu’elle a tué ses deux nourrissons, des jumelles, dès leur naissance. Plus que la honte, c’est le déshonneur.

Le pire : les mères façonnent leurs filles en ce sens : comment faire plaisir à son mari, à la famille de son mari, se soumettre. Comment s’oublier totalement pour ne plus exister. Comment être aussi malheureuses qu’elles mêmes l’ont été, comment ne pas avoir d’identité propre.

- C’est Deya, la fille d’Isra,  qui  incarne le mieux la recherche de sens. Elle qui a toujours vécu à Brooklyn, mais dont le poids de l’éducation est tout aussi fort que pour les générations passées. Elle souhaite intégrer l’université mais sa famille ne l’y autorise pas. La voie est tracée : le mari choisi par sa famille, les enfants…

« Souhaitait-elle remettre son destin dans les mains d’autrui ? Avait-elle une chance de réaliser ses rêves en restant dépendante du bon plaisir de sa famille ?(…) Quelle importance si ses choix s’opposaient à ceux de sa communauté ? Quelle importance si les gens se faisaient une mauvaise opinion d’elle ? Elle devait suivre sa propre voie dans la vie. »

- C’est aussi la puissance de la lecture qui ouvre l’esprit, vers d’autres horizons, d’autres possibles, tandis que le milieu familial ne cherche qu’à étouffer la voix de ces femmes. Un milieu tellement oppressant et normé que seul,  le livre permet la bouffée d’oxygène, la lueur d’espoir, ou l’éventualité d’une autre vie.

Un terrible et bouleversant roman sur la condition des femmes. Une claque !

Etaf Rum, issue d’une famille d’immigrés palestiniens, est née à Brooklyn. Elle enseigne la littérature américaine en Caroline du Nord, où elle réside avec ses deux enfants. Le Silence d’Isra est son premier roman.

Un coup de maître !

 

 

 


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