mercredi 8 janvier 2025

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C’est sans doute l’énergie du désespoir qui pousse Jessie à raconter son histoire, son mal-être à son adolescent de fils, Marco. Espérer établir un vrai lien avec lui, le ramener après une fugue de trois jours.

« Il est en dépression. Et moi, ça me rend méchante de le voir comme ça. « Le jour où je t’ai conçu, j’aurais mieux fait de me pendre » je lui ai dit. Et je le pensais. Parce ce que s’il meurt demain, je meurs aussi, mais il est la première cause de mes angoisses quand je me lève le matin et quand je me couche le soir. Lorsque tu as un gamin qui n’est pas heureux, qui te renvoie en permanence l’image de tes échecs, tu te dis merde, pourquoi, j’ai fait ça ? »

📌Le troisième soir, son fils l’appelle, il faut qu’elle vienne tout de suite. Elle le récupère en voiture, puis roule au fil des souvenirs, des monologues.

Expliquer à Marco, se livrer complètement, tout raconter, même l’indicible…

Le viol qu’elle a subi à 18 ans, où elle a jugé qu’elle en était responsable, puis son mépris d’elle-même, de son corps, sa fuite en avant…

On en sait beaucoup sur elle, très peu sur Marco qui reste plutôt silencieux. Lors de certaines confidences « cash », trop « cash » de Jessie, on sent, on entend, le haut-le-cœur du gamin.

Jessie va-t-elle parvenir à instaurer un vrai dialogue avec son fils ?

« Je ne savais pas comment lui faire comprendre qu’on était les mêmes, des handicapés des sentiments, des gens qui ne savent pas se confier, des qui préfèrent se taire. »

📌 Une histoire semblable à des milliers d’autres, mais le thème principal de l’incommunicabilité est traité avec tellement de justesse et de finesse, que le récit se lit d’une traite.

Que faire quand l’incommunicabilité s’installe dans la famille ?

Toute vérité est-elle bonne à dire ? Et surtout, à quel moment et en quels termes ?

Dire nos failles, nos cassures à nos enfants afin de se rapprocher d’eux, afin qu’ils aillent mieux ou au contraire, les enfouir en sachant que le moment n’est pas venu, que le remède est pire que le mal ? Il faut être fort pour entendre Jessie…

📌 C’est aussi le sujet de l’acceptation de soi-même, de sa propre considération.

Jessie l’a perdue quand elle s’est fait violer.  Elle n’en a parlé à personne. Un livre sur le silence, les fêlures, sur ce qu’on n’arrive pas dire aux amis proches, à la famille. Le poison du silence qui accentue la dégringolade et précipite la parole, le trop-plein.

Mathieu Palain s’interroge, nous interroge dans cet excellent roman porté par une écriture juste et précise.

Merci aux Éditions l’Iconoclaste.

 


samedi 4 janvier 2025

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Huis-clos bouleversant entre la mère et sa fille, accentué par le tutoiement de la narratrice à la petite fille.

📌 Les années d’après-guerre 

Fanny est une mère célibataire, et elle assume avec fierté sa situation. La petite Marion est née d’un père allemand, mais il ne faut pas en parler :

« Elle t’a dit aussi qu’il était allemand, ton père, mais qu’il ne faut pas en parler, ma chérie. Jamais. A personne. C’est un secret. »

Marion, qu’elle appelle Funny-face, une façon de s’approprier l’enfant avec un prénom proche du sien, car Fanny est complètement seule avec sa fille. Les ponts sont coupés avec sa famille, pas d’amis, pas d’amoureux. Elle tolère seulement la présence épisodique de sa tante Élisa, qu’elle méprise et raille constamment.  Elles vivent toutes les deux, repliées dans leur minuscule appartement parisien :

« Oui, vous êtes heureuses toutes les deux, ta mère et toi ; heureuses d’un bonheur lumineux, singulier, bien à vous. Un bonheur si naturel qu’on ne penserait pas qu’il puisse s’arrêter. »

Mais déjà à sept ans, Marion voit bien que sa mère est différente des autres mamans. Une mère qui clame son mépris contre les petits bourgeois, qui en fait toujours trop, qui clame sa différence. Même quand elle chante : « Elle chante avec les autres. Fort. Bien plus fort : on n’entend qu’elle, et tu meurs de honte de ce chant qui se distingue, de ce chant hors normes, qui vous sépare, qui vous isole. Les gens se retournent, la regardent. Tu vois bien qu’ils sont étonnés. Elle chante en latin, avec une prononciation bizarre, en articulant exagérément cette langue incompréhensible, cette langue de fous, qui lui plait, tu le sens, et tu as l’impression qu’il y a là une connivence qui te dépasse, qui te fait peur. »

Une mère fantasque qui traverse les rues, sans se soucier des voitures, en traînant Marion, morte de peur.   

En grandissant, elle comprend que sa mère est malade. Désormais, c’est elle, l’adulte, qui protège, qui se tait quand sa mère ne prend pas la totalité de son traitement. Les troubles psychologiques de Fanny ne feront que s’amplifier, avec des séjours réguliers en HP.

Marion prend peur quand les crises de démence se présentent, d’autant plus que l’agressivité est désormais dirigée contre elle. Elle n’est plus la fille de Fanny, mais une autre femme, une concurrente, contre qui Fanny dirige sa violence.

Terreur, souffrance, honte et dégout. Puis culpabilité de la honte qu’elle éprouve. Car l’amour absolu qu’elle éprouve pour sa mère est toujours aussi fort.

Un univers oppressant et douloureux qui petit à petit se referme sur l’enfant puis l’adolescente.

📌 Une analyse de l’intime parfaitement bien saisie. Un scénario angoissant qui m’a fait lire le récit d’une traite. Une écriture fluide et précise, presque visuelle tant les personnages évoluaient sous mes yeux.

J’ai moins aimé la narration avec le « tu » qui apporte une certaine lourdeur au récit. Le « je » de l’enfant, puis de l’adolescente aurait été encore plus percutant, il me semble...

Puis, je n’ai pas compris l’attitude et surtout la brève remarque finale du médecin qui suit Fanny. Un jugement qui remet en cause la souffrance de l’adolescente….

Exceptés ces légers bémols, j’ai adoré ce roman et le recommande à tous ceux qui apprécient les analyses psychologiques travaillées et accomplies.

Un roman particulièrement réussi qui reste en tête, longtemps après l’avoir refermé.