mercredi 16 juillet 2025

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Durant la dictature militaire brésilienne, dans la moitié du XXème siècle.

Presque un huit clos en plein ciel, dans un petit avion au-dessus des forêts brésiliennes, entre le père et son fils.

✈  Leurs relations sont complexes et parfaitement analysées. Le gamin de 11 ans souffre de la séparation de ses parents, subit la tyrannie de son père mais recherche sa présence. Le père aime son fils comme sa chose et le rejette en même temps. Comme une attraction / répulsion amoureuse.

« Il luttait contre la conscience de cet amour ambigu qu’il ressentait envers l’enfant, à la fois un fils et un adversaire, et qui rendait la paternité aussi instable qu’une relation amoureuse. Il voulait être avec lui, il lui manquait, il voulait le toucher, sentir son haleine, le voir grandir, l’entendre parler de ce qu’il aimait, (…) il était fier de son fils en même temps qu’il était agacé parce qu’il ne correspondait pas à ses attentes. Là commençaient les contradictions. Il nourrissait des désirs incompatibles. Par une étrange inversion, son fils incarnait la loi. »

Un bonhomme stupide, mégalo, cupide qui magouille avec les militaires en achetant des pans entiers de la forêt amazonienne.

« Les militaires bradaient la forêt à la loterie. Avec pour seule contrepartie (ou plutôt pour seul bonus) que les gagnants du gros lot occupent les terres en principe vierges, occuper signifie ici dévaster d’immenses zones de forêt pour y planter du fourrage et élever du bétail, le tout copieusement financé par l’état. »

✈  En même temps que leur survol, l’enfant lit et raconte un récit dystopique où les hommes les plus brillants dans leur domaine ont été choisis et envoyés dans l’espace pour trouver une autre planète, susceptible d’accueillir les rescapés de la terre. Tous sont des sommités, sauf un enfant banal, amnésique, qui cherche à comprendre son utilité dans cette mission vitale.

« Il trouve qu’il ne sert à rien. Mais au fond, et c’est surement la grande révélation de l’histoire, il est sûrement exceptionnel, il y a sûrement une raison pour qu’il soit là. »

Cette réflexion existentielle résonne et résonnera chez lui jusque dans l’âge adulte. Questionnement sur la mémoire, sur la légitimité de chacun... Et si ce passé vierge était une qualité sur laquelle on peut bâtir sa vie, sans entrave familiale, sans se faire manipuler par l’affectif et les aprioris ?

✈  Adulte, et toujours marqué par ce récit et la disparition de certaines ethnies, il revendique une vision exempte de tout préjugé, où chacun expérimente, se trompe et ainsi avance. Surtout pas un monde parfait, normé,  où tout est connu et acquis d’avance.

« Il essayait de faire l’éloge de l’erreur en tant qu’issue pour un monde qui se rétrécissait et se déshumanisait, un monde duquel l’illogique, l’absurde et l’inconscient seraient bannis par l’intelligence artificielle. »

✈  Le parallèle est saisissant - et convaincant - entre la dystopie du récit (un monde remplacé par un autre) et les conséquences de la disparition d’une bonne partie de la forêt et des indigènes. Comme les Okano, et leur représentation si particulière de la vie. Disparue à jamais…

✈  Un roman exigeant qui interroge sur notre futur et celui de la planète.

 

Extraits :

✈  « Les militaires bradaient la forêt à la loterie. Avec pour seule contrepartie (ou plutôt pour seul bonus) que les gagnants du gros lot occupent les terres en principe vierges, occuper signifie ici dévaster d’immenses zones de forêt pour y planter du fourrage et élever du bétail, le tout copieusement financé par l’état. »

Page 15

✈  « Il souffrait de crises de vertiges depuis la séparation de ses parents. Il embarquerait le lendemain pour une aventure en enfer avec son père, celui-là même qui avait l’habitude de se vanter que les saints sortaient de l’église quand il y entrait. »

✈  « Il trouve qu’il ne sert à rien. Mais au fond, et c’est surement la grande révélation de l’histoire, il est sûrement exceptionnel, il y a sûrement une raison pour qu’il soit là. »

Page 22

✈  « Il luttait contre la conscience de cet amour ambigu qu’il ressentait envers l’enfant, à la fois un fils et un adversaire, et qui rendait la paternité aussi instable qu’une relation amoureuse. Il voulait être avec lui, il lui manquait, il voulait le toucher, sentir son haleine, le voir grandir, l’entendre parler de ce qu’il aimait, (…) il était fier de son fils en même temps qu’il était agacé parce qu’il ne correspondait pas à ses attentes. Là commençaient les contradictions. Il nourrissait des désirs incompatibles. Par une étrange inversion, son fils incarnait la loi. »

Page 60

✈  « Il projetait sur son fils le contraire de lui-même, comme une rédemption. Plutôt que d’être avec lui et de l’accompagner dans ses conquêtes, il désirait réaliser en son fils son opposé. Jusqu’à ce que le réel commence à l’exaspérer. Comme dans l’idéalisation de l’amour, ils n’étaient presque jamais ensemble et une semaine suffisait pour qu’il ne le supporte plus, ne puisse plus le voir en peinture, ne veuille plus passer même une seconde de plus à côté de lui. »

Page 61

✈  « C’étaient des cobayes. Ils ont été créés pour préparer le terrain, confirmer si la planète était habitable. »

Page 129

✈  « Il essayait de faire l’éloge de l’erreur en tant qu’issue pour un monde qui se rétrécissait et se déshumanisait, un monde duquel l’illogique, l’absurde et l’inconscient seraient bannis par l’intelligence artificielle. »

 

 



lundi 14 juillet 2025

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A travers cinq nouvelles et cinq portraits, l’autrice détaille au scalpel les relations à l’intérieur du couple en Corée du Sud.

📘Une société encore patriarcale, où l’épouse est la gardienne du foyer : éducation des enfants, gestion de la cuisine.

Souvent, l’homme est absent le soir, en compagnie de ses amis et de l’alcool. La femme n’a rien à dire, cela fait partie des habitudes des ménages.

« Presque tous les soirs, je bois avec des collègues de travail ; parfois même, je ne rentre pas. J’ai tellement pris l’habitude de traîner après minuit, voire jusqu’à l’aube, que je ne sens plus ma fatigue. Un jour, ma femme m’a dit que je ne savais faire que deux choses dans la vie : boire et dessouler. »

Cela m’a frappée d’ailleurs de découvrir à quel point l’alcoolisme est présent chez les coréens.

📘 Autre thème développé : le silence des femmes. Quand leur mal-être s’exprime, c’est dans des sources extérieures : des boîtes (« Les boîtes de ma femme »), un journal, (« Ma femme évanescente »), un cahier ( « Yeonmi et Youmi »).

C’est la nouvelle que j’ai préférée. La souffrance d’une femme qui raconte dans un cahier, son amour désespéré pour un homme, et son sentiment de culpabilité, à sa sœur.

« Je voulais le confier à quelqu’un. J’ai pensé à toi. Tu es le seul être au monde à qui je puisse dévoiler mes cicatrices et le côté honteux de ma personne. »

📘 De plus, l’autrice démontre avec une plume incisive, l’incommunicabilité des êtres. Le père absent en permanence, est persuadé que cela convient à sa femme et qu’il est un excellent compagnon et père. « Suis-je un mauvais mari ? Franchement, je ne le pense pas. Jamais, je ne l’ai trompée et je lui donne tout mon salaire. Oui, je bois et je ne suis pas souvent à la maison, ce qui ne signifie nullement que ma famille ne compte pas pour moi. »

Idem pour les deux amants qui sont sur deux longueurs d’ondes opposées.

Un tel fossé entre hommes et femmes en Corée du sud ?

A priori oui, et les tensions augmentent car les femmes revendiquent là juste titre, leur indépendance et l’égalité.

📘 Une chronique sociale sans concession et dépourvue de toute émotion. Presque un état des lieux illustrés par cinq situations différentes.

Une découverte intéressante car on imagine la Corée du Sud, gros moteur économique et démocratique, plus avancée en matière des relations homme-femme. Un décalage évident entre les traditions et le modernisme. Et e n’est pas le seul pays dans ce cas… 

Merci aux éditions Zulma.  

 

Extraits :

« Les boîtes de ma femme »

📘 « Ces boîtes étaient comme des coffrets à blessures qu’elle entassait, au coin d’une pièce. »

📘« Elle dormait toujours, recroquevillée sur elle-même près de ses pauvres boîtes, comme pour se protéger d’un monde qui la blessait. »

 « Ma femme évanescente »

 📘« J’étais à mille lieux de penser que ma femme puisse tenir un journal. (…) A l’exception de ces lettres, elle ne m’a jamais donné l’impression d’avoir un quelconque penchant pour la littérature. »

📘« Presque tous les soirs, je bois avec des collègues de travail ; parfois même, je ne rentre pas. J’ai tellement pris l’habitude de traîner après minuit, voire jusqu’à l’aube, que je ne sens plus ma fatigue. Un jour, ma femme m’a dit que je ne savais faire que deux choses dans la vie : boire et dessouler. »

📘« Suis-je un mauvais mari ? Franchement, je ne le pense pas. Jamais, je ne l’ai trompée et je lui donne tout mon salaire. Oui, je bois et je ne suis pas souvent à la maison, ce qui ne signifie nullement que ma famille ne compte pas pour moi. »

📘 Vis-à-vis de sa femme quand exceptionnellement, il rentre tôt sans avoir bu :

« Comme une sorte de propriétaire terrien qui daigne distribuer quelques pommes de terre à un personnel débordant de gratitude. »

Les beaux amants

Quand deux individus ne se comprennent pas :

📘« Il se rapproche d’elle tendrement, en amoureux pour lui remplir son verre. Elle y voit l’attitude classique de celui qui, sur le point de rompre, devient soudain gentil, attentionné. Elle prend son verre et boit, presque d’un trait. »

On n’avait pas pensé à l’imprévu

📘« En ce temps-là, la vérité aurait dû lui crever les yeux : la vie de ménage l’ennuyait au point de préférer l’ivresse de la rue à son confort. »

Yeonmi et Youmi

📘« Je voulais le confier à quelqu’un. J’ai pensé à toi. Tu es le seul être au monde à qui je puisse dévoiler mes cicatrices et le côté honteux de ma personne. »



vendredi 11 juillet 2025

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Tome et et 2 

Matthias est responsable d’une entreprise. Un parisien, ultra connecté, ultra stressé. Il aime passionnément cette vie. Jusqu’au au jour où un événement tragique au bureau le pousse à s’interroger et à ralentir… A entreprendre un stage de « détox ». Il raconte.

Je l’avoue. Quand j’ai commencé la lecture, je me suis dit : encore une histoire de bonhomme qui ne vit que pour son travail. Qui va comprendre la vacuité de sa vie après un séjour de méditation et de jeun dans la nature.

Tous les critères étaient rassemblés… Alors, c’est ça, mais c’est beaucoup plus que cela !

Déjà, les organisateurs du stage de « Détox » paraissent bien plus perturbés que lui. Ensuite, lui, il résiste, et violemment en plus. Il faut dire que : « Pendant dix jours : pas d’ordinateur. Pas de téléphone. La nature jusqu’à perte de vue », c’est contre nature pour lui !

Ensuite, c’est une vraie détox, car ne sont servis aux participants qu’un breuvage à base de romarin où les intestins (notre 2ème cerveau) participent pleinement.

📌 Jim pousse le curseur et c’est plutôt jubilatoire, mais toujours parfaitement juste et analysé.

On s’amuse en se demandant comment Matthias va ressortir de cette aventure et s’il va en tirer des fruits…

Je redoutais un côté moralisateur, ce n’est pas du tout ça ! C’est au contraire, profondément lucide, réaliste et surtout très humoristique.

📌 J’ai beaucoup aimé le graphisme, les couleurs, les décors (merci Antonin Gallo) et surtout, l’expression des personnages. C’est hyper travaillé, précis, et agréable ! Souvent le texte est inutile…

Un trop bon moment de lecture !

Extraits :

Tome 2

📌 « Finalement… La nature loin de la nature humaine… c’est encore ce que je préfère. »

📌  « Moi, je ne suis pas mystique pour deux sous. J’aime pas les cures, j’aime pas la religion et les bouquins de développement personnel. Sous couvert de bienveillance, à mes yeux, une fois sur deux c’est juste de l’attrape-paumés… »

 📌 « Les jours s’enchaînent… Avoir froid… Avoir faim… Avoir chaud…

Avoir… Le temps…

Rêver quand le corps le réclame…

Accepter le jeu du ralentissement… Attendre que rien ne vienne…. Vivre au rythme ralenti de mes organes… Essayer de n’être qu’un spectateur…

Un simple spectateur… »

📌 « On vit dans un monde où, fourmi parmi les fourmis, chacun de nous prend le vent des mauvaises nouvelles tous les matins, tous les midis et tous les soirs, et malgré le souffle des noires bourrasques, nous tentons de répondre à l’injonction de rester debout et de ne pas plier. »

 

Pages explicatives à la fin du Tome 2

Récit tiré de l’histoire réelle d’un ami de Jim

📌 « L’enjeu du récit était donc dès le début la recherche de l’équilibre, de l’apaisement. L’empressement, le bouillonnement… et en face, la paix retrouvée, les jours sans but ni nécessité à être productif… ce mouvement de balancier perpétuel entre déni et acceptation… Ce mouvement est en chacun de nous. »