mercredi 30 juillet 2025

💙💙💙💙💙


 

Je suis bluffée par la qualité du scenario et du graphisme de Frédéric Rébéna, d’autant plus que j’étais plutôt sceptique sur le résultat.

Le roman largement autobiographique d’Hervé Bazin est tellement puissant, qu’il me paraissait difficile, voire impossible, de faire autre chose que du copié-collé, en rajoutant le dessin.

🐍 Pourtant, l’auteur a parfaitement saisi l’état d’esprit du roman, s’en est complètement imprégné et en a extrait « la substantifique moelle » comme le dirait si bien l’ami Rabelais.

Dialogues forts, percutants et concis. Dessin ultra travaillé, renforcé sur les couleurs et les expressions des personnages, notamment sur les regards échangés entre Folcoche et Jean. Voir page 72.

Contraste marqué entre la beauté et le calme des paysages et le bouillonnement de haine des personnages. Voir page 101.

🐍 Dès la première page, le lecteur retrouve l’ambiance de la Belle Angerie (la maison de famille), puis intègre immédiatement la personnalité de Jean, (Brasse-Bouillon) qui vient de régler son compte à une vipère. Un gamin qui n’a peur de rien, qui résiste et ne baisse pas les yeux…

Deux personnages centraux, la mère, appelée Folcoche par les deux ainés, et Jean, le cadet, les deux personnalités fortes du récit. 

L’auteur a parfaitement saisi la complexité de Folcoche : autoritaire, impitoyable, injuste, mais terriblement lucide et solitaire. Un refus absolu de sa condition de mère, qui provoque la férocité et l'acharnement.

« Des enfants nés contre ma volonté, que j’ai eus avec un homme sans amour et sans plaisir, par pure convention, ce sont vos fils, pas les miens »

Quand la cruauté, l’humiliation et l’injustice sont élaborées en règles d’éducation, quelles répercussions sur les enfants ? Peut-on guérir des blessures de l’enfance ?  

Qu’en est-il de Jean ? N’est-il pas, finalement, le plus proche de sa mère ?

L’entourage est également bien saisi, notamment le père de Jean : « Faible et lâche. Lâche et vaniteux. » Un homme dont la famille a été ruinée, devenu complètement dépendant de sa femme et de sa tyrannie.

💚La haine à l’état brut, illustré et magnifié par la BD.

A découvrir vraiment, pour tous ceux qui connaissent déjà le roman d’Hervé Bazin et encore plus à tous ceux qui ne le connaissent pas !

Merci à tous ceux et toutes celles qui l’ont chroniqué et ont renforcé ma curiosité.

 

Extraits

🐍 « Elle avait de jolis yeux, cette vipère, topaze, pleins de haine »

🐍 « Cette mère, jamais, je ne l’appellerai « Maman »

🐍 « Faible et lâche. Lâche et vaniteux. »

 🐍 « Si vous n’étiez pas ce père inerte et indolent, je ne serais pas cette mère si haïe. »

🐍 « Je ne sais pas vous, mais moi, je respire mieux depuis qu’elle étouffe. »

🐍 « Pourquoi suis-je ici ? Et qui suis-je ?

Je ne suis pas ce que je veux, mais je serai ce que je voudrai.

Je suis né Rezeau de la famille Rezeau, mais je ne le resterai pas.

Par chance, on ne m’a pas appris l’amour de ce que je suis.

La haine est plus forte que l’amour. »

🐍 « Des enfants nés contre ma volonté, que j’ai eus avec un homme sans amour et sans plaisir, par pure convention, ce sont vos fils, pas les miens »

 

 

 

 

 

 

 


vendredi 25 juillet 2025

💙💙💙💙

Rentrée littéraire – parution le 4 septembre 2025

Un bel hommage, infiniment lucide, aux ONG.

On est loin de l’image « romantique » que l’on peut se faire d’une ONG et notamment de MSF. Car Solenn Honorine, grand reporter en Afrique, et chargée de communication pour MSF, s’inspire de son expérience pour un roman de fiction, situé à l’est de la RDC.

« Dans ce territoire grand comme un département français, les trois quarts des habitants sont d’ethnie hunde, hutue ou tutsie, un patchwork d’autres ethnies formant le reste. »

📌 A travers le personnage d’Alix, l’autrice utilise le « je » et parle cash. Sincère, et même en auto-dérision d’elle-même quelquefois. « La modestie ne m’étouffait pas. »  Cette narration à la 1ère personne renforce la proximité du lecteur face aux difficultés quotidiennes et aux horreurs des injustices et des combats.

D’abord, il n’y a pas que les médecins. Il y a tous ceux qui gravitent autour et qui sont indispensables au bon fonctionnement, comme la narratrice, qui est « watsan », (Water and sanitation - technicien eau et assainissement). Elle a la charge essentielle de comprendre et résoudre tous les problèmes des eaux. Essentiel lors des épidémies de choléra…

Une mission souvent ingrate : il faut accepter de faire et refaire ce qui a été détruit par les combats ou les pillages. « A Katalo, où le centre de santé a été entièrement pillé et en partie brulé, je remets les installations sanitaires aux normes pour la deuxième fois en moins de deux mois. »

📌 Et ensuite dans cette jeune femme légère, qui est partie sur un coup de tête à la frontière est du Congo, il y a une prise de conscience, une remise en question et une quête de sens.  

Une expérience éprouvante qui modifie la vision du monde et donne un sens à sa propre vie : être utile à l’autre. « Je veux apporter ma petite pierre à l’édifice. »

📌 Eh oui ! Au sein d’une équipe MSF, on soigne tout le monde sans distinction, les victimes comme les meurtriers. Et cela peut être difficile à comprendre quand on est épris de justice et d’empathie pour les plus faibles…

Encore plus difficile à accepter quand il faut risquer sa vie pour rapatrier un agresseur et un assassin, qui s’est attaqué également à MSF…

« Je nous considérais comme intouchable, protégés par nos bonnes intentions. Cette intrusion d’inconnus dans notre antre, notre zone de sécurité, c’est un viol. »

📌 Moment entre parenthèses, un peu magique, quand Alix aide à mettre au monde un enfant, elle qui n’en veut pas ! « Je me cramponne au petit être neuf, débordée par une émotion primaire, animale. Je ne me suis jamais sentie aussi humaine. »

📌 J’ai beaucoup aimé ce témoignage dur et réaliste de l’humanitaire. Il faut, si on veut soigner les blessés, les malades, composer avec les pouvoirs locaux, plus soucieux de leur image que du bien-être et de la santé des habitants.  Composer avec les chefs de guerre et ainsi obtenir des droits de passage pour aller soigner. Toujours le même objectif : l’urgence sanitaire. Même si l’homme qu’on opère est pourri et qu’on le retrouvera ensuite avec une kalach, dès qu’il sera rétabli…

« Ce n’est pas changer le monde, mais faire ce qui est en ton pouvoir pour réparer le corps de l’autre. »

Il faut aussi savoir qu’il y aura des dissensions, des conflits à l’intérieur d’une équipe, accepter les délais bureaucratiques, alors qu’on ne voit que l’urgence.

📌 Et je pense que c’est là, toute la beauté de ce premier roman. Demeurer Humain, Raisonnable alors que tout est déshumanisé et furie autour de soi.

📌 Seul bémol : la limite ténue entre réalité et fiction. A certains passages, c’est visiblement basé sur des faits réels, puis les personnages reprennent le dessus pour la fiction… Un sentiment de flottement…

Un récit à découvrir !

Merci à Netgalley et aux éditions de l’Archipel.

 

Extraits

 📌 « Pourtant, j’ai bien compris qu’ici il n’y a ni méchants, ni gentils. Il y a la guerre et puis c’est tout. »

 📌 « Dans ce territoire grand comme un département français, les trois quarts des habitants sont d’ethnie hunde, hutue ou tutsie, un patchwork d’autres ethnies formant le reste. »

📌 « La modestie ne m’étouffait pas. »

 📌 « Je me cramponne au petit être neuf, débordée par une émotion primaire, animale. Je ne me suis jamais sentie aussi humaine. »

 📌 « Que pèsent mon intérêt, ma fierté, mes frustrations, mon égo, face à la peau beurrée d’un nouveau-né, son souffle sur ma peau ? »

 📌 « Mais ici… ici, on sauve des vies. On a les pieds dans la merde, et la tête haut, haut dans les étoiles. »

 📌 « Les haines anciennes alimentent les intérêts nouveaux, la rumeur entretient la peur et les armes sortent de terre. »

 📌 « Ce n’est pas changer le monde, mais faire ce qui est en ton pouvoir pour réparer le corps de l’autre. »

 📌 « A Katalo, où le centre de santé a été entièrement pillé et en partie brulé, je remets les installations sanitaires aux normes pour la deuxième fois en moins de deux mois. »

📌 « Je nous considérais comme intouchable, protégés par nos bonnes intentions. Cette intrusion d’inconnus dans notre antre, notre zone de sécurité, c’est un viol. »

📌 « Alix, Ulrich, Esther, Jeff et les autres n’existent pas, pourtant ils sont des milliers. Une bande d’humains, les pieds dans la boue et la tête dans les étoiles ».

 

 

 

 


jeudi 17 juillet 2025

💙💙💙💙


 

Les derniers jours d’un écrivain atypique, Fernando Pessoa.

📘 Lisbonne – 1935 - L’écrivain et poète, Fernando Pessoa est atteint d’une cirrhose, qu’il n’a aucune envie de soigner… Jusqu’au bout, il se balade dans Lisbonne, fume, boit et écrit.

Simao, un jeune pigiste, est chargé de sa nécrologie pour le Dario de Lisboa. Comme il en ignore tout, « il part à sa découverte en rencontrant les gens qui l’ont connu… »

Entre les recherches de Simão, le présent et les souvenirs de Fernando, on découvre un personnage complexe, torturé, infiniment solitaire.

📘 L’auteur s’est concentré sur la personnalité de Pessoa plus que sur son œuvre. Je sais que cela a gêné de nombreux lecteurs mais pas moi. L’auteur est tellement atypique, hors du temps, que j’ai apprécié cette recherche de compréhension et de sens.

Un homme marqué par le décès de son père quand il était enfant. Fragile, mal à l’aise face aux autres : « Je suis né sans carapace. »

Un écrivain qui a souvent recours à des pseudos pour ses parutions. Bien plus que des pseudos, il s’agit plutôt de personnalités qu’il emprunte, derrière lesquelles il se cache et se protège. Les hétéronymes, « les amis imaginaires »

« Pessoa en lui-même n’est que la partie émergée de l’iceberg. Il y a lui et tous les autres… (…) Il lui arrive de publier sous des noms d’emprunt. (…) Il est persuadé que ces personnes existent, et qu’il serait une sorte d’agent littéraire à leur service. »

Un homme solitaire et pluriel à la fois. Un drôle de bonhomme…  

« La solitude me désespère ; la compagnie des autres me pèse » Fernando Pessoa. « Le livre de l’intranquillité »

📘 Le graphisme est juste et précis.

Pessoa âgé de 47 ans, en paraît 60. Un vieux monsieur au teint jaune, aux sourcils broussailleux, aux grosses lunettes rondes de myope, affublé en permanence d’un chapeau melon. Il ne respire ni la santé, ni la joie de vivre et cela, c’est évident dès la première image.

Il m’a fait penser à un des frères Marx : un Groucho Marx sinistre…

Les expressions des personnages sont parfaitement travaillées et très évocatrices. Les temporalités, les endroits différents sont bien marqués par la colorisation des fonds de pages.

J’ai beaucoup aimé les pages sans texte de Lisbonne, avec le souci des détails et une ambiance nostalgique qui s’en dégage.

💙 Nicolas Barral nous immerge dans la personnalité de Pessoa et c’est une vraie réussite !

 

Extraits

📘  « Mon refus fera polémique et la polémique est la meilleure des publicités »

 📘 « _ Pessoa en lui-même n’est que la partie émergée de l’iceberg. Il y a lui et tous les autres…(…) Il lui arrive de publier sous des noms d’emprunt. (…) Il est persuadé que ces personnes existent, et qu’il serait une sorte d’agent littéraire à leur service.

_ Et qui sont ces personnes ?

_ Alvaro Campos, le futuriste

Alberto Caeiro, le phénomélogue

Ricardo Reiss, le classique exilé au Brésil.

Cette liste n’étant pas exhaustive. »

📘 Souvenir d’enfance – décès de son père quand il est enfant

« Et si nous interrogions le ballon, il nous dirait qu’il était le dernier cadeau que le père de l’enfant lui avait fait avant de mourir. (…) Voilà pourquoi, le petit garçon était inconsolable. (…) Toutes ces impressions sont incommunicables sauf si nous en faisons de la littérature »

📘 « J’avoue que j’ai un peu perdu le fil des ses expérimentations, jusqu’à son dernier livre, où il est enfin redevenu… lui-même.

Les hétéronymes n’étaient pas ma tasse de thé. Peut-être que son génie tient-il justement à ce transformisme littéraire. »

📘 Sur son lit de mort avec Queta

« Je suis soulagé, Queta, j’ai toujours senti qu’il y avait quelque chose de défectueux en moi…

Je suis né sans carapace.

Chaque émotion est comme une allumette grattée sur le tissu sensible de mon cœur.

Une aubaine pour le poète auquel cette infirmité confère le don de voir par-delà les choses. Une plaie pour l’homme dont le moindre mouvement relève dès lors de l’acte d’héroïsme. »

« _Et le livre de l’intranquillité ? (…)

_ De mémoire, une de ses notes disait : je voudrais que ce livre laisse l’impression d’un cauchemar voluptueux. Il y dévoile l’être torturé qu’il était … »

📘 « Pessoa se définissait lui-même comme un écrivain pluriel, ayant recouru dès ses premières parutions à des personnalités d’emprunt, les fameux hétéronymes dont l’inventaire complet reste à faire. »

📘 « La solitude me désespère ; la compagnie des autres me pèse »

Fernando Pessoa. « Le livre de l’intranquillité »

📘 « La valeur des choses n'est pas dans la durée, mais dans l'intensité où elles arrivent.
C'est pour cela qu'il existe des moments inoubliables, des choses inexplicables et des personnes incomparables. » 
Fernando Pessoa