mardi 12 décembre 2023

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Comment sensibiliser l’opinion publique, quand on est un journaliste engagé, de l’oppression d’une population, dont tout le monde se fiche ou presque ? Comment alerter l’opinion internationale qu’un « génocide se déroule sous nos yeux, lentement mais sûrement. »

C’est le pari d’Eric Darbré et de son complice illustrateur Eliot Franques, avec cette BD pédagogique, facile à lire, mais surtout pas simpliste. Particulièrement bien documentée par une expérience terrain significative (depuis 1996), que l’auteur nous propose de suivre.

Bien sûr, on sait vaguement qu’il s’agit d’une minorité opprimée et que c’est situé à l’extrême ouest de la Chine, dans la province du Xinjiang (3 fois la France) mais nos connaissances sont vite limitées.

 

Qui sont-ils ?

L’ethnie majoritaire chinoise, ce sont les Hans. Comme les Tibétains, les Ouïghours sont une minorité ( 11 millions de personnes) : « Ils sont musulmans,  écrivent avec l’alphabet arabe, parlent une langue turcophone et ne se considèrent pas du tout chinois. Pékin en a conscience et envoie des millions de colons hans pour siniser la région. »

La population est installée en Chine depuis plus d’un millénaire, colonisée par les chinois au 18ème siècle. Elle se révolte fréquemment et en paie le prix fort surtout depuis 2014. Une date phare  (l’équivalent du 11 septembre aux USA) : le 3 janvier 2014. Un attentat dans la gare de Kunming, au sud-ouest de la Chine. Aussitôt, le gouvernement chinois l’attribue aux Ouïghours.

Xi Jinping, alors au pouvoir depuis moins d’un an, déclare : « nous allons lutter sans aucune pitié contre le terrorisme, l’infiltration et le séparatisme. Je donne l’ordre de rafler toux ceux qui doivent l’être. »

Depuis, on estime à plus d’un million, les Ouïghours détenus en camps de concentration, sans compter les viols, les tortures, les avortements forcés, les condamnations à mort. Pékin explique qu’il s’agit d’un « combat légitime contre les terroristes. »

Eric Darbré choisit d’emmener le lecteur dans ses différents reportages dans le Xinjiang. Enquêtes dangereuses et difficile dans une région où tout est cadenassé par la police omniprésente, par la corruption (« c’est si facile de corrompre quelqu’un quand on a le ventre vide »).  Difficile aussi de ramener des témoignages directs : «comme ceux des paysans Ouïghours expropriés et réduits à l’état de quasi- servage ». Une femme qu’il a réussi à interroger, explique : « Cette terre ne nous appartient plus. Elle a été donnée aux chinois maintenant. Si je ne ramasse pas plusieurs kilos de coton par jour, je suis punie. »

Il faut comprendre aussi que la province du Xinjiang était autonome jusqu’en 1950. Une situation vécue par les grands-parents et toujours présente dans la mémoire des Ouïghours.

Étonnamment, « on y trouve les plus grands gisements de pétrole, de gaz, de charbon et d’uranium du pays. Il y a aussi à foison du cuivre, du plomb, du zinc, de l’or, de l’argent… (…) Sans oublier des terres agricoles fantastiques : premier producteur de tomates, deuxième pour le coton… Bref, cette région c’est un peu la caverne d’Ali Baba. Un trésor unique. Et ça, Pékin ne le sait que trop bien. »

Eric Darbré nous sensibilise aussi quant à notre responsabilité concernant les produits Ouïghours exportés à un prix de misère. Comme le coton utilisé pour son exceptionnelle qualité par la haute couture. Comme les tomates servies en sauce et en produits dérivés, par la marque Chablis.

A compter de 2020, seulement,  les instances et médias internationaux s’intéressent à la crise Ouïghour. Car c’est également un enjeu géo- politique : « les Ouïghours devenaient un enjeu stratégique international. Et potentiellement, un atout pour affaiblir la Chine qui se muait en géant économique et politique. »

Le graphisme est dépouillé, en harmonie totale avec le texte. Très riche, diversifié et colorisé selon les situations. Un talent particulier pour rendre compte des scènes dramatiques, esquissées et renforcées par les couleurs rouges ou sombres. Également pour la représentation des populations (je pense notamment aux pages 80 / 81 et 112/113).

 

Ce docu graphique nous permet de comprendre en profondeur la crise Ouïghour avec tous ses enjeux. Il nous grandit en ouvrant notre connaissance mais aussi notre cœur, à une population en souffrance et en menace de mort.

Une véritable réussite !

 

 

 

 

 

 
 

 

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