samedi 31 mai 2025

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Scénario

🌴Première page : la canopée et le ciel bleu. Un gamin blond, sale, aux vêtements déchirés escalade une butte. Il découvre la mer et rien d’autre… Sans doute, une ile…

C’est Ralph, un enfant de 12 ans, rejoint par un autre, rondouillard et lunetteux, Cochonnet. On comprend que leur avion s’est scratché. Ils ne savent pas où ils sont…

Cochonnet, parle de bombe atomique… Lui, c’est le gentil, l’intello, le « pas sportif » du tout…

En ramassant, une conque, en soufflant dedans, Ralph rassemble tous les enfants encore disséminés dans la forêt, la majorité plus petits. Puis une autre bande, habillée de sombres capes, dirigée par un garçon roux, Jack, les rejoint aussi… A priori, un chœur de chanteurs.

Il est important le rôle de la conque : celui qui a la conque, détient la parole. En transmettant la conque, on transmet la parole… Une façon de procéder démocratique pour un collège d’enfants.

Il faut maintenant désigner un chef. C’est Ralph qui est élu. Jack a honte. Même ses choristes ont choisi Ralph….

Il faut maintenant faire un feu permanent pour se signaler aux bateaux qui vont croiser aux alentours. Se nourrir : il n’y a que des fruits et des sangliers…  

Les petits ont peur, il y a un monstre sur l’ile…

 

🌴Cela pourrait être une histoire de Robinson Crusoé avec des enfants pour héros. C’est bien plus que cela…

Une véritable fable dramatique et philosophique.  

 

Le scénario est tiré du roman de William Golding et pose la question de la civilisation. Avons-nous vraiment appris durant tous ces siècles, à être des humains, ou sommes-nous encore des animaux quand le cadre coercitif de la société est absent ? Sommes-nous enfin devenus des êtres raisonnables ?

Une bande de garçons, livrés à eux-mêmes sur une ile, après le crash de leur avion. Vont-ils continuer à respecter les règles qu’ils ont édictées ? La querelle des égos va-t-elle faire exploser leur micro-société ?

Un exercice de style passionnant, car il n’y a pas de filtre chez les enfants. Le jeu est important et indispensable malgré la gravité de la situation. La peur et la terreur du « monstre » ne sont pas raisonnées et s’expriment à l’état brut… Les pleurs, les chagrins semblent ne jamais s’arrêter.

Les disputes, les ressentiments, la haine, sont aussitôt prolongés par les coups, par l’envie d’anéantir celui qui dérange. 

Le contraste est saisissant entre la beauté des paysages, l'âge des enfants et le drame qui se noue.  

🌴Un graphisme somptueux. Dessins, paysages, expressions et  attitudes sont particulièrement travaillés et très réussis.

Les gros plans sont …. Waouh ! Comme celui de la page 209. A ne pas mettre entre toutes les mains..  

🌴Le titre vous intrigue ?

Lisez-le et vous en comprendrez la terrible raison…

La vie, la mort et l’homme… Droit, juste ou empli de noirceur…

💚 Aimée de Jongh s’est approprié le récit en le sublimant !

 

 Extraits

 🌴« Assis, Ralph se dit qu’il venait d’assister à l’agonie de la raison. »

 🌴« Il voyait désormais la houle en terrien, et elle lui semblait respirer comme quelque créature fantasque. L’eau descendait, murmurant comme le vent entre les arbres. »

 🌴« Et au milieu du groupe, le corps crasseux, les cheveux emmêlés et le nez sale, Ralph pleurait la fin de l’innocence, la noirceur du cœur humain, et la chute dans le vide de cet ami fidèle et avisé qu’on appelait Cochonnet. »

 🌴« C’est un honneur incroyable d’avoir été sollicitée pour adapter « Sa majesté des Mouches » en roman graphique pour la première fois, et c’est aussi la chose la plus intimidante que j’aie jamais entreprise. (…)

Une question m’obsède : à quel moment les règles de notre civilisation si sophistiquée disparaissent-elles, et existaient-elles réellement au départ ? Je pense qu’aucun livre au monde n’aborde ces questions de manière aussi magistrale que Sa Majesté des Mouches. »

 

mardi 27 mai 2025

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Comme d’habitude, Hélène passe en coup de vent voir ses vieux parents, sa mère atteinte d’Alzheimer… En coup de vent car, « _ Daniel voulait pas que je ne rentre pas trop tard. Je file. »

Sauf que l’orage gronde, la pluie est trop forte, « les flics ont barré la route ». Petit à petit l’eau monte, impossible de sortir, la maison ainsi que celle de son voisin sont entourées d’eau. Les voitures ont disparu. Il faut s’installer au 1er étage.

Son père sculpte quand il ne s’occupe pas de sa femme. Un couple aimant et proche. Elle, « débloque » par moments mais elle est souvent lucide, notamment à propos de sa fille, de l’emprise qu’elle subit par son mari violent.

Elle est atteinte d’Alzheimer. Ses proches l’acceptent, avec tendresse et humour.

Leur amour, leur compréhension de ce qu’elle vit, leur absence de jugement, l’éloignement forcé d’avec son compagnon, obligent Hélène, presque malgré elle, à réfléchir, à remettre en cause sa vie...

Une scène, celle de la double page 68 et 69, sans texte, le démontre parfaitement. En se déshabillant, elle s’examine dans la glace. Maigre, contusionnée de partout… C’est à ce moment-là, qu’elle en prend conscience !

Le miroir lui renvoie sans filtre, la violence subie…

Avec le voisin, elle parle par la fenêtre. Il lui raconte le calvaire de sa mère, sa non-vie à cause de son père violent.

« _ Mais à force, elle s’était presque éteinte. Toute sa joie de vivre, tout ce qu’elle était. (…) Ses mains tremblaient, ses épaules fragiles tombaient. Et son regard fuyait tous ceux qu’il croisait.

_ Ça se voit tant que cela ? »

Il est enfin prévu une baisse du niveau des eaux. Tous les trois se couchent tôt pour nettoyer le rez-de-chaussée dès le lendemain matin…

Que seront les jours suivants ?...

De cette arche de Noé perdue au milieu des eaux, que va-t-il advenir ?

📘Le graphisme, dans les tons pastel, est somptueux. Une petite merveille d’observation des attitudes, des allures et surtout des expressions.

Dépouillé et travaillé. Comme la page 111, l’étirement du chat (qu’elle a sauvé sur le toit), la douceur de sa présence. Et les magnifiques gros plans des pages 176 et 177.

📘Violence conjugale avec Hélène. Et en parallèle, amour conjugal et familial avec ses parents. L’ensemble est abordé avec beaucoup de nuances, de force et de douceur en même temps. 

Un autre modèle conjugal est donc possible. Même après des années, même avec la maladie…

📘 Un scénariste hors pair, un dessinateur talentueux.

Un gros plaisir de lecture et un coup de cœur !  

Extraits

 📘 « _ Daniel voulait pas que je ne rentre pas trop tard. Je file. »

 📘 « Toi, tu n’entends pas des remarques incessantes sur ton corps ou ta foutue coiffure !

Toi, tu ne te retrouves pas bloquée devant ta porte d’entrée quand tu as le malheur de finir le boulot plus tard, tout ça parce que ton compagnon t’empêche de rentrer !

Toi, tu peux encore discuter avec ton mari, ou au moins avoir la chance de t’expliquer !

Vous deux, vous pouvez encore vous perdre dans une routine de vieux couple ! Ou même manger ensemble et inviter des amis sans vous hurler dessus ! »

📘 «  _ Aucun homme ne devrait lever la main sur sa compagne. Jamais.

_ Je sais.

C’est juste que… je ne sais plus quoi faire !

En dehors des coups, il y a le harcèlement quotidien. 

Parfois, il m’appelle 50 fois par jour !

Quand je suis au boulot. Ou même les rares fois où je suis avec mes amies !

Même quand je viens voir, vous, mes propres parents ! »

📘 Avec son voisin, elle parle par la fenêtre.

Il lui raconte le calvaire de sa mère, sa non-vie à cause de son père violent.

« _ Mais à force, elle s’était presque éteinte. Toute sa joie de vivre, tout ce qu’elle était. (…) Ses mains tremblaient, ses épaules fragiles tombaient. Et son regard fuyait tous ceux qu’il croisait.

_ Ça se voit tant que cela ? »

 

 


lundi 26 mai 2025

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 Oui, bien sûr, on connaissait la Jungle de Calais. Le dernier « pont » avant de peut-être, embarquer pour la destination rêvée : l’Angleterre.

 On en connaissait la misère, les déploiements des forces de l’ordre pour contenir les migrants sur le sol français, les multiples reportages sur les ONG en place et ceux consacrés aux calaisiens. On se rappelle aussi les migrants morts sur l’autoroute pour avoir tenté d’entrer dans les camions.  

Un statut particulier (du fait de l’accord bilatéral du Touquet en 2004) pour cette population : « Avec cette appellation de réfugiés potentiels, ni on ne les arrête, ni on ne les aide. On les laisse juste moisir tranquilles, en espérant qu’ils partiront d’eux-mêmes. »

📌 Le scénario

Adam est un policier syrien, intègre, impliqué dans son travail. Il se réjouit du Printemps arabe : « un vent de démocratie avait soufflé sur la Syrie »

Mais il comprend vite aussi les dérives : « Il y eut dès lors, pour deux bourreaux, une seule et même victime. La dictature de Bachar el-Assad et la folie de Daech, contre le peuple syrien désarmé. »

Il décide de fuir avec Norah, sa femme et sa petite fille de 6 ans, Maya. Mais elles doivent partir d’abord, il les rejoindra ensuite.

Quand il arrive à Calais, elles ne sont pas arrivées, personne ne sait où elles sont, ou ne veut parler…

Calais, une vraie jungle en effet, où les groupes ethniques les plus puissants font régner la terreur. Adam se fera tout de suite un ennemi mortel des Afghans en sauvant un enfant du viol. Un gamin venu tout seul en France, qui ne peut parler après avoir eu la langue tranchée.  Il ne quitte plus Adam qui le protège et dénomme Kilani. Le personnage le plus attachant…

Pour bien expliquer la complexité de la situation, Olivier Norek fait intervenir tous les intervenants de la zone. Les associations caritatives qui gèrent au mieux une situation bloquée, les différents services de police, parmi lesquels, Bastien, nouvellement arrivé. Il ne comprend pas comment on peut laisser pourrir des gens dans un ghetto ou exposer leurs vies sur l’autoroute…

« _ Mais, s’ils la veulent, leur Angleterre, de quel droit, on les retient ici ?

_ Les accords du Touquet ( 2004) . Le texte place la frontière de l’Angleterre en France, à Calais, et pas à Douvres. Et pour que ça reste comme ça, les britishs paient cher. »

Tant de souffrances, d’injustice, de morts pour tout rayer d’un coup de plume en « octobre 2016.  Le gouvernement, en fin de mandat, avait décidé du démantèlement complet de la Jungle. Une tâche sur la carte du pays, devenue trop visible, trop gênante pour une ré élection »

📌 Olivier Norek mène son scénario de main de maître (comme d’habitude) mais en même temps, il explique, il interroge, il émeut, il dérange…

- Il démontre avec force que l’être humain n’est jamais un tout-gentil ou un tout-méchant. L’enfance, le besoin de survie forcent son histoire.  Même les gentils ont de grosses parts d’ombre et du sang sur les mains… Difficile de se défendre contre la violence sans y avoir recours quand on est dans un pays en guerre.

- Il démontre aussi l’injustice du monde : notre société riche et paisible, et de l’autre côté, la guerre et la misère. Calais représente bien cet « entre deux mondes. »

📌 Un roman éblouissant et magnifiquement documenté.

Olivier Norek est un vrai conteur mais aussi un pédagogue.

Se passionner pour une histoire, s’attacher à des personnes et en même temps, s’ouvrir, s’interroger, se grandir ! Que demander de plus à un auteur ?

Deuxième roman que je lis après « Les guerriers de l’hiver » et là encore il force mon admiration !

Gros coup de cœur ….

Merci à tous ceux et toutes celles qui me l’ont conseillé.

 

Extraits

📌 « Sous les yeux de Bastien, des dunes à perte de vue, sur près d’un millier de km2, entourées d’une forêt épaisse. De là, où il se trouvait, personne n’aurait pu dire de quoi était fait le sol, chaque espace libre étant occupé par des tentes et des baraquements fragiles, faits de métal rouillé par la pluie, de morceaux de bois et de bâches en plastique. Toutes ces habitations suivaient la courbe des dunes et donnaient l’impression d’un océan agité de vagues de détritus. »

📌 « _ Mais, s’ils la veulent, leur Angleterre, de quel droit, on les retient ici ?

_ Les accords du Touquet (2004) . Le texte place la frontière de l’Angleterre en France, à Calais, et pas à Douvres. Et pour que ça reste comme ça, les britishs paient cher. »

📌 Ousmane, le chef soudanais dans la jungle

« Tu ne sais pas grand-chose de moi, Adam, et c’est bien comme ça. J’étais soldat. J’ai tué des hommes, et d’autres qui ne l’étaient même pas encore. Je n’ai pas eu le choix. Mais eux aussi avaient un père qui doit me haïr, ou me chercher. Ça n’a pas de fin. Nous sommes tellement de personnes différentes dans notre vie. Père, assassin, ami. »

📌 La difficulté pour un flic aussi de travailler sur la jungle. Laisser les migrants dans leur ghetto pour protéger les gens, les transports et l’économie

« C’est notre ville qu’on essaie de tenir à flot. On joue aux épouvantails, je vous ai jamais dit que c’était du bon boulot de police. »

📌 « A partir de ce jour-là, je suis devenu son chien, toujours collé à sa cuisse. J’étais bien traité. Je mangeais à ma faim. Sans avoir à échanger tous ces bienfaits contre du sexe. »

📌 « Octobre 2016

Le gouvernement, en fin de mandat, avait décidé du démantèlement complet de la Jungle. Une tâche sur la carte du pays, devenue trop visible, trop gênante pour une ré élection »