vendredi 4 avril 2025

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« Les semaines, les mois, les années qui suivent un échec en politique sont ceux qui s’écoulent après un deuil – pourquoi se mentir ? On croit ne jamais s’en remettre. Chaque sortie publique vous rappelle votre mort sociale. N’être plus qu’un acteur secondaire d’un monde où l’on rayonnait, perdre le pouvoir quand on l’a exercé, est une épreuve existentielle. »

📙Karine Tuil analyse avec une réelle maîtrise, tous les éléments du Pouvoir et son influence perverse dans la sphère sociale, mais aussi dans la sphère privée : l’hyper médiatisation, l’élitisme, la dictature de l’apparence, de la beauté, de la forme et du sexe, les jeux du pouvoir dans le couple, mais aussi la fragilité, la souffrance, l’addiction de ceux qui jouissent de ce pouvoir.

📙Le propos est juste, passionnant, très proche de la réalité de certains milieux… Édition, cinéma, médias, et bien sûr, politique. Le même milieu en fait…

Il y a un peu de François Hollande et de Nicolas Sarkozy dans le personnage de Lehman.

📙L’écriture est fluide, précise, le scénario accompli. L’analyse psychologique des personnages est intéressante, à la limite quelquefois de la caricature, mais cela n’est pas gênant, car les attitudes sont exacerbées dans une bulle élitiste, exposée à tous les vents.

📙J’ai beaucoup aimé les narrations de Marianne (l’ex-femme de l’ex-président de la République). Elle illustre parfaitement tous les dommages collatéraux de l’exposition publique : « On juge, on attaque sur le physique, sur la fragilité psychique, sur des contextes personnels, on commente les actes et les paroles des gens sur les réseaux sociaux sans penser à l’effet que cela produit sur leur vie : ça détruit. »

📙La 1ère partie, « Le capital » m’a intéressée comme la lecture d’un essai. Texte froid et sans émotion. La seconde partie « Persona » consacrée au Festival de Cannes, est beaucoup plus incarnée et dense. Là, réellement passionnante.

Cannes, illustration au scalpel d’un milieu pathologique avec Hilda, actrice et nouvelle épouse de l’ex-président : « Hilda se sentait vulnérable, fragilisée par l’image que lui renvoyait un milieu où vous n’étiez jugé que sur votre beauté, votre surface médiatique et le pouvoir économique qui en résultait : celle d’une femme dont le potentiel érotique commençait à décliner. Une femme qui devrait inévitablement, passer la main. »

La question de la mue d’un roman en film est bien posée, également. Marianne, l’autrice, ne reconnaît pas son histoire. Là où elle a exposé la violence faite aux femmes, elle retrouve un scénario et des images de voyeurisme. Sous prétexte de dénoncer, on cherche le sensationnel et surtout le bankable.

« Je ne reconnais rien de l’histoire que j’ai racontée : tout a été amplifié, déformé, caricaturé. (…) le film baigne dans une ambiance glauque, ambiguë, malsaine. Je comprends à présent pourquoi il n’a pas voulu me le montrer : il redoutait ma réaction. »

Marianne est, par ailleurs, le seul personnage auquel je me suis attachée.

📙Un roman intéressant. Je regrette seulement d’être restée en observatrice durant toute la 1ère partie du récit.

Cela n’empêche. Je conseille cette lecture à tous ceux qui aiment percevoir derrière le miroir, la réalité des choses.

Les guerres du Pouvoir et ses dommages irréversibles…


 Extraits :

📙« Lehman détestait les éditeurs parisiens, ces commerçants qui se vantaient d’être de gauche, mais baisaient les auteurs à coup d’à-valoir minables et de pourcentages dérisoires, qui exigeaient d’eux la moitié de leurs droits audiovisuels et les envoyaient sur les plateaux télévisés et les salons littéraires faire les putes sans autre dédommagement qu’un taxi pré-payé aller-retour. »

📙« Les semaines, les mois, les années qui suivent un échec en politique sont ceux qui s’écoulent après un deuil – pourquoi se mentir ? On croit ne jamais s’en remettre. Chaque sortie publique vous rappelle votre mort sociale. N’être plus qu’un acteur secondaire d’un monde où l’on rayonnait, perdre le pouvoir quand on l’a exercé, est une épreuve existentielle. »

 📙Marianne – l’ex :

« On juge, on attaque sur le physique, sur la fragilité psychique, sur des contextes personnels, on commente les actes et les paroles des gens sur les réseaux sociaux sans penser à l’effet que cela produit sur leur vie : ça détruit. »

📙« Hilda se sentait vulnérable, fragilisée par l’image que lui renvoyait un milieu où vous n’étiez jugé que sur votre beauté, votre surface médiatique et le pouvoir économique qui en résultait : celle d’une femme dont le potentiel érotique commençait à décliner. Une femme qui devrait inévitablement, passer la main. »

📙« Lehman lui avait confié un soir, après le verre de trop : « Le sexe que tu as pendant ta vie politique est le meilleur. C’est excitant d’avoir peur. C’est aphrodisiaque d’être désiré par autant de femmes en même temps. »

📙Marianne

« Je ne reconnais rien de l’histoire que j’ai racontée : tout a été amplifié, déformé, caricaturé. (…) le film baigne dans une ambiance glauque, ambiguë, malsaine. Je comprends à présent pourquoi il n’a pas voulu me le montrer : il redoutait ma réaction. »

📙« le pouvoir est dangereux, impur ; plus on l’exerce, plus on occulte la violence et la domination qu’il suppose : il isole, altère les relations et jusqu’à la perception que l’on a de soi. C’est une jouissance peut-être mais une jouissance qui abime. »

 

 



mercredi 2 avril 2025

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La BD reprend la réalité historique : la grève des sardinières en 1924, à Douarnenez, le pays de la sardine.

C'est vrai qu'à l'époque, les conditions de vie paraissaient inéluctables, figées pour l’éternité… 

Sardinière de mère en fille et marin de père en fils. Voilà ce qu’accepte la population de Douarnenez au début du siècle. 

 « Qu’est- ce qu’on peut faire d’autre, au bout du Finistère en 1924 ?

Les hommes sont marins.

Les femmes sont sardinières. 

Les enfants sentent le poisson et leur carrière est toute tracée.

A douze ans, ce sera le bateau ou l’usine.»

 🐟 C’est à travers Mona, que l’on suit cette dure existence. Son mari est en mer et quand il rentre à terre, épuisé, il file au bistrot. Elle est sardinière, s’occupe de ses deux filles, attend un bébé et sa mère, ancienne ouvrière blessée reste à la maison.

L’ainée des enfants veut continuer l’école. Elle n’envisage pas sa vie dans la sardine ni son avenir avec un marin.

Tant pis, les conditions sont tellement misérables, qu’à dix ans, elle est coiffée du bonnet des sardinières et commence à l’usine.

🐟Le récit est précis quant au processus de la révolte, à son amplification, puis au mouvement de grève. Les conditions inhumaines du travail des femmes : l’injustice et la toute puissance des contremaîtresses, petits-chefs-chefs incontestés abusant de leur pouvoir, les cadences, les salaires dérisoires, et même diminués quand le travail est estimé « mal fait. »

C’est dur de faire de la grève, beaucoup n’y croit pas. La mère de Mona l’a faite quelques années auparavant, et elle a tout perdu…

La pression de la famille, des non-grévistes, de la répression aussi,  est forte.   Pourtant, leur courage va payer et les ouvrières obtiennent presque tout ce qu’elles ont demandé.

Une victoire qui reste dans les mémoires et fait la fierté ( à juste titre) des bretons car le combat était rude et violent.

🐟Une belle leçon de courage, un bel hommage aux femmes.

Car non seulement elles ont tenu face à l’injustice et l’exploitation, mais aussi et souvent face à la famille et au mari.

🐟 Le graphisme pastel, centré sur les expressions,  accompagne parfaitement le récit. Les scènes de foule sont particulièrement bien saisies et très efficaces pour montrer la puissance de la révolte ou de la répression comme dans la double page 126 et 127.

💙 Un récit passionnant que je suis ravie d’avoir découvert.

 

Extraits :

 🐟« Ici, c’est Douarnenez.

A Douarnenez, nos vies, c’est les sardines. »

 

🐟« Qu’est- ce qu’on peut faire d’autre, au bout du Finistère en 1924 ?

Les hommes sont marins.

Les femmes sont sardinières. 

Les enfants sentent le poisson et leur carrière est toute tracée.

A douze ans, ce sera le bateau ou l’usine.»

 

🐟« _ Moi, j’aimerais bien aller à Paris.

_ Toi ?! Ma petite, t’es une fille de sardinière, une petite fille de sardinière.

Tu seras une Penn-sardin comme nous. »

 

🐟« Même le poisson, il est plus riche que nous. »

 

🐟« _ Pense donc à travailler. La grève, c’est pas pour nous.

_ la grève, c’est pas pour nous, l’école, c’est pas pour nous, l’argent, c’est pas pour nous… »

 

 

 


lundi 31 mars 2025

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📕Difficile d’être à la fois claire et concise tellement cette BD est riche et presque insaisissable, comme le monde de l’imaginaire qui l’enveloppe : un gros nuage, tantôt doux et tantôt menaçant.

Un royaume de contrastes parfaitement maîtrisés, tant dans le scenario que dans le graphisme.

📕Une BD tendre, poétique et violente à la fois : 

- Tendre par l’amour entre la mère et ses enfants, par le regard et les questions de deux petites filles, ainsi que par leur proximité ; poétique car le lecteur partage leur imaginaire.

- Violente car la réalité reprend vite le dessus, car le passé et les cauchemars reviennent au galop, menaçante par le contexte historique et social de la montée du franquisme en Espagne.

📕L’histoire :

L’Espagne des années 30. Il ne fait pas bon être une mère célibataire à ce moment. Inès n’a que crainte : qu’on lui enlève ses deux petites filles. Par conséquent, elle les maintient recluses dans l’appartement, ne pas faire de bruit qui pourraient alerter des voisins malveillants comme la vieille Apolonia.

Le soir, Inès disparaît enveloppée dans un grand châle aux motifs de papillon de nuit, le « saturnia »

« _ Oh ! On dirait un papillon… Un saturnia !

_ Qu’elle est belle ! Un saturnia géant ! »

Un châle qui protège mais dissimule aussi la vérité et le passé…

Les deux petites s’interrogent, cherchent à comprendre, questionne le chat qui les visite régulièrement avec des messages…

Inès recueille Clavel de Luna, (Œillet de nuit) un jeune travesti tabassé par les milices franquistes.

📕Une ambiance troublante, obsédante mais magnétique qui demeure longtemps dans la tête après avoir refermé le livre. Et cela grâce aussi à la richesse du graphisme.

Je n’avais jamais vu un trait comme celui d’Alberto. Dans les tons pastel, qui deviennent très foncés, voire cauchemardesques dans les scènes difficiles. Imprégné de l’univers japonais et cinématographique, avec des gros plans impressionnants. Comme celui de la vieille usurière, page 23. La méchanceté est incarnée dans ses traits...

Saisissant, puissant, original ! Un gros coup de cœur ! 

Merci  aux éditions Sarbacane pour la découverte de cet auteur.