lundi 31 mars 2025

💙💙💙💙💙


📕Difficile d’être à la fois claire et concise tellement cette BD est riche et presque insaisissable, comme le monde de l’imaginaire qui l’enveloppe : un gros nuage, tantôt doux et tantôt menaçant.

Un royaume de contrastes parfaitement maîtrisés, tant dans le scenario que dans le graphisme.

📕Une BD tendre, poétique et violente à la fois : 

- Tendre par l’amour entre la mère et ses enfants, par le regard et les questions de deux petites filles, ainsi que par leur proximité ; poétique car le lecteur partage leur imaginaire.

- Violente car la réalité reprend vite le dessus, car le passé et les cauchemars reviennent au galop, menaçante par le contexte historique et social de la montée du franquisme en Espagne.

📕L’histoire :

L’Espagne des années 30. Il ne fait pas bon être une mère célibataire à ce moment. Inès n’a que crainte : qu’on lui enlève ses deux petites filles. Par conséquent, elle les maintient recluses dans l’appartement, ne pas faire de bruit qui pourraient alerter des voisins malveillants comme la vieille Apolonia.

Le soir, Inès disparaît enveloppée dans un grand châle aux motifs de papillon de nuit, le « saturnia »

« _ Oh ! On dirait un papillon… Un saturnia !

_ Qu’elle est belle ! Un saturnia géant ! »

Un châle qui protège mais dissimule aussi la vérité et le passé…

Les deux petites s’interrogent, cherchent à comprendre, questionne le chat qui les visite régulièrement avec des messages…

Inès recueille Clavel de Luna, (Œillet de nuit) un jeune travesti tabassé par les milices franquistes.

📕Une ambiance troublante, obsédante mais magnétique qui demeure longtemps dans la tête après avoir refermé le livre. Et cela grâce aussi à la richesse du graphisme.

Je n’avais jamais vu un trait comme celui d’Alberto. Dans les tons pastel, qui deviennent très foncés, voire cauchemardesques dans les scènes difficiles. Imprégné de l’univers japonais et cinématographique, avec des gros plans impressionnants. Comme celui de la vieille usurière, page 23. La méchanceté est incarnée dans ses traits...

Saisissant, puissant, original ! Un gros coup de cœur ! 

Merci  aux éditions Sarbacane pour la découverte de cet auteur.

 


mardi 25 mars 2025

💙💙💙💙


 


👱Une BD passionnante à double titre :

- La connaissance d’un tragique fait historique :  la sélection de bébés aryens dans des maternités conçues à cet effet, les Lebensborn.

« Ces maternités étaient appelées LEBENSBORN. C’est un néologisme. Leben : vie + Born : fontaine / source en allemand ancien. Des fontaines de vie ! Un joli mot pour cacher des horreurs ! »

Voir à ce propos, les terribles romans de Sarah Cohen-Scali, « Max » et de Caroline de Mulder, « la pouponnière d’Himmler ». Éditions Gallimard

- Et la réalité appréhendée de l’intérieur puisque la mère de l’autrice, à moitié norvégienne, est elle-même un bébé Lebensborn.

👱 De nombreux sujets sont abordés dans cette BD :

- Le programme méthodique des Lebensborn : la fonction principale de certains soldats était « d’engrosser » de jeunes femmes blondes, aux yeux bleus, de les convaincre d’accoucher dans des maternités spéciales et ensuite de faire adopter les enfants « racialement valables », en Allemagne…

« Leur vraie mission (qu’on a su plus tard) était de vivre une, voire des amourettes avec de jeunes norvégiennes racialement valables selon Hitler… Pour fabriquer des enfants aryens et les ramener à la nation. »

De vrais enfants, de « pure race aryenne », conformes aux souhaits d’Hitler et d’Himmler.

« Dans une première vie, Himmler a été ingénieur agronome et éleveur de poules. Il est alors obsédé par la recherche de la race pure, obsession qu’il va transposer aux hommes, qu’il considère comme des animaux humains. »

- L’urgence de vivre et d’aimer, en situation de guerre…

« Amoureuse ou pas, c’était surtout une toute autre époque, le début des années 40 ! On venait d’une famille rigide, très luthérienne. On ne parlait pas des choses du sexe.

Mais les conditions sont différentes pendant la guerre… Il y avait comme un sentiment d’urgence dans l’air ! Il s’agissait de vivre pour aujourd’hui. Demain, nous risquions d’être morts ! »

- La condition des femmes et surtout celle des naissances non désirées, la pression des familles, la honte d’être une mère célibataire. Surtout quand le père est allemand…

- La situation tragique de ces bébés, de ces enfants à la fin de la guerre : les bébés de la honte, dont personne ne veut plus entendre parler.

« Les enfants « lebensborn » étaient devenus les parias de la société. Placés en instituts ou maltraités. Personne ne voulait en entendre parler. »

La même omerta a été constatée dans l’Allemagne d’après-guerre pour l’ensemble du nazisme. Le sentiment de honte de la part des Allemands pour cette période maudite. Oublier, cacher…

👱Le graphisme ne m’a pas emballée mais il accompagne sobrement et justement le récit. Il le met en valeur, et à la limite, c’est le plus important.

Une BD qui permet de mettre en lumière, l’eugénisme dans toute son horreur, sans oublier les réflexions sur l’adoption, sur les séquelles laissées aux familles.

 

Extraits

👱« Ces maternités étaient appelées LEBENSBORN.

C’est un néologisme.

Leben : vie + Born : fontaine / source en allemand ancien

Des fontaines de vie !

Un joli mot pour cacher des horreurs ! »

👱 « Amoureuse ou pas, c’était surtout une toute autre époque, le début des années 40 ! On venait d’une famille rigide, très luthérienne.

On ne parlait pas des choses du sexe.

Mais les conditions sont différentes pendant la guerre…

Il y avait comme un sentiment d’urgence dans l’air ! 

Il s’agissait de vivre pour aujourd’hui.

Demain, nous risquions d’être morts ! »

👱 « Tu seras prise en charge par le parti et même chouchoutée ! On a notre propre maternité, pas loin à Hurdal…

La meilleure !

Ils peuvent s’occuper de toi, maintenant.

On apprendra par la suite que Paul reçut une prime pour l’annonce de cette grossesse. »

👱« Leur vraie mission (qu’on a su plus tard) était de vivre une, voire des amourettes avec de jeunes norvégiennes racialement valables selon Hitler…

Pour fabriquer des enfants aryens et les ramener à la nation. »

👱« Elle en était sortie avec un document tamponné.

Certifiée « racialement valable »

Paul avait dû aussi faire des examens et prouver qu’il n’avait aucun juif dans sa lignée. »

👱« Il y avait entre 80 et 100 bébés sur place en même temps.

Une vraie usine à fabriquer des « BÉBÉS PARFAITS. »

 👱« Les enfants « lebensborn » étaient devenus les parias de la société. Placés en instituts ou maltraités. Personne ne voulait en entendre parler. »

Pages documentaires

👱« C’était tellement terrible, cette guerre, qu’on a voulu tourner la page en laissant tout cela dans l’ombre, pour aller de l’avant et faire la paix. »

👱« Dans une première vie, Himmler a été ingénieur agronome et éleveur de poules. Il est alors obsédé par la recherche de la race pure, obsession qu’il va transposer aux hommes, qu’il considère comme des animaux humains. »

 👱« La femme, comme machine à bébés. Nombre d’entre elles voient dans les Lebensborn une façon d’échapper à la honte. »

 👱« Au total, les nazis mettent en place une trentaine d’établissements. Ces centres sont de taille et de nature variables : simple bureau administratif, maternité ou foyer. »

La majorité est d’abord en Norvège puis en Allemagne. Il y en a un en France, dans l’Oise : le manoir de Bois Larris


dimanche 23 mars 2025

💙💙💙💙💙

C’est quoi, ne pas se renier ?

Être fidèle à ses origines africaines en pleine ségrégation ou choisir la voie qui correspond à sa personnalité, à ses désirs profonds ?

📌Belle Greene a choisi. Elle cache ses origines africaines pour les remplacer par des origines portugaises et transforme son nom Grenner en Da Costa Greene.

Car c’est une jeune femme passionnée de littérature et de livres rares. Elle a tout pour donner un sens à sa vie d’autant plus qu’elle est talentueuse, déterminée et ambitieuse.

Sauf que…

Elle est métisse, et en ce début du XXème siècle aux USA, la ségrégation s’exerce fortement. Une seule goutte de sang noir parmi les ancêtres suffit à la classer du mauvais côté de la balance…

C’est la règle : « La One Drop Rule, règle de la goutte unique, signifie que toute personne ayant une trace visuellement perceptible d’ascendance africaine, ou ce qu’on appelait autrefois « nègre », était tout simplement considérée comme noire ».

Elle va travailler en tant que bibliothécaire, puis très vite intègre la Morgan Librairy dirigée par JP Morgan, un financier bien plus intéressé par les incunables que par la finance.

L’alchimie se crée parfaitement entre eux : le talent de négociatrice de Belle, ses connaissances et les moyens mis à sa disposition.

Une belle amitié, et sans doute un amour platonique malgré la différence d’âge.

L’expertise de Belle est reconnue, célébrée.

📌Détermination farouche et sacrifices essentiels.

Mais c’est dur de renier ses origines. La peur est constante et les sacrifices, très lourds : elle se coupe de la cause noire et ne veut pas de descendance. Sacrifice d’autant plus douloureux qu’elle impose le même diktat à ses sœurs. Ne pas connaître l’amour, ne pas avoir d’enfant de l’homme aimé.

Il lui faudra l’expliquer à son neveu qu’elle a adopté : « Tu crois que j’occuperais ce poste la Morgan Library si j’avais été noire ? »

📌 Un magnifique portrait de femme tiré de l’histoire réelle de Belle Grenner. Une figure de courage, de sensibilité et d’envie de vivre. Pas survivre comme elle l’aurait fait en respectant la règle de la goutte de sang unique.

📌 Le graphisme est somptueux : un dessin travaillé, très expressif, de magnifiques planches colorisées et aérées, en parfaite harmonie avec le texte. Les explications documentaires en fin d'ouvrage sont passionnantes.

📌 Je connaissais le roman d’Alexandra Lapierre « Belle Greene » mais la BD sublime encore cette histoire.

Extraits

📌 « La One Drop Rule, règle de la goutte unique, signifie que toute personne ayant une trace visuellement perceptible d’ascendance africaine, ou ce qu’on appelait autrefois « nègre », était tout simplement considérée comme noire ».

📌 « Changer radicalement de vie et vous taire à jamais. Vous n’y gagnerez rien, au contraire. C’est en se reniant qu’on perd tout, réfléchissez ! »

 📌 « Un seul ancêtre noir, une seule goutte de sang noir vous classifiera comme nègres dans leurs registres… Si vous êtes découverts, c’est la prison ! Vous pourriez même vous faire lyncher sur le champ ! »

📌  « Ne perdez jamais l’amour des livres. Ils ne vous trahiront jamais. »

 📌 « Mais regardez bien autour de vous, tout ce que vous avez et qui ne vous est pas destiné, y compris vos amants…

Et attendez-vous à pleurer toutes les larmes de votre corps car vous risquez de tout perdre. »

Pages documentaires en fin d’ouvrage

📌« En décembre 1865, le XIIIème amendement de la Constitution américaine abolit l’esclavage et met fin à deux longs et sombres siècles de l’histoire américaine. Car si la citoyenneté est reconnue pour toute personne née sur le territoire et que le droit de vote lui est garanti, officieusement le peuple américain reste divisé face à la loi. Il s’agit de montrer patte blanche, au propre : un « white » ou un « colored » estampillé sur les papiers d’identité conditionne toujours une vie. »

(…) Une hantise s’empare de la bonne société américaine : la noirceur invisible. Les ségrégationnistes instaurent l’obligation pour les métis de se déclarer comme homme ou femme de couleur. Pour cela, la règle de « l’unique goutte de sang », « One Drop Rule » en anglais, sévit : une personne dont un ancêtre d’origine africaine subsaharienne apparaît dans l’arbre généalogique, même lointain, est considérée comme noire. »