jeudi 4 janvier 2024

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Le Caire – 1961 - Un mystérieux narrateur interpelle Tarek, le personnage central. Il le tutoie et raconte sa vie à partir de l’enfance. Tarek est médecin, sa vie semble  toute tracée. Mais une rencontre bouleverse l’ordre établi : « Ta vie était constituée de cercles concentriques qui avaient pour noms, la maison, la communauté et le pays. »

Avec cette rencontre, la boîte de Pandore est ouverte. Recherche d’identité, de sens. Des questions intemporelles : ai-je librement fait des choix ou m’ont-ils été dictés par mon environnement familial et social ? 

« Tu repensais aux choix par lesquels tu t’étais construit et une pensée obsédante s’insinuait en toi : celle d’avoir été méthodiquement dépossédé de chacun d’eux. Par tes parents, par conditionnement social, par des raisonnements préétablis, par sens du devoir, par atavisme, par lâcheté, comme s’il y avait toujours eu une bonne raison de ne pas trancher. »

De nombreux autres thèmes sont traités dans ce roman, et tous avec beaucoup de justesse et de profondeur.

- Le poids des traditions, du pouvoir social et des religions. Celui du jugement et du mensonge. Les tabous et les interdits.

La force de la rumeur : « Celle qui se propage, invisible comme le vent dans les palmiers. Celle qui souille ce qu’elle ne comprend pas ».

- Le silence, ne pas dire, ne pas exprimer ses sentiments. Celui qui provoque les doutes, les incompréhensions fatales. Ne pas exprimer son amour car il est interdit. Car c’est aussi une belle histoire d’amour.

A propos de lettres d’Ali à Tarek : « Elles ne disaient jamais « je t’aime ». Elles disaient toutes, « je t’aime ».

C’est aussi le vide métaphysique de l’absence, du disparu. Faire semblant de vivre, quand le cœur est troué.

- Quand la pression et l’incompréhension sont trop fortes, la fuite et la lâcheté prennent le relais. Ne pas envisager l’autre en face, ni la réalité, s’aveugler et chercher le salut dans la fuite. Ce qui arrive avec Mira, la femme de Tarek.

 « Ce prénom (Mira) disait mieux qu’aucun autre la mauvaise conscience que tu enfouissais depuis des années. Il savait tes amours, tes lâchetés, tes regrets, ton égoïsme. »

Fuir car on sent jugé, souillé. Fuir car on ne comprend pas ce qui arrive. Et en même temps, avoir honte de sa fuite. La recherche vaine de l’oubli.

C’est aussi une magnifique analyse psychologique sur l’impuissance, la lâcheté, la honte, le désespoir. Les personnages sont particulièrement crédibles et très attachants.

Seul bémol qui concerne la première partie du roman, jusqu’à la rencontre. Elle m’a parue trop longue, avec l’utilisation d’un passé simple pesant pour la fluidité du récit.

Ce narrateur qui interpelle Tarek, le tutoie, m’a intriguée, agacée dans cette première partie. Quand il s’exprime à son tour, l’écriture est belle, émouvante : « Je te dirais ton absence. Je te dirais mon attente. »

Un roman solide, profond, sensible, porté par une belle et juste écriture,  qui mérite amplement le Prix Fémina des Lycéens 2023.

En arrière plan du roman l’Université Al-Azhar du Caire

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