dimanche 28 septembre 2025

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Avant d’évoquer « Le livre de Kells », retour sur le précédent ouvrage de l’auteur, « L’enragé », où un gamin était injustement détenu à la colonie pénitentiaire de Belle-Ile. Rien ne pourra le rattraper…

Ce gamin, c’est lui, c’est Sorj Chalandon, un enragé aussi.

📘 On va beaucoup mieux comprendre dans ce roman autobiographique consacré à sa jeunesse, sa rage, sa révolte et sa souffrance. Ainsi que son besoin viscéral de liberté, de justice, d’idéal et d’amitié. De revanche aussi sur son enfance, maltraitée par l’Autre, son père, violent, raciste et antisémite, abandonnée par sa mère faible et lâche.

📘 Deux parties rythment ce récit : la rue, période qui dure une année, et la résistance avec les militants gauchistes qui lui apporteront la famille qu’il n’a jamais eue.

« Sans mot, sans serment, sans sermon non plus, un ballet de jeunes militants gauchistes m’avait doucement entraîné de l’isolement à la fraternité. »

📘 A 17 ans, il fuit la maison. Sans rien. C’est la rue qui l’attend.  « La rue va te bouffer, mec. »

Difficile avec mes mots d’observatrice d’en raconter la dureté, l’épreuve qu’elle représente et que l’auteur raconte avec précision, sans mélo.  Une expérience qui l’a marquée au fer rouge car il donne l’impression de la revivre encore…

« Je n’ai pas connu l’odeur du bonheur. J’ai appris celle du malheur, de la sueur, du linge mal séché, de la pisse. Et aussi de la merde contre les murs de la ville. Je connais le tabac froid, le mauvais alcool sur les lèvres qui cherchent les miennes. Je connais l’odeur du vomi, celle du bout de la nuit. (…) Tu vois, Maman, en te détournant de mes peurs, tu m’avais préparé à celles qui m’attendaient. On silence m’avait prévenu. Les monstres cachés sous mon lit d’enfant ne me laisseraient jamais en paix. »

Il s’appelle désormais « Kells » : le nom et la couverture d’un livre ( « le Livre de Kells », de l’an 800) dont la beauté et la force l’avait impressionné.

📘 Par hasard, il se retrouve au centre des manifestations violentes de « la Gauche prolétarienne ». Dont l’organisation et le journal sont désormais interdits, dont le chef, Alain Geismar est en procès devant la cour de Paris.

Une violence qui lui convient, où il peut enfin exprimer toutes les révoltes de l’enfance. Petit à petit, les copains gauchistes lui trouvent un toit et lui, de petits boulots.

« J’avais un toit.

J’avais une adresse. J’avais une boîte aux lettres.

J’ai un toit, je l’ai répété à voix haute.

J’aurai un travail.

C’était vertigineux.

Je venais de quitter la rue. »

Le marginal, l’exclu, l’invisible, retrouve l’amitié et surtout la dignité. Il s’instruit, il aide les militants mais aussi les émigrés d’un bidonville parisien.

📘 Une autobiographie lucide, bouleversante, sans apitoiement, portée par des phrases courtes, un vocabulaire riche et précis.

Un roman quelquefois décrié : « il se raconte encore ! ».

Beaucoup plus qu’une autobiographie, c’est un arrière-plan sociologique et politique, la photo d’une époque, de 1969 à 1973.

C’est surtout, en se racontant aussi bien, une leçon de vie qu’il nous apporte. Un hommage à l’amitié sincère et une preuve par 9, que seule la chaleur humaine peut panser les plaies de l’enfance, et quelquefois les guérir…

Seul (léger) bémol : pourquoi cette couverture aussi laide ?  

💙Un gros coup de cœur, comme vous l’avez compris. 

Merci à NetGalley et aux éditions Grasset.  

 

Extraits

 📘« Ils plaignaient ma mère et n’aimaient pas l’Autre. Compassion pour elle, colère contre lui. Alors ils avaient pris en pitié leur jeune voisin. Parce que leur fils veillait sur moi en frère, comme le Jacques du roman de Daudet.  Ils m’appelaient entre eux LE PETIT CHOSE, c’était de la bonté. »

 📘 « La rue va te bouffer, mec. »

 📘« _ Résistance ! j’ai crié.

Et aussi :

_ Liberté !

Plus fort encore, les mains en porte-voix.

J’aimais ce mot.

Je l’avais murmuré enfant, prostré sous les coups de l’Autre. Je l’avais répété des nuits entières en rêvant de m’enfuir. »

📘 « Le livre de Kells. Chef-d’œuvre du catholicisme irlandais, ce manuscrit a été rédigé en l’an 800 par des moines de la culture celtique sur 185 peaux de vaux mort-nés. Il avait été impressionné par l’histoire de ce trésor. Moi, j’ai été sidéré par sa beauté. (…) J’avais été saisi par la force de ce dessin. Et j’ai su qu’il m’accompagnerait désormais. »

📘« Je n’ai pas connu l’odeur de ma mère. Jamais senti la tiédeur de son cou. Je ne me suis jamais réfugié dans ses bras. »

📘  « Je n’ai pas connu l’odeur du bonheur. J’ai appris celle du malheur, de la sueur, du linge mal séché, de la pisse. Et aussi de la merde contre les murs de la ville. Je connais le tabac froid, le mauvais alcool sur les lèvres qui cherchent les miennes. Je connais l’odeur du vomi, celle du bout de la nuit. (…) Tu vois, Maman, en te détournant de mes peurs, tu m’avais préparé à celles qui m’attendaient. On silence m’avait prévenu. Les monstres cachés sous mon lit d’enfant ne me laisseraient jamais en paix. »

📘 « Comme un gamin perdu de colonie pénitentiaire, qui s’évade d’un autre siècle, il me fallait imaginer ce que le mur de ma prison cachait. Ce qui m’attendait de l’autre côté. Ce que je deviendrais sans vous, sans la violence de l’Autre. »

📘 « Nous étions trop fragiles. Fille violée, garçon battu. »

📘 « Cognant l’un, l’autre, un troisième avec la haine de la rue. Ni mao, ni royaliste, rien de tout cela. Un enragé lâché contre une menace. (…) Je ne défendais pas une idée ni une idéologie, mais un territoire. Un bout de trottoir et une amitié. J’étais un chien fou libéré de sa laisse. »

 

« Sans mot, sans serment, sans sermon non plus, un ballet de jeunes militants gauchistes m’avait doucement entraîné de l’isolement à la fraternité. »

📘 « J’ai compris que je passerai ma vie à repousser la rue et ses fantômes. Mon combat m’a semblé plus réel que celui de Marc, de Daniel ou des autres. Un toit sur la tête, des études en poche, ils combattaient pour l’égalité, la dignité. Ile luttaient pour les autres. Pour ceux qu’ils n’étaient pas. »

📘 « J’avais un toit.

J’avais une adresse. J’avais une boîte aux lettres.

J’ai un toit, je l’ai répété à voix haute.

J’aurai un travail.

C’était vertigineux.

Je venais de quitter la rue. »

📘 « Daniel m’a appris à regarder leurs films, à trembler sans honte, à rire et à pleurer. »

📘 « Enfant, je n’avais jamais été étreint par l’amour de ma mère. Ni ses bras autour de mon corps, ni ses mains sur ma peau. Jamais non plus je ne m’étais blotti contre elle. »

📘 « Contrairement à Marx l’économiste, Mao se lisait comme des accroches publicitaires. Idées fortes, phrase simple, slogan percutant. (…) J’ai parcouru les 347 pages comme on s’informe du menu dans un restaurant »

📘 « Haine pour le patron qui a déraciné ton père. Haine pour notre pays qui lui avait promis une vie digne. Haine pour ceux qui profitent de votre dénuement. Haine de ceux qui vous rejettent. Haine aussi pour ceux qui vous pourchassent comme du gibier. »

📘 « Avant de comprendre que ma rage était une revanche. Sur mon enfance, sur la rue, sur tout ce qui m’empêchait de marcher propre et droit. »

📘« Depuis l’année précédente, le Front National était passé à l’attaque. C’était un nouveau parti nationaliste, frère d’armes d’Ordre Nouveau. Il se voulait moins voyant, plus respectable. »

 

 

 

 

 

 


samedi 27 septembre 2025

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C’est son histoire que raconte Reza Sahibdad, réalisateur et scénariste

📗Il fait partie de la communauté chiite Hazara, rejetée en Iran comme en Afghanistan…

Une seule possibilité, fuir et demander l’asile politique en France.

📗 Mars 2010 – OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides).

Pour obtenir sa demande d’asile, il doit raconter son histoire à la Juge assistée d’un interprète.

« Alors, j’ai commencé à raconter mon histoire à la gardienne du château avec l’espoir d’en obtenir les clefs. »

Il raconte son enfance, le rejet, l’obligation de partir, le parcours du combattant immigré, son arrivée en France en 2008, les campements dans les quartiers nord de Paris…

Une seule lumière, essentielle bouffée d’oxygène, l’amour du cinéma.

Un récit de 4 heures devant la juge et ensuite l’attente. L’attente infernale de plusieurs mois. Demande acceptée ou refusée ?

« Et voilà, après ça, j’ai été transféré dans un foyer en Picardie, et puis j’ai fini par avoir mon entretien avec la juge de l’OFPRA.

Il a duré plus de quatre heures.

Après ça, j’ai attendu la réponse pendant 6 mois, durant lesquels un nouveau personnage a fait son apparition dans mes cauchemars : la boîte aux lettres. »

📗 Un plaidoyer remarquablement porté par le graphisme de Yann Damezin, qu’on adore ou qu’on déteste. Personnellement, j’aime beaucoup, pour l’avoir découvert dans « Majnoun et Leïli. »  Prix Orange 2023.

Le dessin particulier, très personnel, poétique et sensible de Yann Damezin  : stylisé à la mode perse parfaitement harmonisé au scénario.

Fonds et dessins dans la même palette de couleurs. Essentiellement verts, mais aussi noirs, bleus et rouges, ceux que j’ai préférés.

📗 La couverture est carrément somptueuse : 💚💚💚dans les tons verts et noirs, avec un marquage or à chaud. Une BD qu’on a plaisir à tenir entre les mains, à caresser doucement. Plaisir sensuel de l’ouvrage.

📗 Bien sûr, je n’ai pas eu le même éblouissement, la même claque qu’avec Majnoun, où Yann Damezin était seul aux manettes, mais ce binôme, Sahibdad et Damezin fonctionne très bien, pour le plus grand plaisir du lecteur.

📗 Une lecture passionnante pour la découverte de l’ethnie Hazara et la prise de conscience du besoin vital de l'asile politique. 

 

Extraits

📗 « Alors, j’ai commencé à raconter mon histoire à la gardienne du château avec l’espoir d’en obtenir les clefs. »

📗 « Mais bon, en Afghanistan, c’était invivable pour nous. On appartient à l’ethnie minoritaire Hazara, et on était chiites dans un pays sunnite. C’est pour cela qu’on a décidé d’émigrer en Iran : ils sont chiites come nous, et ils parlent notre langue… Si on avait su que les iraniens nous détesteraient presque autant que les afghans ! »

📗 « Ce jour-là, quand Younès a levé la main, son instituteur lui a dit qu’il ne pourrait pas revenir en classe. Comme ça, arbitrairement : l’accès à la scolarité des gens comme nous était soumis au bon vouloir des enseignants. Mes parents, pour qui l’instruction était très importante, ont alors décidé de l’envoyer à l’école religieuse la journée, et à l’école pour adultes, le soir. Il y était le seul enfant. »

 📗 « Et voilà, après ça, j’ai été transféré dans un foyer en Picardie , et puis j’ai fini par avoir mon entretien avec la juge de l’OFPRA.

Il a duré plus de quatre heures.

Après ça, j’ai attendu la réponse pendant 6 mois, durant lesquels un nouveau personnage a fait son apparition dans mes cauchemars : la boîte aux lettres. »