mercredi 3 décembre 2025

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C’est d’abord la splendide couverture qui m’a séduite, et elle est parfaitement à l’image du récit. La plume est douce, fluide, presque toujours sur la même tonalité et pourtant le récit est bouleversant et glaçant. Ce contraste maîtrisé entre les deux apporte beaucoup de puissance à l’histoire.

📌 C’est Nour qui raconte. Il a fui le Soudan, avec Adam, par la Route des Fourmis, jusqu’à la jungle de Calais. Adam a un rêve : « se rendre en Grande-Bretagne, parler anglais comme s’il était né au cœur de Londres, s’inscrire à l’université d’Oxford pour y étudier la linguistique et ensuite devenir professeur. »

Quand Nour le retrouve deux ans plus tard, il ne reconnait plus, son ami est perdu par la drogue et la misère : « C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’Adam Ingiliz avait perdu la raison, qu’il s’était fait manger comme on dit ici. »

Nour va alors tenter de reconstituer son parcours depuis deux ans à l’aide des témoignages de tous ceux qui l’ont côtoyé, qui n’ont pu oublier sa personnalité intègre et exigeante. Un homme épris de liberté, d’idéalisme, qui refuse les compromissions. A l’image de son amour pour les corbeaux : « Les pigeons sont les descendants des corbeaux. Mais alors que les premiers sont soumis, les seconds sont au contraire révoltés et sages, parce qu’ils sont plus intelligents et qu’ils ont une âme pure, si bien que le corbeau est aussi différent du pigeon que l’argile de la terre cuite. »

📌 « Les grandes douleurs sont muettes » dit Raymond Queneau. Il n’y a pas de grandes envolées lyriques ou dramatiques dans cette histoire. Pourtant, c'est un véritable cri d'amour de Nour vers Adam, la volonté de lui rendre vie en le racontant, en expliquant sa démarche et son courage. 

 « J’étais tellement triste, j’avais besoin de quelqu’un avec qui partager ma douleur et mon secret aussi, je voulais parler d’Adam Ingiliz à quelqu’un, je voulais pleurer sur l’épaule de quelqu’un, lui raconter des histoires à propos d’Adam, je n’ai pas honte de le dire : c’était mon amant, mon amoureux, le seul homme que j’ai jamais aimé dans ma vie, mon homme à moi, c’était le corbeau qui m’aimait, sans lui, la jungle aurait eu raison de moi, elle et sa misère. »

La découverte d’un auteur soudanais dont je retiens désormais le nom et surtout le talent !

Merci aux éditions Zulma

 

Extraits

📌 « Ses yeux grands et bons étaient tout ce qui me restait de mon ami de toujours. Adam Saad Saadan, qu’on avait plus tard surnommé Adam Ingiliz – Adam Angleterre. Ses pupilles étaient désormais ses seuls papiers d’identité, infalsifiables, ineffaçables. »

📌 « Ton copains ’est fait manger. Ils voulaient dire qu’il n’avait plus toute sa raison, mais ils ne savaient où il était, imaginant même qu’il était désormais dans l’autre monde. »

📌 « Oui, il était têtu et agressif, accroché à son rêve : se rendre en Grande-Bretagne, parler anglais comme s’il était né au cœur de Londres, s’inscrire à l’université d’Oxford pour y étudier la linguistique et ensuite devenir professeur. »

📌 « Nous n’étions que de misérables réfugiés qui traversaient l’Europe à pied, partis de la fameuse Route des Fourmis, cette carte qui ne figure sur aucune carte au monde, qu’aucune géographie ne mentionne. »

📌« Adam me dit :

_Les pigeons sont les descendants des corbeaux. Mais alors que les premiers sont soumis, les seconds sont au contraire révoltés et sages, parce qu’ils sont plus intelligents et qu’ils ont une âme pure, si bien que le corbeau est aussi différent du pigeon que l’argile de la terre cuite. »

📌« Le corps d’un réfugié africain non identifié gardé par des corbeaux. »

📌« En France, tant que tu n’es pas un terroriste, un extrémiste de droite ou religieux, tant que tu ne veux pas tuer des gens pour aller au paradis ou que tu n’incites pas à la haine, tu ne risques rien… Il faut juste ne pas faire de politique, les gouvernements n’aiment pas la concurrence. C’est la nature du pouvoir. »

📌« Les gens chez moi au Soudan, ont besoin de cet argent, comme les vôtres. Dès qu’un fils émigre, les besoins de la famille augmentent soudainement, parce que généralement elle lui a confié toutes ses économies. »

📌 « La jungle est un territoire libéré sur lequel règnent les lois de quatre pays : le Soudan, l’Afghanistan, le Kurdistan et l’Iran. »

📌 « C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’Adam Ingiliz avait perdu la raison, qu’il s’était fait manger comme on dit ici. »

📌 « J’étais tellement triste, j’avais besoin de quelqu’un avec qui partager ma douleur et mon secret aussi, je voulais parler d’Adam Ingiliz à quelqu’un, je voulais pleurer sur l’épaule de quelqu’un, lui raconter des histoires à propos d’Adam, je n’ai pas honte de le dire : c’était mon amant, mon amoureux, le seul homme que j’ai jamais aimé dans ma vie, mon homme à moi, c’était le corbeau qui m’aimait, sans lui, la jungle aurait eu raison de moi, elle et sa misère. »

 

dimanche 16 novembre 2025

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Quel plaisir de retrouver chaque soir, ce récit tendre, grave et drôle ! Pour moi, c’est le signe d’un coup de cœur : se réjouir à l’idée de retrouver les personnages quittés la veille.

👻 1934 - Les Montgomery, riche famille anglaise, habitent Winnicott Hall dans le Sussex. Archie, le père est archéologue et souvent absent de la maison. Lucille la mère, se soucie des apparences et s'inquiète toujours beaucoup pour son mari et son fils Georges. Ce dernier a 10 ans, il est aveugle et couvé par sa mère.

Quand il faut retrouver une nouvelle préceptrice, c’est Viviane Lombard, une Française, qui est choisie.  Par défaut. Il faut dire que cette femme n’est pas sortable, habillée comme l’as de pique et avec un franc-parler déconcertant.

« _Moi, je dis qu’il faut s’attendre à tout de la part d’un peuple qui a guillotiné son roi ! »

👻 Pourtant, l’alchimie fonctionne parfaitement entre Viviane et Georges. Tous les deux sont intelligents, ont un sens de l’humour particulièrement développé et une grande franchise. Georges se perçoit - avec l’éducation hyper protectrice de sa mère - comme un handicapé, quelqu’un qui ne pourra jamais rien réaliser...

En même temps, ce grand manoir craque, bouge au rythme des fantômes qui l’habitent. Même les plus sensés, les plus sceptiques le constatent… Et la peur grandit…

👻 Tous les clichés d’une riche famille anglaise sont réunis :  la condescendance méprisante de l’aristocratie anglaise, le rejet des Français et même le snobisme du majordome snob à l’égard des « subalternes » dont Viviane, en premier lieu. Quand cette française va-t-elle enfin être renvoyée ?

Pourtant, l’ensemble fonctionne à merveille : personnages crédibles et bien campés, suspens familial et progression de l’angoisse des habitants face aux fantômes de Winnicott Hall

Un gros coup de cœur pour Georges et Viviane, les plus attachants.

👻 Un roman sur les liens spontanés et sincères qui unissent certains êtres et les aident à grandir.

Lu dans le cadre du Jury du Grand Prix des Lecteurs 2026 des éditions Pocket.

 

Extraits :

 👻« _ t’as qu’as voir les Montgomery ! Non, mais quelle idée de quitter sa femme et son gamin pendant des mois pour aller déterrer de la vaisselle cassée et des vieux os ? Monsieur a pas mieux à faire, franchement ? »

👻« _Moi, je dis qu’il faut s’attendre à tout de la part d’un peuple qui a guillotiné son roi ! »

samedi 15 novembre 2025

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Une relecture passionnante du personnage de Milady

Plus jamais, je ne relirai la trilogie : « Les trois mousquetaires », « Vingt ans après » et « Le vicomte de Bragelonne » de la même façon…

📕Au pied des remparts de Maastricht – 1673

D’Artagnan raconte à son ami et fidèle Lieutenant Philippe, l’histoire de Milady. On sent le doute quand il explique son jugement et sa mort en 1628 ainsi que le questionnement quand il revient sur le passé, dès 1609.

Qui était finalement Milady de Winter, ou Anne de Breuil ?

Un ange venu des Enfers, ou une femme dans un contexte d’hommes qui décide de ne pas se laisser faire. Qui décide de se venger des violences subies depuis la petite enfance. Une femme complexe comme l’analyse si bien, l’autrice. Une passionnée capable du pire et du meilleur.

De plus, elle est belle et intelligente. Elle a surtout appris à composer quand on ne peut vaincre avec la force.

📕L’autrice apporte à la magnifique épopée de Dumas, les nuances qui manquaient aux trois romans.

Dans le personnage d’Athos pourtant, on perçoit la passion de cet homme entier. Il aime à l’extrême, il haït à l’extrême quand il se sent trompé ou déçu. Droit, intransigeant, voire rigide, et Anne ( Milady) souple et manipulatrice.

Dans Les trois mousquetaires, c’est le vif et  la fougue de la jeunesse. Dans celui de l’autrice, c’est la maturité de D’Artagnan et ses doutes quant au bien fondé de la mort de Milady. 

📕Le thème central est celui de la vengeance. Comment elle empoisonne et détruit la vie de celui ou celle qui la détient serrée dans son cœur. Et c’est remarquablement traité.

La vengeance a détruit la courte vie de Milady, et elle empoisonne le cœur de d’Artagnan : châtiment justifié ou crime abominable envers une jeune femme. « Ils sont dix et elle est seule. » Besoin de raconter, d’expliquer à son Lieutenant, pour peut-être faire la paix en lui…

La vengeance comme une addiction, comme moteur de vie…

📕 La voix de Milady, c’est aussi celle de toutes les femmes qui ont voulu vivre, ne pas plier face aux traditions et au patriarcat.

« Femmes coupables d’être désirantes. Coupables d’être désirées. Coupables d’être innocentes. Coupables d’être rusées. (…) Toutes condamnées pour insoumission, pour impureté, pour traîtrise, pour être nées. »

Je n’étais pas trop tentée de le lire. Je me disais encore une histoire d’héroïne, de femme revisitée… Et puis la chronique de plusieurs lecteurs m’ont fait changer d’avis, et je les en remercie.

L’autrice reprend avec beaucoup de maîtrise la chronologie du roman de Dumas. Et Comme l’auteur du 19ème siècle, elle possède un sacré talent de conteuse qui nous tient en haleine d’un bout à l’autre.

 

 Extraits

📕 « La noirceur de cette femme menue qui n’a pas vingt-cinq ans les effraie. Ils sont face à la figure vivante du démon »

 

📕 « Au bout de quelques mois, Anne prit le parti de la vie à l’abbaye. Elle fut aidée en cela par un poème déniché dans un livre que lui avait prêté le père Lamandre. L’ouvrage se terminait par ce vers : Baise la main que tu ne peux pas couper. Cette incitation à la souplesse l’avait frappée. Anne avait renoncé à se révolter. »

 

📕 « Vous avez en vous, Anne, comme tout être humain, mais de façon plus extrême que la plupart d’entre nous, le meilleur et le pire. Bien que vous ne m’ayez jamais confié ce qui vous est arrivé, les violences qui vous ont été faites enfant ont allumé un brasier que j’aurais voulu vous aider à éteindre. Ne cherchez pas à faire justice vous-même. »

📕 « La vengeance est un poison. Il faut avoir pardonner, lui a-t-on seriné tant de fois, mais comment s’y résoudre ? »

 📕 Athos

« Anne cajolait, contrecarrait, manipulait avec un instinct de survie et une facilité de dissimulation qui me choquaient. Chaque me sortie me révélait un peu plus ses véritables appétits. Je la pensais droite, et la découvrais d’une souplesse alarmante. Je l’imaginais idéale, solitaire, et elle se montrait aussi mondaine qu’aguicheuse. »

📕 « J’ignorais alors ce qu’elle cherchait à expier et ce qu’elle espérait racheter par cette abnégation. »

📕 « Louise de la Fère venait le lendemain pleurer dans mes bras, puis elle faisait bonne figure, parce que comme moi, elle y avait été dressée : ne pas se plaindre, être gracieuse, être douce, accepter, se soumettre. »

📕 Athos – Olivier de la Fère

« Aujourd’hui, je ne suis plus digne d’être Comte de la Fère. J’ai perdu ce doit en tâchant notre nom d’une union infâme, et j’ai fauté à nouveau en punissant la coupable d’une manière qui me fait honte. »

📕 « Je crus que mon cœur allait exposer. Je pris mon fils dans mes bras et le serrai avec passion. Ces mots de tendresse et de guérison, personne ne mes les avait dits avant lui. »

📕 Le comte de Rochefort

« Très vite, j’ai compris qu’elle était à part. J’ai admiré son courage. Un courage inouï. Oui, Milady était une femme dangereuse pour qui l’offensait. »

📕 Pour l’autrice, Milady représente toutes les femmes :

« Femmes coupables d’être désirantes. Coupables d’être désirées. Coupables d’être innocentes. Coupables d’être rusées. (…) Toutes condamnées pour insoumission, pour impureté, pour traîtrise, pour être nées. »