mercredi 17 décembre 2025

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Les trente Glorieuses et l’histoire de Gino, petit garçon des années cinquante.

L’introduction révèle parfaitement la personnalité. (Comme quoi, finalement, on ne change pas trop au fil des ans...) Le temps d’acheter une boule de neige pour une petite fille dont il s’est enamouré, elle a disparu. Il rêve sa présence et finira par la revoir six ans après.

Elle, c’est Roxane. Pas celle d’Edmond Rostand, pourtant le prénom résonne au vu de son avenir cinématographique et de Gino, assez proche, finalement, de Cyrano. Comme lui, idéaliste et fidèle, il se projette dans un rêve inaccessible.

C'est le fils d’un émigré italien, qui a contribué à la construction du plus haut téléphérique. Il rêve, Gino, de satellites, de technologies du futur où il aimerait figurer. Mais, il ne travaille pas à l’école. C’est un gentil cancre.

« Sur mon bulletin, il y avait écrit que ce serait dur mais que j’avais des « capacités ». C’est l’un des rares compliments auxquels j’ai eu droit. D’habitude, c’était des « insuffisants », « peut mieux faire », « manque de travail », ce genre de choses. »

Plus tard, il se passionne pour le projet de l’Aérotrain et finit par y travailler en tant que manœuvre. Il aurait rêvé faire partie des ingénieurs mais, en même temps il est lucide sur ses capacités et pragmatique.

🚄 C’est une fable tendre et amère, où l’imaginaire incarné par Gino, est au premier plan. Un perdant attachant, trop idéaliste et trop rêveur pour réussir. Sa mauvaise opinion de lui-même ne l’aide pas à réaliser ses projets...

🚄 C’est aussi l’arrière-plan des années 50 à 80 où tout paraissait possible, mais pas pour tout le monde…. 

C’est aussi toute la question de savoir ce que veut dire : réussir sa vie…

🚄 J’ai apprécié l’histoire de Gino, la plume poétique de Gilles Marchand, même si cela n’a rien à voir avec l’éblouissement du soldat désaccordé. Et c’est normal, les auteurs sont des athlètes de haut niveau, ils ne performent pas à tous les coups. Et encore… certains vont adorer ce roman et ne pas être touchés par le soldat…

En revanche, les pages de publicité de l’époque qui séparent les chapitres sont intéressantes au démarrage car elles fixent la période, mais elles deviennent lourdes au fil des pages.

🚄 Je laisse le dernier mot à Gilles Marchand :

« Il m’a dit qu’il n’y avait pas que l’Aérotrain dans mon histoire, mais que c’était aussi une histoire d’amour, une histoire de famille, une histoire de fin de siècle bringuebalant. Et qu’il fallait l’écrire. »

 

Extraits

🚄 « Alors, je n’étais pas exigeant, et je me disais que je me serais bien contenté d’un rêve d’occasion, un que j’aurais trouvé sur le trottoir quand j’étais gamin. Je l’aurais retapé, un peu lustré, et j’en aurais fait un beau projet de vie. »

🚄 « Et puis, un TGV.

Tout ça, c’est un peu la même histoire.

C’est la mienne, en tous cas.

J’ai failli réussir ma vie. »

🚄 « Je crois plutôt que j’ai hérité des rêves de mon père. Il n’a pas construit un simple téléphérique, il a construit le plus haut de l’univers.

C’est ça que m’a laissé mon père. Des promesses de grandeur. Et un prénom italien. »

🚄 « Sur mon bulletin, il y avait écrit que ce serait dur mais que j’avais des « capacités ». C’est l’un des rares compliments auxquels j’ai eu droit. D’habitude, c’était des « insuffisants », « peut mieux faire », « manque de travail », ce genre de choses. »

🚄 « J’étais le mauvais élève qu’on aimait bien. Je ne faisais pas d’histoire ».

🚄 Son frère, après avoir tenté d’être photographe de guerre en Algérie :

« La mort est photogénique, mais elle aspire ton âme à chaque cliché. »

🚄 « Alors, j’ai regardé les annonces, alors je me suis fait propre ; alors j’ai déclaré à ma mère que c’était fini les conneries, alors j’ai remis mon réveil.

Je serais triste, mais debout et bien peigné. »

🚄 « J’avais remarqué que, depuis son retour d’Algérie, il n’y avait plus grand-chose qui le faisait rêver. Il avait toujours sa bonne fête mais quelque chose s’était éteint dans son regard. »

🚄 « Le 27 mai 1974, Valéry Giscard d’Estaing arrive à la présidence. Là encore, je n’avais pas vraiment d’avis. »

🚄 « De leur côté, les TGV allaient bien. On a déployé des lignes à grands vitesse dans toute la France et je dois avouer que c’est une belle technologie. Moins novatrice que celle de l’Aérotrain, mais une belle technologie. »

 🚄 « Il m’a dit qu’il n’y avait pas que l’Aérotrain dans mon histoire, mais que c’était aussi une histoire d’amour, une histoire de famille, une histoire de fin de siècle bringuebalant. Et qu’il fallait l’écrire. »

🚄 « J’ai compris à quel point le monde était allé trop vite. Certainement trop vite. Il a fini par s’emballer sans pouvoir s’arrêter. Il y a eu Internet et la réalité virtuelle, on évoque l’intelligence artificielle. Et demain ? (…) On nous a échangé nos rêves de voitures volantes contre un continent de plastique, en plein Pacifique. »

 

 

 

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Est-ce l’histoire d’un village, d’une Harmonie Municipale ou simplement l’illustration de la vie ?

Plusieurs personnages, bien différents les uns des autres, sont rassemblés autour de leur fanfare. La musique qui leur parle à l’oreille, qui les accueille sans jugement, qui répare leurs blessures.

🎵 J’ai aimé la construction de ce roman semblable à une chanson.

Le refrain, c’est le début de chaque chapitre où tout est immuable. Comme le cycle des saisons et celui de la vie.

« C’est un hiver lumineux et sec où rien ni personne ne semble vouloir mourir. Les rosiers continuaient de porter des fleurs, plus chétives qu’au printemps, moins parfumées qu’en été, aux pétales décolorés, presque transparents »

Le couplet s’anime et raconte la vie des personnages.

🎵 C’est doux et amer en même temps. Souvent épineux, quelquefois drôle et toujours finement observé. Froid comme l’hiver et les souffrances enfouies dans la neige, mais lumineux aussi comme le soleil hivernal, qui perce les brumes et réchauffe les cœurs.

Avec la vie qui cabosse mais répare aussi, au détour d’un amour qui surgit, d’une amitié improbable et pourtant bien solide

Peut-être l’oreille absolue de l’amour et le réconfort de la musique.

« C’était la musique qui décidait. Elle avait le pouvoir d’entrer dans les doigts, dans les têtes. (…) Mais surtout elle naissait d’une nécessité, celle de conjurer la tristesse des jours qui diminuent, du froid qui raidit les épaules, la lassitude des longs chemins d’hiver par les jours de grand vent, l’effroi d’anciens amants devenus mari et femme prisonniers du même toit et se haïssant. »

🎵 Je ne sais pas si j’aurais autant aimé le roman sans le bonheur de la plume de l’autrice. C’est elle qui m’a portée et séduite d’un bout à l’autre. Les phrases sont courtes, quelquefois brèves, comme si Agnès Desarthe se ménageait des pauses de silence pour mieux observer ses personnages ou rester à leur écoute.

Une écriture poétique, addictive et sensible.

Presque un coup de cœur. Il m'a sans doute manqué un peu plus de densité dans les personnages. 

 

Extraits

🎵 « C’est un hiver lumineux et sec où rien ni personne ne semble vouloir mourir. Les rosiers continuaient de porter des fleurs, plus chétives qu’au printemps, moins parfumées qu’en été, aux pétales décolorés, presque transparents »

🎵 « Le maire ne se sent pas vieux. Il n’établit aucun lien entre les chiffres qui écrivent son âge et les pensées qui occupent son esprit. L’l’électricité qui parcourt son corps n’a pas changé de voltage. Il est vif. Dans sa tête, il est toujours un très jeune homme. »

🎵 « Matis reprend son souffle. (…) Il pensait que disparaître serait une aventure. Mais une fois que c’est fait, il ne se passe rien de spécial. Ce n’est pas ce qu’il avait prévu. (…) qu’il entrerait dans une autre dimension.

Dans cet autre monde, il n’aurait pas les dents en avant entaillant sa lèvre inférieure, de grosses dents de lapin qui lui donnaient l’air idiot. Dans cette autre dimension, il aurait des bonnes notes, des bons points. (..) Il dirait : « je vais chez le dentiste » et pas : « je vais au dentis’ » et il irait vraiment ; quelqu’un prendrait rendez-vous et quelqu’un paierait pour ses dents »

🎵 « Assis sur la dune de galets, Jacques s’était demandé ce qu’il allait dire à Papa. J’ai été licencié. J’ai des tas de projets. J’ai été mis à la retraite anticipée. Jacques cherchait comment formuler la nouvelle. Il avait pensé à la mère de Viviane, qui n’avait plus sa tête depuis un moment, au père de Viviane qui était mort quinze ans plus tôt. Vivianne était tranquille, elle. Aucun compte à rendre. »

🎵 « C’était la musique qui décidait. Elle avait le pouvoir d’entrer dans les doigts, dans les têtes. (…) Mais surtout elle naissait d’une nécessité, celle de conjurer la tristesse des jours qui diminuent, du froid qui raidit les épaules, la lassitude des longs chemins d’hiver par les jours de grand vent, l’effroi d’anciens amants devenus mari et femme prisonniers du même toit et se haïssant. »

 

 


dimanche 14 décembre 2025

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Je l’avoue et assume : c’est la première fois où je me passionne pour une histoire dans l’espace.

En tous cas, on est bien loin des vastes surfaces aseptisées des films ou séries à ce propos. Car tout est compliqué dans l’espace ! L’apesanteur bien sûr, mais surtout l’exigüité !

🌎Une fuite d’ammoniac est détectée dans la station spatiale internationale.  Simple incident ou sabotage ? En tous cas, il faut en trouver la source car elle met en danger toute la station.

La commandante Lucy Poplaski, chef de l’équipage russo-américain mène l’enquête.

Sabotage russe ? Ils y ont intérêt, car ils n’ont plus les moyens de poursuivre la conquête spatiale. Alors, si la station russo-américaine, en bloc, pouvait échouer pour une cause qui resterait opaque, cela les arrangerait bien…

« Les Russes n’ont pas du tout besoin d’un succès. (…) Il leur suffit que les autres échouent également »

Ou alors, rivalités morbides entre membres américains ?

Comment ménager la susceptibilité de chaque état et surtout leur égo démesuré en matière d’espace ?

« Chaque conversation avec les Russes s’inscrit dans un contexte géopolitique. Chaque action entrainera une réaction. Soit en orbite, soit sur terre. »

Le malaise présent dès le début du roman ne fera que croitre dans cet univers en huis clos.

🌎 L’écriture est précise, fluide, et surtout visuelle. La plume d’un scénariste. La scène hors de la station est intense, et je l’ai vue se dérouler sous mes yeux comme dans un film.

🌎 Un livre riche d’enseignements. Sur le milieu spatial, sur l’environnement géopolitique, sur l’avenir de la planète Terre, sur la politique de chaque état, et même sur l’expérience très concrète – très proche du lecteur – à l’intérieur de la station.

🌎 L’analyse psychologique de Lucy est particulièrement bien fouillée : passionnée jusqu’au bout des ongles par l’espace et tout l’environnement scientifique au point d’y sacrifier sa vie personnelle.

🌎 Un roman original et puissant. Le parfait cadeau pour Noël. 💙

Merci aux éditions Métailié Noir pour cette découverte imprévue et passionnante ! 

 

Extraits

🌎 « L’immensité fascinait, terrifiait, attirait. »

🌎 « Parce que rien ne donnait un tel kif, que de voler à 13.000 km à l’heure. Parce que c’était une aventure incroyable. Parce que d’autres ne pouvaient pas, et elle si. Parce que ça confirmait qu’elle était la meilleure. »

🌎 « Les Russes n’ont pas du tout besoin d’un succès. (…) Il leur suffit que les autres échouent également »

🌎 « Lucy, l’épouse, s’avérait tout aussi fausse que Lucy l’astronaute, toutes deux crées en guise de façade devant les autres, toutes deux pesant chaque mot, contrôlant précisément leurs émotions et leurs expressions. Et toutes deux en étaient épuisées. »

🌎 « Toute action à bord de la station s’apparentait à une partie de mikado ou à la construction d’un château de cartes : si on déplaçait un élément, cela se répercutait sur les autres, et il suffisait d’une décision irréfléchie pour que l’ensemble s’écroule. »

🌎 « Il semblait que les Russes envisageaient d’abandonner la station plus tôt que ce qui était prévu par les accords bilatéraux. Ils n’avaient plus les moyens de continuer à envoyer des hommes dans l’espace et n’étaient pas en mesure de rattraper leur retard. »

🌎 « Chaque conversation avec les Russes s’inscrit dans un contexte géopolitique. Chaque action entrainera une réaction. Soit en orbite, soit sur terre. »